Intervention de Marc-Philippe Daubresse

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 mars 2021 à 8h30
Proposition de loi relative à la sécurité globale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marc-Philippe DaubresseMarc-Philippe Daubresse, rapporteur :

La proposition de loi relative à la sécurité globale a connu diverses péripéties qui ont induit beaucoup de confusions et d'inquiétudes, alors même qu'elle comporte de nombreuses dispositions intéressantes visant à faciliter la complémentarité de l'action des différentes composantes de la sécurité intérieure de notre pays.

Je rappellerai donc brièvement sa genèse. Chargés par le Gouvernement d'une mission de réflexion sur la définition du continuum de sécurité et sur l'articulation des interventions respectives des forces de sécurité de l'État, des polices municipales et des acteurs privés de la sécurité, les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue ont remis en septembre 2018 un rapport intitulé D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale.

Dans le prolongement de ce rapport, les deux députés ont déposé une première proposition de loi relative à la sécurité globale le 14 janvier 2020. Ce texte comportait deux volets : l'un relatif au renforcement des polices municipales ; l'autre tendant à mieux encadrer les activités de sécurité privée. Le Gouvernement s'est saisi de cette initiative avant son examen en première lecture par l'Assemblée nationale pour y intégrer différents sujets. La proposition de loi initialement déposée a donc été retirée le 14 octobre 2020 au profit d'un nouveau texte, déposé le 20 octobre par les mêmes députés, mais sur lequel l'influence du ministère de l'intérieur a été particulièrement forte. En plus d'aborder les sujets initialement envisagés par les auteurs de la proposition de loi, ce texte comporte des dispositions relatives à la question de la protection des forces de l'ordre dans le cadre des opérations de police, à l'usage des drones et caméras de surveillance et à la sécurité dans les transports.

Il est à noter qu'en se saisissant d'un texte d'initiative parlementaire le Gouvernement a contourné l'obligation de publication d'une étude d'impact, de même que la saisine préalable du Conseil d'État et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Pourtant, ces études et saisines auraient pu éviter bien des polémiques.

Initialement destiné par le Gouvernement à être discuté en novembre dernier à l'Assemblée nationale puis en décembre au Sénat, le calendrier de ce texte a été « distendu », d'abord à la demande du président de notre commission - nous examinions à l'époque une série de textes relatifs à la situation sanitaire et au report des élections -, puis du fait de l'encombrement du calendrier législatif. Ce report a provoqué une interférence entre l'examen de cette proposition de loi au Sénat et du projet de loi confortant le respect des principes de la République à l'Assemblée nationale.

Depuis novembre, Loïc Hervé et moi-même avons procédé à plus de 40 heures d'auditions, entendant plus d'une centaine de personnes et institutions : services des ministères concernés par ce texte, syndicats de policiers, représentants des gendarmes, élus locaux, syndicats de journalistes et représentants de sociétés de journalistes, associations de défense des droits, entreprises de transports, sans oublier les multiples acteurs de la sécurité privée.

Notre but a été de surmonter le climat polémique de défiance créé par les multiples annonces et prises de position sur ce texte pour mesurer objectivement l'intérêt des mesures qu'il comporte. Certaines sont techniques, d'autres plus prospectives, d'autres enfin destinées à mieux protéger les policiers, gendarmes et policiers municipaux. Même si nous partageons les objectifs sous-tendus par la proposition de loi, nous avons cherché à mesurer leur impact à l'aune de nos libertés publiques, qu'il nous appartient de défendre. C'est d'ailleurs dans cette optique que le président Buffet a saisi la CNIL de ce texte et que nous avons pu nous appuyer sur son avis particulièrement éclairant.

Loïc Hervé et moi-même avons travaillé en bonne intelligence, en nous répartissant le texte de la façon suivante. J'ai traité des questions relatives à la police municipale, à la protection des policiers et gendarmes et diverses autres mesures. Loïc Hervé a, pour sa part, traité l'ensemble des questions relatives aux drones, aux images, aux transports et à la sécurité privée.

Je rappelle par ailleurs que la commission du développement durable a souhaité se saisir pour avis des dispositions relatives aux transports et a désigné M. Étienne Blanc comme rapporteur pour avis. La délégation aux collectivités territoriales a également rendu un rapport récent sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure, dans lequel elle se prononce sur certaines dispositions du texte.

J'évoquerai tout d'abord la police municipale.

Souvent présentée comme la troisième force de la sécurité intérieure, elle s'est largement professionnalisée depuis la loi de 1999. Les policiers municipaux interviennent désormais en complément des forces nationales dans un grand nombre de communes.

Prenant acte de la montée en puissance de ces polices, l'article 1er de la proposition de loi prévoit d'élargir, à titre expérimental, les prérogatives judiciaires des agents de police municipale en leur permettant de constater davantage d'infractions, sous l'autorité du parquet.

