Merci pour cette enquête et ce rapport qui tombent à point nommé, avant le texte « 4 D » : c'est ce que nous espérions en vous passant commande, car nous savions que bien des communes n'atteindraient pas leur objectif légal en 2025, et que les meilleurs bâtisseurs pourraient se décourager des efforts qu'ils avaient faits.
Nous vous avons demandé de vérifier si les intentions du législateur ont été respectées, de voir comment l'État a mis en oeuvre le dispositif sur le terrain et comment les élus s'en sont saisis.
La loi, en 2000, avait deux objectifs : la construction et la mixité sociale - le premier a pris le pas sur le second, dont on ne parle plus guère. Depuis vingt ans, les règles ont changé : le législateur a renforcé les objectifs, les pénalités, les pouvoirs du préfet, mais aussi assoupli les exemptions, les possibilités de déroger, voire de gérer les objectifs à l'échelon intercommunal, les contrats de mixité sociale ont été prévus, qui ont cependant pu fixer des objectifs inférieurs à ceux de la loi, donc accepter une application à géométrie variable. Le paradoxe est que si l'on a durci et assoupli la loi pour mieux l'appliquer, les objectifs qu'elle a fixés ne seront, malgré tout, pas atteints.
Le constat d'ensemble, c'est que si l'on a construit plus de logements sociaux, pour atteindre ainsi les objectifs triennaux, la mixité sociale n'a pas été améliorée. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder de plus près, à l'échelle des territoires. Si, dans certaines communes, la mixité sociale n'a pas progressé parce qu'on a construit des logements en prêts locatifs sociaux (PLS) plutôt qu'en prêts locatifs d'accession et d'insertion (PLAI), dans d'autres communes, par exemple dans mon département, la simple construction de logements sociaux supplémentaires pose des problèmes au regard de la mixité. C'est ce qu'indique l'indice de ségrégation territoriale : il se dégrade, malgré la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU. Une politique de logement qui ne joue que sur le taux de construction peut-elle assurer une meilleure mixité ? Quel bilan faites-vous d'une trop faible utilisation des contrats de mixité sociale ? Nous avons des objectifs quantitatifs, ne faudrait-il pas un deuxième indicateur, par exemple le revenu médian par habitant ?
Nous savons, ensuite, combien l'application de la loi a varié sur le territoire, ce qui conduit à ce que 280 communes soient aujourd'hui carencées. J'ai rencontré Thierry Repentin, président de la commission nationale SRU, et son rapport démontre que sur 2 091 communes visées par l'article 55 de la loi SRU, 1 100 sont déficitaires, contre 767 qui ont atteint l'objectif légal - et que plus de 500 communes sont à plus de dix points de l'objectif, c'est considérable. L'écart ne sera pas rattrapé, ou bien il faudrait construire 600 000 logements sociaux d'ici 2025 dans ces seules communes, ce qui est bien sûr impossible.
Que faire pour continuer à construire des logements dans ces communes, mais avec des objectifs réalistes et atteignables ? Plusieurs hypothèses ont été formulées, sans que l'on sache celle que retiendra le Gouvernement dans son projet de loi « 4 D ». Un simple report à 2031 suffirait-il ? Je ne le crois pas. Thierry Repentin propose soit un objectif glissant, avec un rythme de rattrapage par période triennale, soit une échéance fixe mais plus tardive et déterminée en fonction du taux de logements sociaux déjà atteint. Une proposition différente serait de travailler sur les flux plutôt que seulement sur les stocks ; la Cour des comptes a écarté cette hypothèse, considérant qu'elle ne répondrait pas à l'objectif, mais est-ce si sûr ? Il me semble que cette proposition rapprocherait de l'objectif.
Un autre élément va jouer : la suppression de la taxe d'habitation et les exonérations de taxe foncière dont bénéficient les bailleurs sociaux et qui sont en fait payées par les communes puisque l'État ne les compense quasiment plus. Thierry Repentin a fait remarquer qu'avec les règles actuelles, une commune carencée aurait avantage à construire du logement privé pour percevoir de la recette fiscale qu'elle utilisera ensuite pour payer les sanctions pour manque de construction sociale...
Sur les intercommunalités, la loi a prévu des expérimentations, mais le mécanisme est manifestement complexe ; qu'en pensez-vous ?
Enfin, on peut être surpris que l'État ne suive pas mieux les contentieux, alors qu'il y aurait certainement des leçons à en tirer.