Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, l’objet de cette proposition de loi est de créer une vignette « historique » pour les véhicules disposant d’une carte grise « véhicule de collection ». Apposée sur le pare-brise des véhicules, cette vignette gratuite leur donnerait droit à une dérogation de circulation dans les zones à faibles émissions (ZFE).
Ce texte a été cosigné par plus de quatre-vingts sénatrices et sénateurs. Je les en remercie chaleureusement.
Pourquoi un tel engouement et pourquoi la nécessité d’un tel texte ? La pollution de l’air de nos grandes agglomérations étant de plus en plus importante, les ZFE sont à juste titre appelées à se multiplier. Ainsi, après Paris, le Grand Paris, Grenoble et Lyon, la loi d’orientation des mobilités a rendu obligatoire la création de ZFE dans sept autres métropoles : Aix-Marseille, Montpellier, Nice, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse.
Le projet de loi Climat et résilience devrait encore accroître leur nombre. Elles vont donc concerner des dizaines de millions de nos concitoyens.
L’objet de ces ZFE est de limiter la circulation des véhicules les plus polluants. En effet, pour circuler dans ces zones, les véhicules doivent avoir une vignette Crit’Air qui les classe selon leur niveau de pollution, les véhicules les plus polluants pouvant faire l’objet d’une interdiction de circuler. Comme l’a très bien rappelé la rapporteure, en commission, les véhicules de collection ne peuvent prétendre à une identification Crit’Air.
Il revient aux intercommunalités de définir les règles de la ZFE, et elles ont la possibilité de créer des dérogations pour les véhicules de collection. Par conséquent, les véhicules de collection ont actuellement le droit de circuler dans les ZFE.
Qu’en sera-t-il demain ? La multiplication de ces zones pourrait réduire comme peau de chagrin les possibilités de circulation, ce qui pose problème pour plusieurs raisons.
La première est patrimoniale. Au même titre que les cathédrales, les gares et moult bâtiments publics et privés, les fleurons de notre industrie font partie intégrante de notre patrimoine. Quoi de plus symbolique de cette industrie que les véhicules anciens, qu’il s’agisse de tracteurs, de véhicules agricoles, militaires et de pompiers, de motos ou d’automobiles ?
De la même manière qu’il faut entretenir notre patrimoine architectural, il faut entretenir ce patrimoine industriel. Dans cette conservation, l’usage et l’utilisation sont primordiaux. Pour les véhicules de collection, cela suppose de les faire rouler occasionnellement.
La deuxième raison de ne pas abandonner les véhicules de collection est de nature économique. Cette filière, constituée principalement d’artisans et de très petites entreprises, compte 24 000 emplois dans plusieurs secteurs : la carrosserie, la mécanique, l’entretien, le négoce, l’événementiel, etc. Son activité est croissante, avec un chiffre d’affaires annuel évalué à 4 milliards d’euros, soit le double de celui des sports mécaniques. À cela s’ajoute l’enjeu de la transmission des savoirs par l’apprentissage.
Autre argument fondamental, ces vieux véhicules que l’on voit de temps en temps parader dans nos rues et dans nos campagnes procurent de la joie et du bonheur non seulement à leurs propriétaires, mais aussi à tous ceux qui les admirent quand ils sont de sortie. À leur manière, ces vieux véhicules contribuent à renforcer le « vivre ensemble », le lien social et intergénérationnel si fragilisé en ces temps de crise sanitaire.
Cette passion partagée n’a rien d’élitiste comme j’ai pu l’entendre dire. De nombreux véhicules de collection sont accessibles à des prix tout à fait modiques. Par exemple, une 4 CV Renault – qui fut d’ailleurs la première voiture française construite à plus d’un million d’exemplaires, mais surtout la première qu’un ouvrier pouvait acheter neuve – une 203 Peugeot ou une Simca Aronde peuvent être acquises pour quelques milliers d’euros. Cela prouve qu’il s’agit d’une passion populaire, qui n’est heureusement pas réservée aux plus riches d’entre nous.
