Intervention de Jean-Yves Roux

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 mars 2021 à 9h00
Expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-Yves RouxJean-Yves Roux, rapporteur :

Fruit d'une réflexion de longue haleine, nos travaux ont été rejoints par une actualité tragique, dont les conséquences judiciaires ne sont pas achevées : je veux bien entendu parler du meurtre de Sarah Halimi, dont l'examen par la Cour de cassation a débuté mercredi 3 mars dernier. Tout en l'intégrant à notre réflexion, nous avons cependant tenté de prendre le recul nécessaire à l'appréciation sereine du problème auquel nous faisons face.

Ce problème est celui de la relation entre le magistrat et l'expert chargé de l'éclairer par son savoir scientifique dans un domaine particulièrement sensible, celui de l'état mental d'une personne accusée d'un crime ou d'un délit. Paradoxalement, alors même que la scientificité de l'expertise psychiatrique connaît encore des détracteurs, on lui demande de plus en plus de se prononcer sur des questions graves, susceptibles de déterminer le sort de l'accusé et la perception de la justice rendue par les victimes et leurs familles. On a tendance aussi à la confondre avec ce qu'elle n'est pas, notamment l'expertise criminologique quand il s'agit de déterminer le risque de récidive ou la dangerosité.

Avant de laisser la parole à Jean Sol, je me concentrerai sur le nombre de sollicitations d'expertises et sur la question fondamentale du discernement.

Je souhaite tout d'abord rappeler le principe énoncé à l'article 427 du code de procédure pénale : c'est le juge qui décide, nul ne peut se substituer à lui et il ne peut se défausser sur personne de cette obligation qui lui est faite de rendre justice.

Si le juge peut recourir à des experts pour l'aider dans sa tâche, dans quelque domaine que ce soit, il n'est pas tenu par leurs avis - la jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur ce point. Le juge peut aussi choisir librement un expert, au-delà des listes établies par les cours d'appel ou la Cour de cassation.

Le lien de confiance entre le juge et l'expert est donc essentiel, ce qui explique pourquoi les magistrats préfèrent travailler avec certains experts, dont ils partagent les analyses en matière de responsabilité pénale. La psychiatrie est en effet partagée en écoles scientifiques et théoriques, qui peuvent peser sur l'appréciation du discernement ou du risque de récidive.

Comme l'a souligné la Chancellerie lors de son audition, les fondements permettant de recourir à une expertise psychiatrique en matière pénale sont multiples - compatibilité de l'état de santé d'une personne avec une mesure de garde à vue, détermination de la responsabilité pénale au sens de l'article 122-1 du code pénal, recueil d'éléments de personnalité et, en « post-sentenciel », évaluation de la dangerosité d'une personne condamnée et des risques de récidive, etc.

De surcroît, en dehors des hypothèses dans lesquelles l'expertise est obligatoire, la juridiction de l'application des peines peut toujours diligenter une expertise si elle l'estime utile.

La Chancellerie a insisté sur le nombre finalement réduit d'expertises obligatoires dans la masse des expertises conduites, et sur une forme de sur-sollicitation des experts par les magistrats et les parties. Clairement, une mise à plat doit intervenir et conduire à la définition de bonnes pratiques dans une circulaire du garde des sceaux, pour éviter tout recours excessif. Un équilibre doit être trouvé entre la multiplication des avis et la nécessité de juger.

Depuis 2008, le nombre de cas où le juge se voit imposer l'obligation de recourir à une expertise a augmenté. Or aucun bilan n'a été fait de ces mesures, qui touchent pourtant aux limites de ce que peut la psychiatrie : prédire le comportement à venir. De nombreux experts auditionnés nous ont indiqué que ce travail serait sans doute mieux fait par d'autres professionnels que les psychiatres. Nous souhaitons donc qu'un bilan de ces expertises obligatoires en matière de dangerosité puisse être conduit par les inspections des ministères.

A minima, les expertises obligatoires posent d'importantes difficultés si elles ne sont pas conduites dans des délais raisonnables, et lorsque la réalité des faits ne correspond pas aux conclusions de l'expertise. C'est ce bilan précis qui nous manque.

J'en viens à la raison historique du recours à l'expertise psychiatrique en matière pénale, la détermination du discernement. Je rappelle que l'article 122-1 du code pénal prévoit deux cas dans lesquels le discernement entraîne une absence totale ou partielle de sanction pénale : l'abolition du discernement, qui interdit la condamnation, et son altération, qui entraîne une réduction de peine.

Nos deux commissions se sont penchées il y a plus de dix ans sur cette question et le rapport de nos collègues de l'époque reste malheureusement d'actualité. Trop de personnes atteintes de troubles mentaux sont en prison. À l'inverse, l'assassinat de Mme Halimi a montré que, malgré les réformes de procédure mises en place en 2008 pour que le prononcé de l'irresponsabilité ne puisse être assimilé à une exonération, un important travail reste à conduire pour que les parties civiles ne s'estiment pas trahies quand une décision d'abolition du discernement est rendue.

La décision d'irresponsabilité rendue en première instance et en appel dans l'affaire Halimi est pendante devant la Cour de cassation. Elle pose une question de droit, que notre collègue Nathalie Goulet avait soulevée en février 2020 lors d'un débat en séance publique. Dans quels cas l'utilisation de psychotropes est-elle une circonstance aggravante ? Dans quels cas au contraire est-elle une cause d'abolition du discernement ? La question de droit est celle de la lettre de l'article 122-1, qui reconnaît le « trouble psychique ou neuropsychique » comme seule cause de l'abolition du discernement. Or l'intoxication peut provoquer des bouffées délirantes en dehors de toute pathologie. Si l'intoxication est volontaire, on peut considérer qu'il y a été procédé en connaissance de cause.

Toutefois, si les conséquences psychiatriques de l'intoxication ont été subies involontairement, l'abolition nous paraît possible. Nous souhaitons donc contribuer au débat actuel en formulant une proposition de rédaction en ce sens. Concrètement, l'intoxication peut avoir été recherchée pour commettre une infraction, mais il peut aussi exister des cas dans lesquels cette intoxication a eu des conséquences psychiques que l'auteur de l'acte ne pouvait anticiper. Il nous paraît important que le juge puisse prendre en compte cette réalité.

Il s'agit à l'évidence d'un sujet complexe, sur lequel les débats doivent se poursuivre. La frontière entre altération et abolition reste et restera particulièrement difficile à déterminer. C'est pourquoi l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale demeure essentielle. Il nous paraît donc indispensable de la recentrer sur ce point et d'oeuvrer pour que les relations entre magistrats et experts soient les plus efficaces possible, au service de la justice.

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