Nous nous sommes attachés, au cours de nos travaux, à assurer l'opérationnalité et la constitutionnalité du dispositif. Le Conseil constitutionnel a en effet posé deux limites à l'extension des prérogatives des polices municipales. En 2011, il a précisé que les prérogatives de police judiciaire devaient être exercées sous l'autorité du procureur et que les policiers municipaux ne pouvaient bénéficier de pouvoirs généraux d'enquête criminelle ou délictuelle.

En ce qui concerne l'encadrement de l'expérimentation, et afin que l'autorité fonctionnelle du procureur soit effective, il nous a semblé nécessaire de maintenir la condition de présence d'un directeur ou d'un chef de service de la police municipale et un seuil suffisamment élevé pour garantir l'organisation d'un service de police municipale. Par un amendement, nous vous proposerons de porter le seuil à 15 policiers municipaux, avec la présence d'un directeur ou d'un chef de service.

Nous vous proposerons également de porter à 5 ans la durée de l'expérimentation, afin que nous puissions bénéficier d'un recul suffisant. L'exercice de nouvelles prérogatives nécessitera une formation, non seulement des directeurs et chefs de police, mais aussi des policiers municipaux, ce qui prend du temps. Comme nous sommes engagés dans un mandat municipal et qu'une évaluation doit être faite neuf mois avant la fin de l'expérimentation, il apparaît cohérent de « se caler » sur la durée de ce mandat.

Nous vous proposerons aussi de conserver la grande majorité des infractions proposées. Nous devons cependant nous assurer que les agents ne seront pas amenés à réaliser des actes d'enquête et que nous ne les mettons pas en danger. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'élargir les infractions à l'occupation illicite des terrains publics, mais de supprimer la possibilité de constater la consommation de stupéfiants, car cette prérogative doit continuer à relever des forces régaliennes. De la même manière, nous avons prévu de supprimer la possibilité pour les policiers municipaux de réaliser des saisies : il ne s'agit pas d'un acte anodin, et il faut pouvoir en apprécier l'opportunité.

Nous n'avons par ailleurs pas reçu de réponses satisfaisantes de la part des administrations centrales sur les modalités de conservation des scellés.

J'en viens à la formation des agents. Ceux qui, comme moi, ont été maire longtemps et ont vu évoluer les polices municipales savent combien cette question est cruciale. L'expérimentation ne prévoit une formation spécifique que pour les directeurs et chefs de service de la police municipale. Il nous a semblé que les policiers municipaux devaient également bénéficier d'une formation complémentaire, notamment en matière de procédure pénale. Nous sommes contraints par l'article 40 de la Constitution, mais nous pouvons décider de renvoyer à un décret le soin de définir les obligations de formation complémentaires qui s'imposeront aux agents de police municipale.

Enfin, nous vous proposerons de préciser que, dans les communes mettant en oeuvre l'expérimentation, la convention de coordination sera modifiée afin de définir les conditions dans lesquelles seront mises en oeuvre les nouvelles compétences de police judiciaire attribuées à la police municipale.

J'en viens maintenant aux autres dispositions relatives à la police municipale.

L'article 4 permet la création d'une police municipale à Paris. Il s'agit d'une conséquence logique des différents transferts de compétences en matière de police intervenus dans les années récentes. Nous présenterons un amendement qui permet de clarifier les choses.

L'article 5 prévoit de faciliter la mutualisation des polices municipales. Nous vous proposerons d'aller plus loin en permettant, d'une part, le maintien d'une convention de mutualisation en cas de retrait d'une commune entraînant une discontinuité territoriale et, d'autre part, la mutualisation à l'échelle d'un syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom) ou d'un syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU).

La proposition de loi institue également un cadre juridique pour les brigades cynophiles de la police municipale. Nous vous présenterons là aussi un amendement de clarification.

Enfin, l'article 6 prévoit d'imposer aux agents de police municipale un engagement de servir la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale qui a pris en charge leur formation. En cas de rupture de cet engagement, le policier municipal devrait rembourser le salaire qu'il a perçu durant sa formation. Il existe cependant déjà un dispositif permettant aux communes ayant financé la formation d'un agent de police municipale de se voir rembourser cet investissement. C'est la raison pour laquelle nous vous proposerons de supprimer l'article 6, qui fait peser un risque démesuré sur les agents.

J'en viens désormais au titre relatif aux forces de sécurité intérieure.

S'agissant du « célèbre » article 24, conformément à ce que nous avions annoncé, nous sommes partis d'une page blanche. Nous vous proposons une nouvelle écriture de cet article, dont la rédaction était mauvaise, imprécise et inconstitutionnelle. Les différentes manifestations qui ont eu lieu contre le texte exigeaient le retrait de l'article. C'est notamment pour que, dans la suite de la navette parlementaire, le Sénat puisse faire valoir sa position sur cet article, que nous avons souhaité proposer une nouvelle rédaction. J'ai la faiblesse de penser que cette rédaction est bien plus équilibrée et protectrice des libertés publiques que celle qui existe et que celle qui pourrait exister si nous ne faisions rien.

Le président du Sénat a rappelé les prérogatives constitutionnelles qui sont les nôtres, car le Premier ministre et la majorité ont eu la tentation de faire réécrire l'article par d'autres. C'est bien à nous de le faire !

