Le problème est très complexe et multifactoriel : à France Stratégie, nous n'avons pas formulé de recommandation précise de politique publique, que ce soit sur l'éducation ou d'autres secteurs. Nous discutons plusieurs pistes dans lesquelles les politiques publiques devraient investir davantage.
Lorsqu'on reprend l'analyse territoriale, on voit que certaines régions et certains quartiers s'en sortent moins bien en termes de perspectives pour les individus. La caractéristique de la France consiste notamment - et cela rejoint les propos de Michael Förster - en une inégalité territoriale importante, avec deux régions, au nord et au sud, qui cumulent des difficultés : les anciennes régions Languedoc-Roussillon et Nord-Pas-de-Calais, ainsi que la Somme et l'Aisne. Depuis quarante ans, ces régions cumulent toujours les mêmes problèmes, avec un taux de chômage important, des revenus plus faibles, et on note assez peu de convergence vers les autres territoires. En effet, certains territoires, comme la Corse et les DOM, partent d'un niveau de développement plus faible mais on observe chez eux une certaine convergence économique, qu'on ne constate pas au nord et au sud de la France métropolitaine. Des dynamiques défavorables aux individus s'y mettent en place sur le long terme. Il faut donc une politique qui vise ces deux ensembles de territoires défavorisés, par exemple par des politiques incitatives pour que les entreprises y localisent des emplois de qualité. Au niveau de l'emploi public également, l'État aurait intérêt à y localiser des emplois, d'autant qu'ils sont dans certains cas peu dotés en emplois publics par habitant.
Il convient enfin d'insister encore et toujours sur le poids de l'éducation. C'est un champ de recherche tellement vaste que je n'ai pas de recommandation de politique publique particulière, mais si on veut améliorer l'égalité des chances, elle constitue un passage obligé. Michael Förster parlait à cet égard de mixité sociale ou de ciblage, mais nous n'avons pas de formulation plus précise à proposer.
Avant d'en terminer, je voulais revenir sur le chiffre des six générations qu'il faudrait à une famille modeste pour revenir à la moyenne. Ce chiffre, tiré de l'introduction du rapport de l'OCDE sur le sujet, a rencontré un grand succès et a été très repris, ce qui est très bien car cela a favorisé le débat sur ces questions : le Secours populaire en a fait une affiche diffusée dans le métro. Je voudrais rappeler les précautions à prendre avec ce chiffre, tant sur les données que sur l'interprétation du résultat. C'est un calcul théorique, qui vise à prendre le coefficient d'inertie des revenus d'une génération sur l'autre - dont je vous ai précédemment parlé - de 40 % et à l'appliquer de manière successive sur six générations pour examiner l'effet sur la trajectoire des revenus. Le problème est qu'on a aujourd'hui une inertie de revenus de 40 % en France, mais qu'on ne dispose pas de données sur le long terme. Sur la trajectoire des individus sur six générations, aucun pays n'a de données aussi précises. D'autre part, sur les six générations nécessaires pour revenir à la moyenne, il faut noter qu'au bout de trois générations, l'écart est déjà réduit de 85 % : il ne reste plus que 15 % à parcourir avec les trois générations suivantes. Cela est lié à un phénomène de non-linéarité.