S'agissant de la Saur, l'opération n'a pas été un succès et nous avons perdu de l'argent, c'est un fait, mais je souhaitais revenir sur quelques éléments vérifiables. La Saur est une filiale de Séché Environnement et de la Caisse des dépôts et consignations. Nous n'étions qu'un actionnaire minoritaire. Nous avons d'ailleurs toujours agi en investisseur responsable et, à ce jour, la Saur est toujours un acteur important, avec une part de marché sensiblement égale à celle qui était la sienne au moment où nous étions actionnaires.
Qu'avons-nous appris de cette situation difficile ? Nous avons investi juste avant la crise financière et nous sommes très vite retrouvés face à une situation économique extrêmement dégradée. Le marché de l'eau en France était en train d'évoluer, notamment en matière de réglementation et de collecte d'un certain nombre de taxes.
En deuxième lieu, la Saur était et est demeurée un acteur essentiellement français, sur un marché mature qui connaît depuis des années une décroissance structurelle, pour des raisons environnementales, couplée à une baisse des marges, la France recourant à un système d'affermage dans lequel ce n'est pas la société gestionnaire qui investit, mais les collectivités locales. Il est donc essentiel, pour traverser les cycles et faire face à cette structure de marché, d'avoir des relais de croissance à l'international.
En troisième lieu, le rapprochement de Séché Environnement et de la Saur s'est révélé être une mauvaise idée, tant les cultures et les modes de travail des deux entreprises étaient différents. On s'est très vite rendu compte qu'il était difficile d'intégrer les deux entreprises.
GIP, qui est notre partenaire, a été choisi par Suez. Un « concours de beauté » a été organisé, et nous avons été consultés sur la qualité des différents partenaires qui pouvaient nous rejoindre. GIP est un leader mondial dans le domaine des infrastructures, où elle n'investit que dans les secteurs de l'énergie, de l'environnement et des transports.
La société existe depuis 2006. C'est en Europe qu'elle a commencé à investir, à plus de 40 %, avec un montant d'investissement sensiblement égal au nôtre - on parle de 15 milliards d'euros. C'est une société qui partage avec nous les mêmes critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). C'est aussi une entreprise qui possède une vision très industrielle, héritage de GE Water. Nous avons été avec GIP coactionnaires d'entreprises très importantes durant de nombreuses années, dont une en Espagne, CLH, qui gère tous les centres de stockage et de transport d'hydrocarbure. Nous savons donc que nous pouvons travailler en bonne entente.
Vous avez posé plusieurs questions sur la rentabilité. Les fonds d'infrastructure sont des fonds à quinze ans, et nous pouvons, comme c'est parfois le cas, créer des fonds de continuation afin de conserver ces entreprises lorsqu'elles sont très stratégiques. C'est par exemple le cas du projet Tours-Bordeaux, que nous avons financé avec Vinci, pour lequel Meridiam nous a rejoints quelques mois après, de l'A 88, une autoroute en Normandie, ou encore de Kallista, plateforme dédiée aux énergies renouvelables. Ce sont des entreprises que nous détenons depuis plus de dix ans et désormais via un fonds de continuation.
En ce qui concerne la rentabilité, je pense que les infrastructures nécessitent un nouveau mode de partenariat. J'en veux pour preuve l'exemple d'aéroport de Paris (ADP), que mentionnait Dominique Senequier. Nous avons récemment investi aux côtés des collectivités locales allemandes de Basse-Saxe dans EWE, société qui a dans cette région le monopole du gaz, de l'électricité, mais aussi des infrastructures de télécommunications.
Les collectivités locales ont organisé un « concours de beauté ». Elles détenaient 100 % de la société et recherchaient un partenaire minoritaire. Nous y sommes donc minoritaires mais influents, puisqu'ils nous ont choisis pour les aider à développer cette entreprise dans le cadre d'un projet de transition énergétique. Notre rentabilité est donc tout à fait compatible avec celle des collectivités locales.
Ce n'est pas un exemple isolé : c'est la raison pour laquelle les départements nous ont choisis dans le projet avec ADP. Nous sommes également partenaires minoritaires de la ville de Milan, où nous aidons les Italiens à développer l'aéroport. Chercher à contrôler seul de telles infrastructures essentielles est une mauvaise idée. Aucun acteur isolé ne peut prendre cette responsabilité et personne n'a à lui seul le savoir-faire et l'intelligence pour gérer ce genre d'infrastructures intégrées à des territoires.
Pourquoi GIP n'a-t-il pas investi seul ? Car il partage notre avis s'agissant d'une entreprise de l'importance de Suez. Il a donc cherché des partenaires et a demandé à être à parité avec nous, mais il demeure ouvert à un capital majoritairement français et à l'idée d'accueillir des investisseurs institutionnels français, publics ou privés. C'est une vision passéiste que de considérer qu'il faut être unique investisseur pour gérer des infrastructures stratégiques. Il nous faut des nouveaux partenariats publics-privés, et je pense que les collectivités locales ont une influence décisive dans les infrastructures, au plus près des territoires.
Pour ce qui est des salariés, le mieux est de leur poser la question. Je crois qu'ils ont marqué à plusieurs reprises leur souhait d'avoir un projet alternatif qui préserve l'indépendance de Suez. Je les ai rencontrés à deux reprises. Ce projet doit aussi être ambitieux et avoir une cohérence industrielle. C'est au management de Suez de le proposer.
Le marché français est un marché mûr. Il faut des entreprises qui continuent à investir et à innover. La recherche est fondamentale, et Suez est particulièrement en avance dans ce domaine. Il investit proportionnellement plus que son concurrent. Cette recherche doit donc avoir un contour suffisant pour nourrir un réseau international. Les marchés d'Amérique du Nord et d'Asie sont essentiels dans ce domaine.