Intervention de Manuel Domergue

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 mars 2021 à 9h05
Solidarité et renouvellement urbains — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé Pierre :

Merci pour votre invitation. Je constate que nous menons un vrai débat sur la loi SRU, loin des échanges de points de vue caricaturaux qui avaient lieu il y a quelques années encore. Le débat gagne en qualité avec le temps, la loi SRU apparaît de plus en plus comme une bonne loi parce qu'elle est simple, comprise par nos concitoyens, et qu'elle fixe un objectif commun ; elle est intelligente, parce qu'elle a su s'assouplir et laisser des marges de manoeuvre pour l'application ; elle mobilise l'opinion et je rappelle que l'abbé Pierre était venu en personne la défendre au Parlement. Cependant, l'article 55 ne résout pas tous les problèmes de la société française et c'est déjà un très bon résultat que d'avoir conduit à construire des logements sociaux dans des communes qui n'en avaient pas. Car l'objectif en la matière n'est pas seulement la mixité sociale, mais les conditions de logement de ceux qui vont bénéficier des logements construits, qui sont de bonne qualité et bien gérés, mieux répartis sur l'ensemble du territoire. Parmi les outils développés au gré des adaptations, les objectifs ciblés et qualitatifs, exprimés en logements PLAI et PLS, ont été très utiles face aux contournements de la loi ; ces objectifs qualitatifs ne sont intervenus cependant qu'en 2013 et leur incidence n'a donc pu être mesurée que dans le dernier triennal, après une certaine tolérance envers l'irrespect de la loi au cours de la première période triennale.

En réalité, il n'y a pas assez de nouveaux logements PLAI et l'on doit bien constater que les politiques d'attribution reposent souvent sur un accord implicite pour accueillir en priorité les ménages habitant déjà la commune et pour ne pas accueillir ceux qui sont les plus pauvres. Le sociologue Fabien Desage démontre bien que les arrangements locaux empêchent en réalité l'attribution des nouveaux logements sociaux aux ménages les plus pauvres, ce qui explique qu'en dépit des constructions neuves, l'indice de ségrégation sociale continue de se dégrader. Dans les outils de suivi et de régulation, il faudrait en réalité inclure la production de locaux privés - nous le faisons à travers la base des permis de construire Sitadel, qui établit l'usage du foncier par les communes et qui montre que dans bien des cas, si l'on peine à dégager du foncier pour des logements sociaux, on en trouve pour des locaux privés.

Il y a des cas limites, en particulier en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA). On est certes partis de loin, mais avec le laxisme du préfet, un écosystème local, une contestation explicite de la loi SRU par les élus locaux, par la majorité départementale voire régionale, l'État peine à faire appliquer la loi et se trouve un peu comme un professeur face à tellement de mauvais élèves qu'il hésite à punir toute la classe. Et comme, faute d'ingénierie et de volonté politique, l'État ne reprend pas la compétence urbanisme en cas de carence, comme la loi l'autorise à le faire, il ne va pas au bout de la sanction, y compris avec les communes qui sont carencées depuis vingt ans et qui, dans ce délai, ont vu leur taux de logements sociaux diminuer.

Nous avons, à la fondation Abbé Pierre, beaucoup travaillé avec la commission nationale SRU et nous nous associons au rapport de Thierry Repentin. Nous avons prévenu que l'échéance de 2025 ne serait pas tenue et qu'il fallait anticiper. Un dispositif pérenne avec un objectif glissant va dans le bon sens, à partir du moment où on le dote d'une « clause du dernier pas », car une commune pourrait toujours voir l'horizon reculer sans jamais l'atteindre tout en respectant les objectifs glissants ; comme le recommande la Cour des comptes, il convient en l'espèce d'avoir des objectifs différenciés, justement pour traiter de tels cas.

La définition des objectifs à l'échelle intercommunale ne nous semble pas une bonne idée, car les maires ont beaucoup de compétence en matière de logement, même si, en théorie, les intercommunalités développent les leurs. En réalité, sur la production et l'attribution, ce sont les maires qui ont la main, il est donc sain que le maire soit au centre du mécanisme SRU. Le travail remarquable fait par l'intercommunalité du Grand Poitiers, cependant, ne saurait servir d'exemple pour des communes comme Nice ou Cannes, car la situation n'y est pas du tout la même, du simple fait qu'il n'y a pas de tension sur le logement social à Poitiers, alors qu'elle est très vive sur la Côte d'Azur. Il faut donc faire attention dans les comparaisons.

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