Intervention de Gérard Terrien

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 mars 2021 à 9h05
Solidarité et renouvellement urbains — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes :

La Cour a été saisie de ce dossier il y a un an, et si le contexte sanitaire a compliqué notre tâche, rendant difficiles des visites sur place, nous avons réalisé une soixantaine d'entretiens avec les administrations, les bailleurs, les associations, la Caisse des dépôts et consignations, et nous nous sommes intéressés à cinq territoires en particulier : les Hauts-de-Seine, le Nord, la Charente-Maritime, les Alpes-Maritimes et le Val-de-Marne. Un travail préalable de la cinquième chambre nous a aidé.

La loi du 31 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) a considérablement évolué, avec la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, pour laquelle l'abbé Pierre était venu au Parlement, la loi du 5 mars 2007, dite loi DALO, instituant le droit au logement opposable, la loi « Duflot » du 18 janvier 2013, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), la loi Égalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017 et la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). La loi SRU concerne près de 8 000 communes et un peu plus de 2 000 communes entrent dans le champ de l'article 55. Un millier d'entre elles n'atteignent pas le taux requis de logements sociaux et 280 sont dites « carencées » dans le triennal 2017-2019. Le montant des prélèvements nets totaux approche 100 millions d'euros chaque année. Cependant, la répartition territoriale montre une forte concentration du mécanisme sur les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Nous avons constaté que le dispositif était désormais reconnu quant à ses objectifs et son efficacité : si la majorité de nos interlocuteurs souhaitent des adaptations, l'article 55 de la loi SRU n'est pas remis en cause dans son principe. Les services de l'État se sont beaucoup impliqués dans la mise en oeuvre de la loi. Nous constatons aussi un effet indéniable sur la production de logements sociaux : plus de la moitié des logements sociaux construits entre 2014 et 2016 l'ont été dans les communes soumises à la loi SRU. En Île-de-France, le nombre de communes disposant de logements locatifs sociaux était de 593 en l'an 2000 et de 691 en 2019. Cependant, la construction HLM n'a représenté en moyenne dans cette région que 18 % à 40 % de la construction neuve : il n'y a donc pas de rattrapage. Nous constatons également un effet beaucoup plus modéré sur la mixité sociale. En outre les résultats sont inégaux selon les communes : la moitié seulement des communes ont atteint l'objectif fixé. L'objectif pour 2025 ne sera pas atteint pour la moitié des communes, d'où les débats qui conduisent à la préparation de mesures dans la loi « 4 D ».

Dans le fonctionnement même du dispositif, nous avons constaté une recherche d'équilibre entre les principes légaux et la prise en compte des contraintes locales. Nous avons remarqué combien la production de logement a changé depuis vingt ans. Nous constatons encore, et c'est un point de différence avec le rapport de Thierry Repentin, une contradiction entre les compétences confiées aux intercommunalités en matière de logement, et la responsabilité reconnue au maire dans l'application de la loi SRU.

Cette loi a été appliquée de façon uniforme dans toutes les zones urbaines. Les spécificités locales ont été insuffisamment prises en compte, alors qu'il y a de fortes disparités, en particulier dans la pression foncière ou les contraintes limitant la constructibilité, sans parler des questions de peuplement. Les modalités de construction du logement locatif social ont fortement évolué elles aussi : la vente en état futur d'achèvement (VEFA) a pris de l'ampleur, avec des conséquences directes sur le financement, mais aussi sur la mixité des projets et les délais de réalisation.

Les modifications apportées pour plus de souplesse ont rendu l'ensemble parfois bien complexe. On le voit dans le recensement des communes soumises à la loi SRU, dans l'extension de l'inventaire des logements pris en compte. S'agissant des exemptions, l'indicateur de tension de la demande de logement social est fondé sur l'enregistrement national des demandes, lequel est erroné à 20 %, nous l'avons montré dans notre rapport public de 2020 ; de même, la notion de desserte des transports en commun vers le bassin d'emplois est relative et les contraintes de constructibilité sont difficiles à apprécier.

Nous avons aussi noté les difficultés du suivi et du bilan triennal, dès lors qu'on mêle des critères quantitatifs et qualitatifs relatifs à la nature des logements, avec des difficultés de conciliation entre eux et des arbitrages qui ne sont pas uniformes, provoquant des difficultés d'ajustement triennal. Enfin, l'établissement de la liste des communes carencées a constitué un enjeu important, dès lors qu'elle a eu un impact fort pour les communes concernées. Il faut donc que la loi précise la doctrine des exemptions et la gestion des reports d'une période triennale à la suivante.

