Intervention de Clément Dherbecourt

Mission d'information Égalité des chances — Réunion du 3 mars 2021 à 17h00
Mobilité sociale et reproduction des inégalités — Audition de Mme émilie Raynaud responsable de la division des études sociales de l'institut national de la statistique et des études économiques insee M. Clément Dherbécourt chef de projets au département société et politiques sociales de france stratégie et M. Michael Förster analyste au sein de la direction de l'emploi du travail et des affaires sociales de l'organisation de coopération et de développement économiques ocde

Clément Dherbecourt, chef de projets au département société et politiques sociales de France Stratégie :

Je vais commencer par des définitions et des remarques méthodologiques, je présenterai ensuite rapidement certains travaux que nous avons récemment publiés sur la question de la mobilité sur les revenus, puis j'essaierai de répondre à la question qui m'a été posée lorsqu'on m'a invité : la France est-elle pire que ses voisins, et est-ce de pire en pire ?

Je commence donc par quelques définitions. Étudier la reproduction des inégalités, c'est se demander dans quelle mesure le statut des parents - qu'on peut mesurer par la profession, les revenus, le patrimoine, le niveau d'éducation et encore d'autres dimensions - se transmet en moyenne à leurs enfants. J'insiste sur cette moyenne, parce que dans les débats sur la mobilité sociale, on a tendance à voir l'inégalité des chances comme un pur déterminisme social total, où l'origine sociale déterminerait la trajectoire, les revenus, et la profession des enfants. Or, c'est vrai en moyenne, mais à un niveau individuel, on trouve des enfants d'ouvrier parmi les ménages aisés, parmi les ménages plus modestes, et inversement. Des gens se retrouvent en haut et en bas de la distribution des revenus et des professions, et finalement l'origine sociale n'explique qu'une part marginale de l'inégalité des revenus dans la société : 15 % de celle-ci s'explique par l'origine sociale, donc 85 % de l'inégalité se produit à origine sociale donnée. L'idée est donc qu'on a une inégalité des chances entre enfants d'ouvrier et de cadre en moyenne, mais que parler de déterminisme social excède ce que nous disent les données.

Plusieurs approches sont complémentaires dans l'étude de la mobilité sociale. J'ai parlé des différentes dimensions : la profession, le revenu, le patrimoine, le niveau d'éducation. Nous souffrons toutefois d'un problème de disponibilité des données au niveau international. La plupart des études se sont donc concentrées sur la profession et le revenu, avec des limites importantes sur lesquelles je reviendrai. À France Stratégie, nous avons voulu insister sur la dimension des revenus. Dans une publication de 2018, nous avons regardé l'origine sociale des différents déciles de revenu, avec un zoom sur les revenus les 10 % puis les 1 % les plus élevés. Nous avons détaillé la composition en termes d'origine sociale des différents déciles de revenus. Plus on va vers les revenus élevés, plus les enfants de cadres supérieurs prennent de la place, jusqu'à représenter quasiment la moitié de la population parmi celle dont les revenus sont dans les 1 % les plus élevés. Plus vous allez vers les hauts revenus, plus vous avez des enfants de cadres et moins vous avez d'enfants d'ouvriers - en particulier non qualifiés. On retrouve quand même des enfants d'ouvriers et d'employés au sein du top 10 % et du top 1 % des revenus, donc il n'y a donc pas de déterminisme pur de l'origine sociale sur le destin des individus.

Une autre manière de représenter ces mêmes données est d'examiner le destin des individus selon la profession des parents. On a présenté, selon leur origine sociale, la probabilité d'accès des enfants au groupe des 20 % des revenus les plus élevés et à celui des 20 % des revenus les plus faibles. On constate alors de très fortes inégalités des chances : la probabilité qu'un enfant de profession libérale accède au groupe des 20 % des revenus les plus élevés est 5 fois plus importante que pour un enfant d'ouvrier agricole, et inversement, les probabilités d'accès au bas de la distribution des revenus sont plus importantes pour les individus d'origine modeste.

On avait mesuré qu'environ 1 000 euros par mois, en niveau de vie, séparaient un enfant de cadre et un enfant d'ouvrier, et sur ces 1 000 euros, 500 viennent des écarts de niveau d'éducation. C'est le canal qui explique la moitié des écarts selon l'origine sociale. Le facteur éducatif est donc primordial si l'on veut lutter contre la reproduction des inégalités.

1 commentaire :

Le 24/05/2022 à 09:37, aristide a dit :

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"On avait mesuré qu'environ 1 000 euros par mois, en niveau de vie, séparaient un enfant de cadre et un enfant d'ouvrier,"

Ce serait plutôt entre 2000 et 4000 euros.

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