La façon dont nous traitons ce sujet grave pose beaucoup de problèmes. Nous avons à peine une heure pour examiner le rapport et les amendements ; j'en suis très surpris, car il y a une vraie carence du Gouvernement sur ce sujet. J'ai eu, à cinq reprises, l'occasion d'en parler au garde des sceaux.
Le Gouvernement, sommé par la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre dernier, avait les moyens de proposer un projet de loi pour le 1er mars ; il ne l'a pas fait. Dans ces conditions, il est bon que le Parlement assume son rôle. Je ne critique donc pas l'initiative de notre président, François-Noël Buffet, mais il eût été logique que nous fussions consultés sur le texte lui-même, qui pose de nombreux problèmes.
Monsieur le rapporteur, vous avez entendu quelques personnes, de manière rapide. J'ai pu assister à l'une de ces auditions, celle de l'Observatoire international des prisons (OIP), qui n'a pas beaucoup apprécié ce texte. D'autres interlocuteurs nous ont également fait part de leurs réticences. À cet égard, nous avons reçu, ce matin, une lettre de Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Je trouve incompréhensible, monsieur le rapporteur, alors que le sujet porte sur les conditions de détention indignes, qu'elle n'ait pas été auditionnée. Cette lettre, envoyée à tous les membres de la commission des lois du Sénat, est un réquisitoire contre un certain nombre de dispositions de la proposition de loi.
Premièrement, Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté explique que la durée de l'ensemble de la procédure peut en réalité atteindre deux à trois mois et que cette durée est excessive en cas d'atteinte aux droits fondamentaux. Par ailleurs, elle déclare que la saisine du juge obéit à des procédures trop complexes et demande que tout détenu puisse directement saisir le juge, même sans avocat.
La décision de la Cour de cassation n'est pas non plus respectée. En effet, celle-ci demande que toute personne détenue soit en situation de se référer aux conditions générales de détention. Quand, dans le texte, vous réduisez la possibilité d'intervenir à un caractère « circonstancié, personnel et actuel », c'est contraire à ce que demandent la CEDH et la Cour de cassation. Il suffit, dans le cadre d'un recours, que la personne fasse la démonstration du caractère indigne de ses conditions de détention.
Se pose ensuite la question du transfèrement qui, dans cette affaire, ne doit pas devenir une solution de facilité. Il faut savoir que plusieurs centaines de détenus dorment aujourd'hui sur des matelas par terre dans des cellules de quatre personnes. À ces détenus, nous allons dire : « Vous protestez contre vos conditions de détention, alors nous allons vous transférer dans un autre endroit à 800 kilomètres. » Première objection : quelqu'un d'autre va revenir sur le matelas, et un simple transfert ne règlera pas le problème. Deuxième objection : si l'on transfère un détenu, il faut prendre en compte sa situation familiale, ses conditions sociales, ses droits à la défense, sa démarche d'insertion professionnelle... Tout cela doit être écrit noir sur blanc, c'est ce que nous demande Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, et cela ne figure absolument pas dans le texte que vous nous proposez d'adopter.
Je souhaite ensuite revenir sur ce passage précisant que le juge judiciaire ne peut enjoindre quoi que ce soit auprès de l'administration pénitentiaire. Mes chers collègues, il y a là un paradoxe : on nous dit qu'un détenu doit pouvoir saisir un juge judiciaire et, ensuite, que ce juge ne peut rien enjoindre ; c'est incompréhensible, autant en rester à la solution du tribunal administratif. On nous dit également que le juge peut entendre la personne ; ne serait-il pas préférable que la personne ait le droit d'être entendue par le juge ? C'est élémentaire.
Non seulement nous avons déposé des amendements, mais nous avons également déposé une proposition de loi. J'ai remarqué que vous n'en aviez pas tenu compte. Notre proposition de loi reprend beaucoup d'éléments suggérés par l'OIP et par un certain nombre de magistrats et de professionnels de l'administration pénitentiaire.
J'ai été contrarié par la conclusion de votre propos, monsieur le rapporteur. Si vous nous invitez à voter ce texte avec quelques corrections de détail, je serai très déçu. Je vous propose de reprendre certains de nos amendements, qui sont volontairement nombreux afin que l'on puisse débattre au fond des problèmes. La condition des détenus est un sujet qui mérite, à mon sens, plus d'une heure de débat dans notre commission. Le texte sera examiné en séance publique lundi. Avec quinze jours supplémentaires, nous aurions pu améliorer ce texte. Tout cela, de surcroît, pour reprendre purement et simplement un texte que le Gouvernement avait essayé de faire passer en cavalier législatif dans son projet de loi sur le Parquet européen...
L'initiative vient du Gouvernement, qui souhaite une procédure accélérée à condition que l'on reprenne son texte. Nous ne sommes pas obligés de céder devant ce chantage. On nous somme de légiférer, mais que l'on nous laisse faire ce que nous voulons ! De toute façon, le Gouvernement se retrouve de plus en plus en tort, car il ne respecte pas la décision du Conseil constitutionnel. Or, je le rappelle, les décisions du Conseil constitutionnel s'appliquent à toutes les autorités publiques.