Intervention de Catherine Ladousse

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 janvier 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le bilan de l'évaluation de la loi copé-zimmermann

Catherine Ladousse, ex-directrice de la communication de Lenovo, co-fondatrice et présidente honoraire du cercle InterElles :

Au préalable, je souhaite partager l'enthousiasme de Chiara Corazza. Merci pour cette invitation et pour cette opportunité qui m'est donnée de vous rencontrer à nouveau, Madame Zimmermann, et d'entendre Laurence Parisot.

Cela fait trente ans que je suis sur le terrain de l'entreprise - j'ai toujours travaillé pour des entreprises internationales, comme American Express, IBM et Lenovo. Depuis toutes ces années, je me bats pour l'égalité et pour l'équilibre des genres.

Dans le secteur technologique et scientifique, on n'évoque pas de parité, parce que la base est tellement faible qu'il vaut mieux parler de mixité.

Je voudrais également saluer l'impact de la loi de 2011. Au-delà des chiffres, je voudrais évoquer l'engouement - le mot a déjà été utilisé - qu'elle a suscité, accompagnant cette conviction qu'il s'agit d'une vraie avancée dont notre pays peut être fier.

Il y a dix ans, je me souviens qu'au Women's Forum, alors que la loi venait d'être votée, mes collègues américaines et chinoises n'en revenaient pas ! Elles s'interrogeaient, avec une petite pointe d'envie, pour savoir comment nous allions nous y prendre pour appliquer ce texte dans les entreprises.

Aujourd'hui, je pense aussi que nous sommes à un moment charnière. La célébration de cette loi Copé-Zimmermann est une formidable opportunité pour nous, acteurs et actrices de la société civile et pour l'État, pour faire en sorte que l'on continue d'avancer. Ce texte a prouvé que les quotas et les obligations imposés par le gouvernement et l'État ont permis que les évolutions nécessaires s'opèrent plus rapidement.

Pour autant, étant adepte du cercle vertueux, je pense que la loi n'est pas en soi suffisante. Il faut aussi une conjonction qui combine une volonté politique forte, qui s'exprime évidemment à travers la loi, une pression sociétale et des enjeux de performance économique.

Heureusement, aujourd'hui, grâce justement à toutes les études qui ont été conduites par le Women's Forum, celle de l'OCDE et de McKinsey, nous ne sommes plus trop obligées d'expliquer que la mixité est un facteur de performance économique. Cela semble globalement acquis.

Désormais, les questions portent davantage sur le comment : comment attirer les talents, notamment dans les secteurs où les femmes sont en minorité, et comment faire pour parvenir à la mixité au sein de l'entreprise. Par ailleurs, attirer les femmes suppose qu'elles évoluent au sein des entreprises : même si le dirigeant est convaincu par la cause, il y aura toujours quelqu'un aux RH ou ailleurs pour ne pas prendre la bonne décision de recrutement au bon moment. Dans ce contexte, il paraît nécessaire que des objectifs chiffrés et mesurables soient imposés. S'ils ne sont pas atteints, alors il faut sanctionner les entreprises.

De notre côté, nous allons continuer à travailler dans nos réseaux. Il y a vingt ans, j'ai eu la chance de pouvoir participer à la création d'un des premiers réseaux d'entreprise chez IBM qui bénéficiait de l'influence anglo-saxonne. Jusqu'à récemment, la PDG était une femme ; la filiale française est dirigée aussi par une femme et le COMEX est désormais paritaire. Bref, j'ai conscience qu'il reste encore beaucoup à faire, mais lorsque les entreprises sont très engagées, elles parviennent à des résultats. J'aimerais juste qu'on aille un peu plus vite.

Le 4 mars prochain, le cercle InterElles, qui est un réseau de réseaux regroupant une quinzaine de grandes entreprises françaises et étrangères du secteur technologique et scientifique, fêtera ses vingt ans.

Il est vrai que lorsqu'on regarde le chemin parcouru, on peut estimer que le verre est à moitié plein. Mais si des choses extraordinaires ont été accomplies, le plafond de verre est toujours là. Ainsi, 20 % de femmes seulement occupent des postes de cadres dirigeants dans les entreprises technologiques et scientifiques. Mais comme elles n'emploient que 30 % de femmes, on nous rétorque qu'il est difficile d'avoir 50 % de femmes à la direction !

Cela dit, je pense qu'aujourd'hui il y a une forte impulsion des réseaux. Ils sont d'ailleurs de plus en plus nombreux, voire pléthoriques.

Je voudrais dire à ceux qui nous écoutent, et surtout les jeunes générations : prenez le temps d'aller dans les réseaux professionnels. C'est très important. Comme je l'ai entendu au cours de la matinée, les femmes, pour de multiples raisons, par manque de temps souvent, et parce qu'elles n'ont pas cette culture, cette tradition, ne vont pas spontanément vers les réseaux professionnels, contrairement aux hommes qui sont naturellement en réseau. Il faut donc inciter les femmes à investir ces espaces et qu'elles comprennent que le réseau, c'est du temps professionnel, même si on y va sur son temps libre. Les réseaux sont aussi des lieux d'apprentissage. Ils permettent de décrypter les codes de l'entreprise. Ils sont également des lieux où existe une certaine liberté de parole, hors de la hiérarchie. Les entreprises ont d'ailleurs bien compris que les réseaux étaient des plateformes très innovantes parce que force de propositions.

