Monsieur le Président, mes chers collègues, depuis l'annonce de Veolia, fin août dernier, de racheter les parts détenues par Engie dans Suez, la fusion envisagée entre les deux groupes alimente un feuilleton boursier et judiciaire riche en rebondissements, dont la presse économique se fait largement l'écho. Nous n'y prendrions pas part si les enjeux n'étaient pas aussi vitaux pour notre pays.
Nous n'entendons pas intervenir dans un conflit économique et boursier entre deux sociétés privées mais, en tant que parlementaires et représentants des collectivités territoriales, nous nous interrogeons sur les conséquences de cette opération entre les deux acteurs dominants de la gestion de l'eau et des déchets en France, notamment en ce qui concerne les emplois et la qualité de service pour les collectivités et les usagers.
C'est pourquoi nos deux commissions ont décidé de mettre en place un comité de suivi, composé de six sénateurs, qui procèdent depuis novembre dernier à l'audition d'un certain nombre de parties prenantes et d'experts. Afin de poursuivre nos travaux, nous entendons aujourd'hui en réunion plénière, en commun avec la commission des affaires économiques, M. Thierry Déau, président de Meridiam.
Monsieur le Président, vous avez fondé et vous dirigez depuis 2005 Meridiam, société à mission gérant sept fonds thématiques et géographiques, pour un total de 8 milliards de dollars d'actifs. Votre expertise est reconnue sur la place parisienne. Vos investissements s'articulent autour du développement, du financement et de la gestion de projets d'infrastructures publiques sur le long terme.
Vous avez noué un partenariat avec Veolia et êtes pressenti pour reprendre l'activité de Suez Eau France, que Veolia céderait si l'achat de Suez aboutit, afin de respecter le caractère concurrentiel du secteur de l'eau en France et ainsi satisfaire aux exigences que poserait à coup sûr le régulateur européen.
Suez Eau en France, c'est plus de 4 millions de clients, 10,5 millions de Français desservis en eau potable et près de 10 millions bénéficiant de l'assainissement. Ces chiffres donnent une idée de la grande responsabilité qui pèsera sur votre groupe en matière de qualité et de continuité de service, d'innovation et de maîtrise des prix pour les consommateurs.
Cela conduit à vous poser une première série de questions :
- disposez-vous de la structure financière, du savoir-faire et de l'horizon nécessaires pour reprendre l'activité d'une société exerçant depuis plus de 140 ans dans son secteur ?
- quels moyens comptez-vous déployer pour poursuivre la continuité de ces services essentiels pour nos territoires et nos concitoyens ?
- qu'avez-vous à dire pour rassurer les collectivités qui se disent inquiètes concernant leurs choix futurs en matière de délégation de service public dans le secteur de l'eau et de l'assainissement ?
Vous vous êtes engagé à préserver l'emploi pendant cinq ans à compter de votre prise de contrôle. Vous avez également proposé d'allouer jusqu'à 10 % du capital aux salariés et d'accroître de 800 millions d'euros les investissements de l'entité Suez reprise. Ces engagements nous semblent aller dans le bon sens, car les défis posés par la transition écologique nécessitent d'importants moyens financiers et un horizon d'investissement à long terme. Cependant, un article de Mediapart du 9 février dernier vous dit « sous pression de vos actionnaires ». Pareille affirmation est de nature à éveiller notre méfiance. Comment réagissez-vous à ces allégations et aurez-vous les mains suffisamment libres pour vous inscrire dans la temporalité longue exigée par le secteur de l'eau ? Auprès de quels investisseurs procéderez-vous aux levées de fonds nécessaires à la reprise de l'activité Eau France de Suez si celle-ci devait se faire ?
Le projet de rapprochement entre Veolia et Suez nous a réservé, ces derniers mois et semaines, un grand nombre de surprises et d'évolutions imprévues.
- quelle lecture faites-vous aujourd'hui de la situation et qu'attendez-vous des événements à venir ?
- comment envisagez-vous les prochaines étapes, pour Veolia et votre groupe ?
- êtes-vous optimiste quant à une issue positive, qui satisfasse toutes les parties prenantes de ce dossier ?
- pensez-vous au contraire que ce duel entre deux champions du capitalisme français ne peut se résoudre par la voie boursière habituelle, à savoir la prise de décision par les conseils d'administration et actionnaires intéressés, mais se dénouera par une décision de justice, à l'issue d'une bataille homérique qui durera encore longtemps ?
Vous le voyez, Monsieur le Président, nous sommes impatients de vous entendre répondre aux légitimes interrogations que les sénateurs, et à travers eux nombre de Français, se posent.