Il nous a paru important que la protection des policiers, gendarmes et policiers municipaux dans le cadre des opérations auxquelles ils doivent participer soit explicitement prévue. Les événements récents ont montré qu'il fallait mieux protéger les forces de l'ordre en opération.

Comme nous l'a rappelé la Défenseure des droits, les agents des forces de l'ordre n'ont pas de droit à l'image pendant leurs interventions. L'action de la police est publique, et il n'existe pas pour ses agents de possibilité de « floutage », comme cela est de droit pour les mineurs ou ceux qui peuvent paraître comme tels, y compris lors des manifestations. Or cette action à visage découvert de la police, hors du cas très spécifique d'unités comme le RAID ou le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), est détournée par ceux qui entendent nuire aux forces de l'ordre et même à leurs familles.

Plusieurs dispositions du code pénal et de la loi de 1881 répriment les menaces de violences physiques ou psychologiques ou la diffusion malveillante de données touchant notamment les personnes chargées d'une mission de service public. C'est l'objet de l'article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République qui a été adopté par l'Assemblée nationale et qui protège tous les citoyens. L'article 24 que nous proposons protège, quant à lui, spécifiquement les forces de l'ordre en opération.

L'article 24 tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale vise à réprimer la diffusion malveillante d'images. C'est sa limite et, au regard du principe constitutionnel de nécessité et de proportionnalité des peines, l'infraction et le quantum prévu pour sa sanction ne nous paraissent pas conformes. L'article 24 doit être complémentaire, et non concurrent, de l'article 18 que je viens d'évoquer. Ce n'est pas la diffusion d'images qui est sanctionnée, mais l'intention de nuire : en cela, soit l'article sera inefficace, soit, comme nous l'ont dit avec force les représentants des journalistes, il sera source de dérives tendant à empêcher la prise d'images lors des opérations de police, ce qui constituerait une entrave à la liberté d'informer.

Il y a donc un vrai problème et une mauvaise solution. Nous avons tenté de trouver une meilleure solution en refusant toute entrave au droit de diffuser des images et à la liberté de la presse. La rédaction que nous vous proposons est en deux parties.

La première s'inscrit dans la partie du code pénal relative à la protection de la vie privée : elle réprime la provocation à l'identification des policiers, gendarmes et policiers municipaux dans l'intention de leur nuire. Il s'agit là d'une infraction spécifique, qui n'est pas actuellement couverte par notre droit. Nous avons auditionné le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, qui nous a remis un mémorandum extrêmement précis : notre proposition répond à l'ensemble des problèmes qu'il avait soulevés et tend à mieux protéger les personnels des forces de sécurité intérieure dans le cadre des opérations de police auxquelles ils participent.

La seconde partie découle de l'avis de la CNIL, dont la présidente nous avait indiqué que des dispositifs spécifiques de la loi « Informatique et libertés » pourraient s'appliquer aux forces de l'ordre. C'est la voie que nous avons choisie. Nous ne traitons pas de la diffusion d'images : la presse a toute possibilité de diffuser les images en vertu de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. En revanche, nous protégerons mieux l'utilisation de données personnelles en appliquant la loi « Informatique et libertés » avec un quantum de peine renforcée.

Nous supprimons toute interférence possible entre la protection des forces de l'ordre et le droit d'informer, mais nous ouvrons la possibilité de sanctionner des comportements réels, graves et dangereux. Voilà la position d'équilibre à laquelle nous sommes parvenus.

L'article 23 tend, quant à lui, à supprimer les crédits de réduction de peine pour les personnes ayant commis une infraction sur les élus ou les forces de l'ordre. En l'état, il pose un certain nombre de questions d'ordre constitutionnel. Nous vous proposerons un amendement visant à centrer le dispositif sur les infractions les plus graves et à élargir le champ des victimes concernées afin d'inclure les magistrats et les personnes dépositaires de l'autorité publique, par cohérence avec la liste des victimes retenues pour caractériser une circonstance aggravante. Nous ne pouvions accepter un dispositif qui soit encore plus sévère que celui qui est appliqué aux terroristes ! J'ai entendu le garde des sceaux s'exprimer ce matin sur ce sujet. Le dispositif de l'article 23 pourrait sembler la « genèse » de ce qu'il semble envisager.

En ce qui concerne enfin le dernier titre de la proposition de loi regroupant diverses dispositions, les amendements que je vous proposerai de retenir se concentrent sur deux objectifs principaux : éviter le détournement de l'usage des feux d'artifice à l'encontre des forces de l'ordre - les tristement célèbres mortiers - et fluidifier le fonctionnement des instances partenariales locales de sécurité.

Certains sujets n'ont malheureusement pas pu être examinés, car ils seraient tombés sous le coup de l'article 45 de la Constitution.

Avec Loïc Hervé, nous avons essayé de dépassionner le débat autour de l'article 24 et de trouver un nouvel équilibre entre le renforcement du continuum de sécurité et la préservation des libertés dans le respect de la Constitution et des valeurs qui font la force de notre République.

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