Intervention de Michel Barnier

Commission des affaires économiques — Réunion du 16 février 2021 à 17h35
Accord de retrait et accord de commerce et de coopération signés entre le royaume-uni et l'union européenne — Audition de M. Michel Barnier conseiller spécial de la présidente de la commission européenne

Michel Barnier, conseiller spécial de la présidente de la Commission européenne :

L'importance d'être ensemble réunis dans le marché unique est claire. Sans cela, en quelques décennies, seule l'Allemagne figurerait parmi les pays du G8 - alors que les 27, ensemble, continueront à être l'une des toutes premières économies mondiales. Les conséquences du Brexit avaient été évaluées à près de 3 % du PIB, sur plusieurs années, pour le Royaume-Uni, et à quelque 0,3 % ou 0,4 % pour l'Union européenne. Pour autant, il s'agit d'un évènement perdant-perdant : il n'y a pas de conséquences positives du Brexit ! Même si les services financiers français se renforcent parce que les Britanniques perdent le passeport financier, je ne suis pas sûr qu'il faille s'en réjouir. Évidemment, le Brexit a encore plus de conséquences négatives au Royaume-Uni, du fait de la structure des échanges : les Britanniques exportent à 47 % vers l'Union européenne. Désormais, il n'y aura ni taxes ni quotas, certes, mais des contrôles, donc des barrières non tarifaires.

Sur les vaccins, je ne ferai pas de commentaire, sauf pour mettre les choses en perspective. Tant mieux, au fond, si davantage de Britanniques sont vaccinés. Attendons que les vaccins soient vraiment opérationnels : il faut deux injections... Mais il est clair que les Britanniques sont seuls, qu'ils ont pu décider seuls, et que c'est plus compliqué à 27, surtout quand c'est la première fois. Notre philosophie a été de mutualiser les commandes de vaccins. Nous avons peut-être connu des difficultés administratives plus lourdes mais, au moins, nous garantissons l'équité entre les 27 : c'est aussi cela, la philosophie de l'Union européenne. Cela dit, je recommande de mettre les choses en perspective, d'éviter les polémiques et la surenchère. Tant mieux pour les Britanniques : je leur souhaite tout le meilleur. Ceux qui gouvernent nos pays devront encore affronter ensemble de nombreux et graves défis : les nouvelles pandémies, le terrorisme, le changement climatique, l'instabilité financière... Autant préserver l'esprit de coopération ! Le Brexit est derrière nous, désormais.

Que faire en Europe ? Je ne suis pas sûr qu'il faille mettre les questions institutionnelles au premier rang. Nous l'avons fait pendant dix ans - et j'y ai contribué, d'ailleurs, en participant aux négociations du traité d'Amsterdam comme ministre ou comme commissaire, ou à la préparation du traité de Nice, ou de la Constitution européenne. Nous avons mis toute notre énergie sur ces réformes institutionnelles, mais je ne suis pas sûr qu'elles intéressent beaucoup les gens. Le moteur doit fonctionner, et on doit faire les réformes s'il en faut. Mais il faut insister davantage sur ce qu'on fait ensemble, en expliquant pourquoi on est sur la même route, et quelles sont les prochaines étapes sur cette route. Sans doute devrions-nous aussi prendre le temps, au niveau européen et peut-être au niveau national, d'évaluer la valeur ajoutée de ce qu'on fait ensemble. Certains sujets ont été mutualisés il y a 20, 30 ou 40 ans. Peut-être n'y a-t-il plus la même valeur ajoutée à le faire aujourd'hui. Inversement, sur la recherche, la santé, la défense, nous avons grand besoin de mutualiser davantage. La question de la valeur ajoutée de l'Union européenne est très importante.

La Hongrie et la Pologne sont en discussion avec l'Union européenne. Quand on est membre de l'Union, on en respecte les règles, notamment sur les droits fondamentaux.

Sur EDF, je ne veux pas me prononcer, car le sujet est actuellement instruit par les services de la Commission.

Jacques Fernique a évoqué la robustesse des clauses. Les experts avec lesquels je travaille me disent que ce qu'on a fait est crédible, à la fois pour les aides d'État et pour la non-régression des normes environnementales, sociales et fiscales. En fait, nous verrons à l'usage - mais j'espère qu'on n'en aura pas l'usage, et que les mesures prévues auront un effet dissuasif ou préventif suffisant. Nous devrons rester vigilants : déjà, en trois semaines, j'ai entendu trois ministres britanniques annoncer des mesures sur l'assouplissement de la durée hebdomadaire du travail, la réintroduction de pesticides ou l'assouplissement des règles prudentielles dans les services financiers...

La présidente de la Commission a indiqué que ce que nous avons fait pour cet accord servira de base pour tous les nouveaux accords de commerce que nous signerons dans le monde en tant qu'Européens. Il ne s'agira plus seulement d'abaisser ou de supprimer des droits de douane ou des quotas, mais d'utiliser les accords de libre-échange comme un outil de gouvernance mondiale, pour créer du progrès, notamment dans la lutte contre le changement climatique. Bien sûr, ces accords ne ressembleront pas tous à celui-ci, mais ce que nous avons fait, pour la première fois, sur les règles du jeu équitables, sera réutilisé.

Il n'y a pas une frontière en mer d'Irlande, mais des contrôles, dans un espace qui est régi par les règles du marché unique, où le code douanier européen s'applique. Je ne veux pas parler de frontières, par respect pour l'intégrité territoriale et politique du Royaume-Uni. Ce protocole n'est pas renégociable. Il a fait l'objet d'un traité ratifié et il doit être respecté, dans toutes ses dimensions. Vous vous souvenez qu'il y a six mois, les Britanniques ont voulu remettre en cause plusieurs dispositions de ce protocole. Cela a suscité notre stupeur, celle de plusieurs anciens Premiers ministres britanniques, dont Mme May, inquiets pour la qualité de la signature britannique, et même une réaction du nouveau président américain, très attentif à ce qui se passe en Irlande. Du coup, les Britanniques sont revenus à davantage de raison. Je vous recommande donc d'être pragmatiques. Nous le sommes dans le comité conjoint, qui comporte déjà, d'ailleurs, un comité spécialisé sur les droits des citoyens.

J'ai été ministre de l'agriculture et suis donc très attaché aux indications géographiques. Le stock des quelque 3 000 indications géographiques existantes a été sécurisé définitivement dans l'accord de retrait. Les Britanniques ont voulu rouvrir cet accord. Nous avons refusé. Il est exact que nous n'avons pas, dans le nouvel accord, traité la question des nouvelles indications géographiques. Il y en aura très peu, et nous sommes convenus d'un rendez-vous pour en discuter avec eux. Le plus important, dans la négociation, m'a paru être de préserver le stock des 3 000 indications existantes, depuis le whisky écossais jusqu'au gorgonzola, ou au beaufort !

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