Du côté du contrôle, nous estimons qu'il faut adapter les outils à la complexité du dispositif et à la diversité des acteurs. La bonne application de l'article 55 de la loi SRU mobilise les services de l'État. Le contentieux a progressé, il s'est complexifié et il faut mieux le suivre à l'échelon national car l'administration centrale ne dispose pas de toutes les informations, afin de mieux appréhender les adaptations éventuelles. Nous pensons qu'il faut aussi un ancrage régional, avec une expertise et un appui technique de niveau régional, alors que cette expertise et cet appui sont départementaux ou nationaux. Il faut améliorer les outils de suivi et le contrôle de la chaîne financière, le mécanisme d'intégration des données et il y a des difficultés avec le calcul des indices de tension. Il faut bien suivre l'utilisation du prélèvement qui est versé aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), en précisant mieux le champ des dépenses déductibles de ces prélèvements. Enfin, si les moyens légaux de coercition existent, comment peuvent-ils être mis en oeuvre concrètement, en particulier lorsqu'ils consistent à faire reprendre par le préfet la compétence du permis de construire, ce qui suppose des moyens techniques dont il ne dispose pas nécessairement ? Il faut être pragmatique, la solution est aussi à rechercher du côté des retours d'expérience et de la diffusion des bonnes pratiques. Il faut aussi une harmonisation nationale, en clarifiant l'articulation entre la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), les services déconcentrés et la commission nationale SRU : l'organigramme est complexe. Il faut également plus d'adaptation à l'échelon local, en promouvant, nous semble-t-il, l'échelon régional, pour un appui technique et de l'expertise.

Nous avons enfin tenté d'anticiper l'échéance de 2025, sachant qu'environ 600 communes n'atteindront pas leurs objectifs légaux, ce qui implique d'adapter les règles. Les services déconcentrés de l'État sont pragmatiques, ils recherchent les solutions adaptées, en privilégiant le qualitatif ou le quantitatif selon les cas de figure, avec des problèmes de suivi des plans locaux de l'habitat (PLH). Notre rapport montre que même si l'objectif était de 20 %, plus de 100 communes ne l'atteindraient pas. Nous pensons qu'il faut rechercher une adaptation, en affinant la connaissance, par territoire, des situations difficiles, et mieux prendre en compte l'objectif de mixité sociale. La meilleure prise en compte des spécificités locales passe aussi par la contractualisation, avec les contrats de mixité sociale, par une approche intercommunale, mais aussi par un calendrier différencié pour tenir compte de certaines difficultés.

La principale adaptation consisterait donc à mieux prendre en compte les caractéristiques des communes carencées, intercommunalité par intercommunalité, et à avoir une application plus différenciée, sans changer le cap national. L'objectif de mixité sociale devrait conduire à une réflexion au-delà de 2025, qui intègre la démographie et les évolutions potentielles de la répartition territoriale.

Nous avons retenu 9 recommandations, qui s'adressent au ministère du logement : préciser la doctrine en matière de mécanisme d'exemption et de gestion des reports ; assurer le suivi des contentieux au plan national ; développer un rôle d'expertise au plan régional, d'harmonisation et d'appui technique au profit des services déconcentrés ; améliorer les outils de recensement et de suivi des situations locales ; inscrire l'obligation de rendre compte de l'emploi des sommes issues des prélèvements SRU pour les établissements publics de coopération intercommunale et pour les établissements publics fonciers et donner à l'État la possibilité d'agir en cas d'usage non conforme des crédits ; préciser, au niveau national, les conditions d'utilisation des moyens de l'État en cas de carence en assurant une diffusion des éléments de doctrine, ainsi qu'une information sur les expériences, les initiatives positives ; établir, dans la perspective de 2025, une projection précise de l'identité des caractéristiques des communes susceptibles de ne pas remplir leurs objectifs ; intégrer, dans l'enquête annuelle de suivi, des indicateurs pour mieux apprécier l'évolution de la mixité sociale ; enfin prévoir, pour certaines communes, une application différenciée du calendrier d'atteinte du taux de logements sociaux, en valorisant les objectifs de mixité sociale.

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