Trois arguments m’ont été opposés : l’un de décentralisation, l’autre écologique et le troisième de légistique. Je vais répondre à chacun d’entre eux.
Premièrement, mon texte serait en quelque sorte recentralisateur, puisqu’il créerait une possibilité nationale de dérogation aux ZFE pour les véhicules de collection.
Si cela peut sembler vrai, il faut revenir au sens même de la décentralisation, à laquelle je demeure naturellement très attaché. La décentralisation et la différenciation qui en découle permettent de prendre des décisions qui varient en fonction des réalités locales. Or un tel principe ne s’applique nullement dans la situation actuelle.
Comment justifier, en effet, que le propriétaire d’une voiture ancienne puisse avoir le droit de circuler à Grenoble quand le propriétaire du même véhicule ne pourrait pas le faire à Lyon, sans aucune différence de situation ? La différenciation ne serait alors rien d’autre qu’une discrimination qui ne se justifierait pas. Autrement dit, bien défendre la différenciation, c’est la réclamer à bon escient !
Deuxièmement, la création d’une vignette pour les véhicules de collection ne serait pas écologique.
Mes chers collègues, permettez-moi de m’inscrire vivement en faux contre cet argument. En effet, de quoi parle-t-on sinon d’une pollution des plus marginales ! Un véhicule de collection circule quinze fois moins qu’un véhicule ordinaire. Des études ont montré que les émissions de particules fines de ces véhicules sont 100 000 fois moins importantes que celles des autres véhicules. Quant aux oxydes d’azote, ils sont 20 000 fois moins abondants.
Les véhicules de collection ont un impact extrêmement faible sur la qualité de l’air. L’Allemagne, que l’on ne peut pas soupçonner de laxisme environnemental, autorise la circulation de ces véhicules de collection dans les ZFE depuis plus de dix ans. Mes chers collègues, c’est ce modèle allemand, ni plus ni moins, que je vous propose de transposer en droit français, en adoptant ce texte.
Il me reste à répondre à l’argument de légistique qui m’a valu l’avis défavorable de notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, au motif que ce texte relèverait du règlement et non de la loi.
Avec un peu de malice, je serais tenté de répondre que cette rigueur à défendre le domaine réglementaire n’anime pas souvent nos travaux. Combien de lois bavardes, aux articles éminemment réglementaires, n’avons-nous pas votées dans cet hémicycle ?
Trêve de malice ! Le caractère réglementaire du présent texte n’est pas si évident que cela. Il découle du fait que l’article de loi créant les ZFE renvoie à un décret la définition des catégories de véhicules dont la circulation dans une ZFE ne peut être interdite.
C’est sans doute là que le bât blesse. Le législateur n’aurait pas dû abandonner ce point au pouvoir réglementaire, tout simplement parce qu’il touche à une liberté fondamentale, la liberté de circulation, la liberté d’aller et venir. Dans cette proposition de loi, je propose au législateur de reprendre ses droits pour légiférer sur l’aménagement d’une liberté fondamentale.
Je tiens à féliciter ma collègue Évelyne Perrot, rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, de son excellent travail, ainsi que tous les membres de la commission. Je lui souhaite aussi un prompt rétablissement.
Mes chers collègues, même si j’eusse préféré un avis favorable, je ne vous tiens pas rigueur de l’avis défavorable que vous avez émis sur ce texte. Tel est le jeu des institutions.
J’espère néanmoins que notre Haute Assemblée votera ce texte. Je l’espère non seulement pour les 250 000 collectionneurs de véhicules d’époque, mais aussi pour leurs millions de sympathisants, et pour continuer de voir briller les yeux des enfants quand le passé ressurgit dans nos rues et dans nos campagnes, sur deux, trois, quatre, et parfois même six ou huit roues !