Intervention de Jean-Louis Bianco

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 mars 2021 à 9h00
Projet de loi confortant le respect des principes de la république — Audition de Mm. Jean-Louis Bianco président et nicolas cadène rapporteur général de l'observatoire de la laïcité

Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité :

Permettez-nous tout d'abord de remercier très chaleureusement la commission de cette invitation qui va nous permettre d'évoquer l'important projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je vous présenterai succinctement l'Observatoire de la laïcité et les missions qui lui ont été assignées. Nous saluons à cette occasion le président de votre commission, François-Noël Buffet, qui fut un temps membre de notre instance, ainsi que Muriel Jourda, actuelle membre représentant le Sénat aux côtés de M. Jean-Claude Requier, récemment nommé par M. le président Gérard Larcher.

L'Observatoire de la laïcité est une commission consultative placée auprès du Premier ministre, créée en 2007 par un décret pris sur l'initiative du Président de la République Jacques Chirac, signé du Premier ministre Dominique de Villepin et des ministres Nicolas Sarkozy, Philippe Douste-Blazy, Gilles de Robien, Pascal Clément, Xavier Bertrand, Christian Jacob et François Baroin. En s'appuyant sur ce même décret inchangé, ce qui traduit une certaine continuité républicaine, cette instance a finalement été installée en 2013 par le Président de la République François Hollande. En 2018, après que le Président de la République Emmanuel Macron et le Premier ministre Édouard Philippe eurent renouvelé notre instance pour cinq ans, l'Observatoire de la laïcité a été reconnu, par vous-mêmes, par la loi.

Il est composé, d'abord de représentants des sept administrations centrales les plus directement concernées, c'est-à-dire les directeurs ou secrétaires généraux, ou leurs représentants, ensuite de personnalités qualifiées nommées pour un mandat de quatre ans par le Premier ministre en raison de leur compétence sur le sujet, qui sont actuellement des membres du Conseil d'État et du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), des inspecteurs généraux de l'éducation nationale, des sociologues, écrivains et anthropologues et des représentants du monde du travail et des collectivités locales, et enfin, de quatre parlementaires, de la majorité comme de l'opposition dans les deux chambres et à parité femmes et hommes.

Quels sont nos moyens ? Les salaires des quatre membres de l'équipe permanente sont pris en charge par les services de Matignon, et le budget moyen de fonctionnement annuel est fixé à 59 000 euros. Nous considérons comme un honneur que le « jaune » budgétaire du ministère de l'économie, des finances et de la relance, ait décrit l'Observatoire de la laïcité comme l'organisme consultatif ayant le meilleur ratio entre le nombre de réunions de travail et le coût pour l'État.

Je rappelle que nos missions ne se concentrent pas directement sur la radicalisation, ce qui ne nous empêche pas, bien entendu, de nous y intéresser de près. Dans le cadre de notre première mission, qui est « d'observer », nous nous appuyons sur les très nombreuses remontées des collectivités locales, des associations, des mouvements d'éducation populaire, mais aussi sur les auditions, chaque année, des représentants des cultes et des principales obédiences maçonniques, sur les éléments qui proviennent des ministères et, enfin, sur nos propres déplacements sur le terrain - plus de 1 000 au total, dans tous les départements depuis 2013 - malgré les visioconférences qui se poursuivent. Tout cela donne lieu au rapport que nous remettons chaque année au Président de la République et au Premier ministre, qui est également mis en ligne sur le site de l'Observatoire.

Nous avons contribué à un certain nombre de mesures qui ont été prises par les gouvernements en exerçant notre mission de conseil sur les politiques publiques concernant la laïcité et la gestion des faits religieux. Je citerai la Charte de la laïcité à l'école voulue par le ministre de l'éducation nationale Vincent Peillon. Nous avons participé à l'installation de référents laïcité dans de nombreuses administrations dès 2014, notamment dans l'Éducation nationale ; obtenu l'instauration en 2015 de la Journée nationale de la laïcité ; participé à la mise en place de l'enseignement moral et civique (EMC) à l'école ; ainsi que certaines évolutions législatives comme l'abrogation du délit de blasphème en Alsace-Moselle, ou diverses évolutions d'ordre réglementaire, comme l'obligation de formation à la laïcité des aumôniers de tous les cultes à partir de 2017. Permettez-moi enfin d'évoquer la circulaire de février 2020 du ministère de la justice contre l'islamisme et qui émane d'une préconisation de l'Observatoire de la laïcité saluée à l'époque par le Premier ministre, visant à mobiliser les procureurs, au-delà de la plainte d'une association ou d'un particulier, pour sanctionner immédiatement tout acte contraire aux exigences minimales de la vie en société.

Nous sommes souvent sollicités par les tribunaux et répondons dans un délai de 48 heures aux questions quotidiennes émanant de citoyens, d'élus, d'associations, d'administrations ou de collectivités locales. Nous avons également édité des guides pratiques très courts qui sont toujours présentés sous l'angle du respect du droit. Notre mission est d'expliquer l'histoire de la laïcité et la façon dont on peut la promouvoir et s'en servir comme un outil dans un État de droit. Chaque rapport comporte une première partie consacrée au droit - la loi et la jurisprudence très riche du Conseil d'État et de la Cour de cassation -, et des réponses en cas de conflit, qu'elles résultent clairement de l'esprit de la loi ou des pratiques les plus souhaitables.

Enfin, notre dernière mission s'est développée au fil du temps. Elle consiste à former le plus grand nombre. Nous avons obtenu la multiplication des diplômes universitaires - on en compte aujourd'hui 32 - afin de former à la laïcité et aux faits religieux aussi bien des étudiants ordinaires que des ministres de différents cultes. Nous avons également mis en place, avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), le plan Valeurs de la République et laïcité qui s'adresse à des publics divers - bénévoles, associations, syndicats, travailleurs sociaux, etc. - et pour lequel nous nous félicitons de l'annonce par la ministre Nadia Hai du doublement de son financement. Au total, nous avons rendu possible la formation directe de plus de 350 000 acteurs de terrain, et avons conçu avec le CNFPT et la région d'Île-de-France des MOOC - cours en ligne - spécialisés et aujourd'hui très suivis.

Pour conclure, je voudrais vous faire part des discussions que nous avons eues avec des chercheurs, des praticiens et des élus : elles se sont concrétisées dans une étude sur la visibilité et l'expression religieuse dans l'espace public de toutes les religions. La situation est paradoxale : la société française est sans doute l'une des plus sécularisées en Europe, et cette sécularisation perdure pour toutes les religions ; dans le même temps, la religion fait l'objet d'une réappropriation identitaire. Comme l'a dit un chercheur, ce n'est pas vraiment un retour du religieux, c'est un recours au religieux qui se traduit par le port du voile, de la croix ou de la soutane chez les prêtres, face à une visibilité accrue de certaines religions. Cela peut conduire à des tensions. La réponse à ces situations consiste à procéder à une analyse approfondie de la situation et à en modifier éventuellement certains éléments, sachant que nous sommes très attachés aux équilibres fondamentaux de la loi de 1905.

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