Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je vous prie de bien vouloir excuser la rapporteure, Mme Évelyne Perrot, qui ne peut être présente et qui m’a chargé de m’exprimer en son nom. Je tiens à la remercier de l’important travail qu’elle a effectué sur cette proposition de loi, et je lui souhaite un prompt rétablissement.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a rallié quatre-vingts signataires. Cet engouement est, bien entendu, un témoignage de la sympathie que nous portons à notre collègue Jean-Pierre Moga, premier signataire. Il est aussi, et surtout, un révélateur de l’empreinte assez profonde qu’ont laissée dans nos mémoires individuelles et collectives les voitures de collection.
La commission a unanimement tenu à envoyer un message positif, non seulement aux 250 000 collectionneurs de voitures d’époque, mais aussi à des millions de sympathisants, aux territoires et aux élus qui organisent 6 000 à 7 000 manifestations par an, ainsi qu’à toute la filière « voitures de collection » qui représente, en 2020, grâce à son dynamisme, 24 000 emplois et 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Le phénomène est encore plus profond. Avec beaucoup d’à-propos, un de nos collègues en commission a cité les travaux de Roland Barthes, qui dans les années 1960 plaçait la voiture dans la catégorie des mythologies françaises : « Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. » Tout au long de ses travaux, la commission a été sensible à cette dimension qui semble appartenir au passé, mais dont nous témoignons qu’elle continue d’imprégner le présent et sans doute l’avenir.
L’enjeu de cette proposition de loi qui vise à garantir la circulation des véhicules de collection tient à la préservation d’un double patrimoine, industriel et culturel.
Un patrimoine industriel, tout d’abord : alors que nous souhaitons relocaliser l’industrie dans les territoires, il est essentiel de rappeler la place centrale des objets haut de gamme dans notre économie, avec parmi eux les véhicules d’époque. Le design et l’excellence de fabrication sont autant de marqueurs de notre industrie automobile, dont les véhicules de collection sont en quelque sorte les porte-drapeaux.
Un patrimoine culturel, ensuite : les véhicules de collection procurent indéniablement des moments de convivialité dont notre pays a tant besoin aujourd’hui. Le passage de ces véhicules suscite l’enthousiasme et aussi l’apaisement dans les grandes agglomérations où la circulation est trop souvent crispée par des tensions entre les voitures, les deux roues, les trottinettes et les piétons. La passion intergénérationnelle suscitée par ces véhicules n’est d’ailleurs pas nécessairement liée à la richesse économique ni réservée aux très hauts salaires. Nous écartons le soupçon d’élitisme en rappelant la réalité : un véhicule de collection n’est pas nécessairement un véhicule très onéreux, comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi.
Au cours de ses travaux, la commission a étudié la question des émissions des véhicules de collection. Les véhicules immatriculés comme tels représentent une très faible proportion du parc roulant, oscillant entre 0, 5 % et 1 %. Chaque voiture parcourt un petit nombre de kilomètres, soit environ mille par an. La proportion de motorisations diesel est, pour l’heure, très faible, ce qui évite la production de microparticules, mais la consommation d’essence des véhicules de collection est souvent plus élevée que la moyenne et s’accompagne donc de plus fortes émissions de CO2, tout particulièrement en cas de mauvais réglage, avec une très grande hétérogénéité en fonction de l’âge du véhicule.
Néanmoins, tout élargissement du périmètre des véhicules d’époque aurait pour conséquence d’augmenter l’impact carbone de la circulation de ces véhicules.
Alertée de l’existence d’une possible entrave à la circulation des véhicules de collection, la rapporteure a entendu plusieurs acteurs concernés par la mise en place des zones à faibles émissions. Ces travaux sont rassurants : toutes les collectivités impliquées ont prévu des dérogations pour les véhicules de collection.
Le mécanisme des ZFE a été pensé comme un outil donnant la main aux territoires, et il prévoit trois types distincts de dérogations à ces restrictions de circulation. Celles-ci s’exercent au niveau national, local et individuel et sont toutes appliquées par voie réglementaire. L’intelligence territoriale fonctionne ! Je souligne d’ailleurs que ces dérogations sont mises en place par des élus de tous les bords politiques.
Le ministère des transports a également confirmé que des discussions étaient en cours avec la Fédération française des véhicules d’époque pour inscrire les véhicules de collection parmi les dérogations nationales, au même titre que les véhicules de police ou de pompiers.
Dès lors, la question qui nous est posée est de savoir si, au-delà du signal que nous envoyons, il nous faut voter une loi sur la libre circulation des voitures de collection. Notre commission n’a pas souhaité se prononcer en ce sens pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, dans les ZFE déjà mises en place, on n’identifie pas d’entrave à la liberté de circulation des voitures de collection.
Ensuite, si par le passé, le Parlement a parfois légiféré dans le domaine réglementaire, nous sommes devenus plus exigeants. Je rappelle aussi que le Conseil d’État protège de façon systématique le domaine législatif et sanctionne les décrets qui s’aventurent dans le domaine de la loi. En l’occurrence, la loi renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les catégories de véhicules dont la circulation dans une ZFE ne peut être interdite.
En fin de compte, si le législateur adoptait cette proposition de loi, il en résulterait une vraie dissymétrie avec, d’une part, une loi spécifique pour les voitures de collection et, d’autre part, un décret qui accorde des dérogations nationales pour tous les autres véhicules, voitures de police, de pompiers, etc.
Je conclurai en rappelant deux éléments. Tout d’abord, la Fédération française des véhicules d’époque (FFVE) est venue au Sénat pour recommander de suivre le modèle allemand qui facilite la circulation de 595 000 véhicules de collection à travers les 85 zones écologiques allemandes. Or la transposition de cet exemple allemand passe nécessairement par la voie du décret. Il suffirait d’ajouter trois mots dans la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales, très précisément à l’article R. 2213-1-0-1 qui « interdit d’interdire » l’accès à certains véhicules dans les zones à circulation restreinte.
Ensuite et surtout, j’insiste sur le fait que le Sénat, grand conseil et protecteur des territoires, reste plus que jamais attentif à la nécessité de différencier les solutions locales ; or c’est très exactement la philosophie qui a présidé à la conception des zones à faibles émissions comme des outils à la disposition des collectivités territoriales.
Jusqu’à maintenant, l’intelligence territoriale a fonctionné à plein régime en accordant aux voitures de collection la souplesse que nous préconisons.
Rappelons qu’il ne s’agit pas là de la seule compétence de restriction de circulation dont sont dotés les maires, qui disposent d’autres pouvoirs portant sur la liberté de circulation.
Notre commission a donc conclu l’examen de ce texte en adressant un message très positif pour la préservation d’un phénomène culturel, social et industriel. Toutefois, dans un souci de cohérence juridique avec nos travaux législatifs passés et à venir sur les ZFE, nous n’avons pas adopté le dispositif prévu dans cette proposition de loi, car il pourrait nous engager dans une mécanique juridique complexe.
Surtout, faisons confiance à l’intelligence territoriale et évitons de susciter un raidissement de la part de ceux qui craignent qu’on ouvre la « boîte de Pandore » des dérogations législatives. Plusieurs des amendements déposés sur ce texte confirment ces craintes, en élargissant considérablement la dérogation prévue qui concernerait alors presque un million de véhicules.