À l'évidence ! Les moyens dont disposent les séparatismes et les ressources sur lesquelles ils s'appuient peuvent être considérables. Il faut prendre en compte l'aspect économique du problème - l'économie parallèle est un séparatisme -, qui n'est pas sans rapport non plus avec nos modes de vie.
Les seuls principes abstraits suffisent-ils pour faire une nation ? Je répondrai par une anecdote.
Au moment où le président Sarkozy avait voulu un débat sur l'identité nationale, je me trouvais dans une université chinoise, et j'avais regardé, avec des étudiants dont le niveau de français était très bon, un débat télévisé, d'ailleurs cacophonique. Vient un moment où l'un des protagonistes du débat, brandissant sa carte d'identité, s'exclame : « Être Français, c'est très simple : c'est avoir ça ou ne pas l'avoir ! ». Dans la salle, éclat de rire général et spontané. « Il n'y a qu'un Français, dans le monde, qui puisse dire ça », me fut-il répondu lorsque je demandais les raisons de ce rire spontané. Le fait même de ne vouloir donner aucune substance culturelle au concept de Nation définit la manière dont certains de nos compatriotes se représentent la nation française. Cette conception peut être considérée comme très généreuse et très ouverte - « vienne qui veut » -, mais aussi comme très arrogante - « nous sommes en position d'universel ».
Il y a malgré tout une part de culture dans l'existence d'un État, quel qu'il soit ; cette part ne doit pas être vue de façon fixiste ou essentialiste, mais ne saurait être passée complètement par pertes et profits. Et ça n'a rien à voir avec des questions ethniques.
Si tous les Japonais - je prends l'exemple d'une nation qui a toujours su prendre à l'étranger ce qu'elle n'avait pas chez elle - disparaissaient à cause d'un virus, mais si des Français, par exemple, s'installaient sur leur territoire et se mettaient à parler japonais, à cultiver le thé, à entretenir les paysages, le Japon continuerait d'exister : ce n'est pas une question ethnique, mais une question culturelle.
Nous avons une conception très abstraite de la Nation ; il ne faut pas l'abandonner - c'est ce qui fait notre singularité et notre charme - ni peut-être la pousser trop loin. Les phénomènes culturels existent, et la culture ne se réduit pas à l'identitaire. La langue, par exemple, me semble une chose parfaitement fondamentale. Ce serait une autre forme de séparatisme que d'accepter qu'il y ait plusieurs langues : l'idée que chacun puisse parler la langue de son choix relève d'une conception impériale, et non pas nationale - au sens de la Révolution française - de la politique.