En cette période de crise, je dois dire qu'autour de nous, toutes celles qui sont investies dans des réseaux ont passé une grande partie de leur temps en visioconférence ! Cette solidarité et cette sororité sont extrêmement importantes. Elles le sont d'autant plus qu'elles battent en brèche le piège des stéréotypes qui invoquent très souvent la compétitivité, voire l'agressivité que les femmes auraient les unes envers les autres dans le monde de l'entreprise. Or selon moi, la multiplication des réseaux est justement la preuve de cette sororité entre les femmes et de leur envie d'être unies.

Je veux préciser que ces réseaux féminins sont aussi mixtes. Je ne veux pas oublier les hommes qui, toujours plus nombreux, soutiennent ce mouvement. Je pense d'ailleurs qu'il est essentiel qu'ils soient avec nous, car ce sont eux qui ont le pouvoir !

Un autre phénomène intéressant à relever à propos des réseaux, c'est qu'ils rassemblent de plus en plus de collectifs autour d'eux.

Ainsi, Laurence Rossignol avait réuni une quarantaine de réseaux de toutes sortes (réseaux sur les droits fondamentaux comme l'association contre l'excision, d'autres sur l'égalité professionnelle comme le cercle InterElles (www.interelles.com) ou Femmes Ingénieurs (www.femmes-ingenieurs.org), d'autres encore du monde culturel ou sportifs), afin qu'ils travaillent ensemble sur la question du sexisme. Nous avons ainsi créé le collectif « Ensemble contre le sexisme ». www.facebook.com/EnsembleContreLeSexisme Dans le sillage de ce précédent, d'autres initiatives du même genre ne cessent de se développer depuis.

À l'époque, j'ai trouvé cette démarche particulièrement pertinente parce qu'elle a permis de réunir toutes nos forces et toutes nos énergies pour lutter contre le sexisme, pierre angulaire qui légitime toutes les inégalités, comme l'a d'ailleurs si bien montré Brigitte Grésy. Le prochain rendez-vous de ce collectif, qui existe depuis quatre ans, se déroulera dans quelques jours, le 25 janvier, à l'occasion de la Journée nationale de lutte contre le sexisme, consacrée cette année aux violences économiques.

Pourquoi les secteurs scientifiques et technologiques ne parviennent-ils pas à recruter des femmes - une étude récente, menée par Gender Scan, a ainsi montré que 40 % des femmes diplômées de STEM quittent cette filière ? Ce n'est pas par manque d'intérêt, mais le déséquilibre de genre est tellement fort dans ces entreprises, la prédominance masculine tellement marquée, que les femmes ne s'y sentent pas à l'aise.

Je veux signaler également la création d'un autre collectif, qui vient juste de voir le jour sous le nom de 2GAP : 2gap.fr, qui rassemble une quarantaine de réseaux du secteur public et privé engagés pour défendre une gouvernance partagée. C'est également une initiative à souligner et à saluer.

Je dois vous indiquer, à vous toutes, que je suis très émue et très honorée d'être au Sénat ce matin. En travaillant avec des femmes de la haute administration, je mesure combien nous avons intérêt à oeuvrer ensemble car nous sommes pareillement confrontées au plafond de verre. Même si le secteur privé, pour de multiples raisons - qu'elles soient liées à des questions économiques ou à la pression de la productivité - a eu besoin de recourir à la mixité, il a finalement pris de l'avance sur des politiques d'égalité pour permettre d'attirer de plus en plus de femmes. Je pense notamment au secteur où j'ai travaillé.

Globalement, aujourd'hui, les réseaux se structurent autour de trois grandes thématiques :

- les talents : ces réseaux ont pour vocation de donner de la visibilité aux « hauts potentiels », comme le fait Rising Talents, réseau porté par le Women's Forum ;

- la culture inclusive : ces réseaux sont dédiés, de manière large, à la lutte contre les discriminations et à la lutte contre le sexisme dans et hors l'entreprise, via, entre autres, des formations ou des cellules de veille pour prévenir toutes les violences ;

- les indicateurs et mesures du progrès : les réseaux incitent les directions des entreprises à déterminer des objectifs chiffrés d'égalité femmes-hommes et à les mesurer. Leurs actions aident les entreprises à se conformer à la loi (exemple avec l'Index de l'égalité salariale) mais aussi à la dépasser.

Pour ma part, j'estime que c'est une chance lorsqu'on peut s'appuyer sur une loi, à condition toutefois qu'elle fixe des objectifs raisonnables et qu'ils soient mesurables et contrôlables.

A bien des égards, la loi Copé-Zimmerman a été formidable. Au-delà des chiffres, elle a donné confiance aux femmes des entreprises concernées par le texte, mais également aux autres femmes.

Aujourd'hui, je pense qu'il faut aller plus loin, et les propos de Bruno Le Maire et d'Élisabeth Moreno, qui connaît bien le monde de l'entreprise, sont encourageants car ils vont dans ce sens.

Je pense que nous sommes à un moment clé. Je voudrais vous dire, vous qui êtes, Mesdames les sénatrices et Madame la députée, dans les instances de pouvoir et de l'État, que vous pouvez compter sur les réseaux, sur les entreprises et leurs dirigeants et dirigeantes, car ils sont convaincus de l'importance de la mixité. La mixité est, en effet, devenue un enjeu de réputation fondamental pour les entreprises.

Si, aujourd'hui, les entreprises veulent recruter les meilleurs talents, car désormais les jeunes diplômés choisissent les entreprises en fonction de leur réputation et de leur politique sociale, elles doivent soutenir et favoriser la mixité qui porte en elle le principe même d'égalité des chances. Nous voulons donc voir des femmes au plus haut niveau.

Je remercie encore Marie-Jo Zimmermann pour tout ce qu'elle a fait pour nous.

- Présidence de Mme Laure Darcos, vice-présidente - 

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