En raison du renouvellement du CESE, il s'agira certainement de l'une de mes dernières prises de parole. Je suis vice-président du CESE et représente les organisations étudiantes et les mouvements de jeunesse. Il serait d'ailleurs intéressant de s'interroger sur l'effet de la présence des organisations de jeunes dans une institution comme le CESE. J'évoquerai la question des jeunes ruraux. J'ai réalisé une étude sur la place des jeunes dans les territoires ruraux. J'ai identifié quatre caractéristiques, qui sont autant de facteurs d'inégalité.
La première caractéristique concerne les parcours scolaires et l'entrée dans la vie active. Les jeunes ruraux ont plutôt de meilleurs résultats jusqu'à la fin du collège, ce qui montre une capacité de rattrapage de l'école dans les territoires ruraux - qui comportent davantage de personnes issues des catégories populaires. Par la suite, les jeunes ruraux s'orientent majoritairement vers les voies professionnelles : plus de 50 % des ruraux font ce choix, contre 40 % des urbains. Leurs choix sont ainsi marqués par des déterminismes sociaux : lorsque l'on est entouré de personnes inscrites dans ces filières courtes, on a tendance à faire des études plus courtes. Cela pose aussi la question de l'accessibilité de l'offre, beaucoup moins diversifiée en zone rurale, sauf à aller dans une grande ville. L'entrée dans la vie active est aussi compliquée : un quart des jeunes des territoires ruraux se retrouve sans emploi et sans formation, du fait notamment de l'éloignement des lieux de formation et d'accompagnement dans ces territoires.
La deuxième dimension concerne l'engagement. Les jeunes ruraux tendent à s'engager davantage que l'ensemble de la jeunesse, pourtant il y a moins de politiques publiques en leur faveur. Il en découle une forte défiance des jeunes des territoires ruraux vis-à-vis de la politique : 92 % des jeunes ruraux n'ont pas confiance dans la politique et le fossé s'aggrave chaque année.
Troisième élément, les inégalités entre les femmes et les hommes sont bien plus marquées que sur l'ensemble du territoire. Il y a un problème d'orientation ; un article du Monde aujourd'hui évoque l'assignation sociale des jeunes dans ces territoires. Les emplois les plus précaires sont occupés par des femmes.
La quatrième caractéristique est la mobilité. Les jeunes sont la population rurale la plus impactée par les questions de mobilité, parce que les espaces dont ils ont besoin, et qui peuvent aller de l'auto-école à un cabinet de gynécologie, sont les plus éloignés des territoires ruraux. Cela a des répercussions très fortes sur l'employabilité : un tiers des jeunes n'a pas pu assister à un entretien lié à l'emploi dans ces territoires faute de mobilité, et les deux tiers disent qu'ils pourraient répondre à plus d'offres s'ils n'avaient pas de problème de mobilité. L'impact s'étend à la question du loisir et de l'accès à la culture, mais aussi de l'accès aux soins. Ce travail, en 2017, a montré que le premier département consommateur d'héroïne était la Meuse !
Vous avez évoqué notre regard sur les politiques menées ces dernières années. Mais lesquelles ? Depuis les années 2000, il n'y a pas eu de politique pour la jeunesse en tant que telle. Un certain nombre de politiques ont été structurées alors autour de la question de l'emploi, des emplois-jeunes, avec des dispositifs comme « Envie d'agir » ou le Conseil national de la jeunesse. Depuis, on a assisté à un enchaînement de mesures, comme le service civique ou des appels à projets, toutes choses qui peuvent être très intéressantes, mais ne sauraient structurer une politique en faveur de la jeunesse. Surtout qu'en même temps, on constatait la suppression de politiques structurantes en direction de la jeunesse : ainsi, de la disparition des directions départementales de la jeunesse et des sports (DDJS), ou de la suppression d'une ligne du ministère de l'agriculture en direction de l'animation rurale, qui a mis à plat un certain nombre de structures sur ces territoires. Du coup, il n'y a parfois plus d'acteurs de l'éducation populaire.
Nous avons cru, en 2017, avec la loi égalité et citoyenneté dans laquelle les organisations de jeunes se sont beaucoup impliquées, dans la reconnaissance d'un chef de filat des politiques de jeunesse confié aux régions. Mais nous avons été déçus, car il n'a pas beaucoup de substance aujourd'hui dans les conseils régionaux. Le Conseil d'orientation des politiques de jeunesse a fait un très bon travail, sans être assez écouté. Certaines évolutions me paraissent incompréhensibles. Que le tutorat devienne une politique d'État ne lutte pas contre les inégalités. Le risque est plutôt de renforcer le sentiment d'arbitraire : si tu trouves le bon parrain, tu pourras t'en sortir, si tu ne le trouves pas, tant pis pour toi ! L'intitulé de votre commission évoque la résorption de l'inégalité des chances. L'enjeu majeur serait plutôt de les combattre pour faire en sorte qu'elles disparaissent.
La réforme des APL représente plus de 700 millions d'euros d'économies pour le budget de l'État, réalisées principalement sur les jeunes. Cela interroge. Depuis les années 2000, le mouvement de fragilisation et de paupérisation d'une grande part de la jeunesse a été particulièrement sévère, avec la crise de 2008 notamment. Les mineurs isolés sont une vraie problématique : un quart des gens qui se trouvent dans la rue sortent de l'aide sociale à l'enfance... Cela remet en cause notre système social ! Merci au Sénat de prendre cette question à bras le corps, car l'enjeu est fort.
Il faut remettre autour de la table l'ensemble des acteurs pour repenser une politique en faveur de la jeunesse. En 2001, le rapport Charvet pour le Haut-Commissariat au Plan, intitulé « Jeunesse, le devoir d'avenir », venait interroger la place des jeunes dans notre société. Il y a aujourd'hui trois enjeux majeurs et urgents. Comment protéger, d'abord, c'est-à-dire la question des filets de sécurité offerts aux jeunes, illustrée dans cette crise. Comment accompagner, ensuite, dans le logement comme dans les déplacements. Comment favoriser l'émancipation, enfin, en permettant aux jeunes d'accéder à la décision et à la responsabilité, pour participer au devenir de notre société, dont ils se sentent exclus.
La première question renvoie à celle de la précarité et des minima sociaux. On a considéré que le jeune était avant tout un enfant : jusqu'à 25 ans, il était majeur civilement mais mineur socialement. Cette situation n'est plus acceptable, ni pour les jeunes ni pour les familles. La précarité des jeunes risque d'entraîner une précarité des familles elles-mêmes, du fait de la situation sociale et économique. Des propositions sont sur la table, relatives au RSA ou à la volonté du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse de faire de la garantie jeune un droit. En tous cas, il y a urgence à avancer.
La deuxième question renvoie aux outils à mobiliser pour favoriser la mobilité, la santé, l'accès à l'éducation. Pour que les jeunes ruraux puissent avoir le choix, et pour réduire les inégalités, il faut que les familles ne se sentent pas dans l'incapacité de faire en sorte que leurs enfants puissent continuer leur parcours scolaire. D'où l'importance des bourses. Les outils d'éducation populaire sont très importants aussi, et ils ont disparu d'un certain nombre de territoires ruraux. Nous devons les revivifier pour faire en sorte que ces espaces intègrent les jeunes à notre société, en leur permettant de se construire.
La dernière question est de savoir comment inclure les jeunes dans la construction des politiques publiques. Cela demande de repenser nos espaces démocratiques, d'y insérer la société civile organisée. C'est le moment. La situation est très critique et l'ensemble de la société s'en rend compte. Le risque serait d'accentuer le fossé entre les jeunes et nos institutions, et que les jeunes se trouvent exclus des outils de la protection sociale qui font la cohésion de notre société. S'ils en sont exclus au moment où ils en ont le plus besoin, ils ne croiront plus, demain, en leur valeur. Ce serait une catastrophe pour la cohésion de l'ensemble de notre société.
La société civile est prête à des évolutions. L'ensemble des composantes du CESE s'est positionné en faveur de l'accès des jeunes aux minima sociaux. Aux politiques, désormais, de s'emparer de cette question, pour promouvoir une vraie considération des jeunes dans la société !