Intervention de Jean-Michel Houllegatte

Réunion du 11 mars 2021 à 14h45
Création d'une vignette « collection » pour les véhicules d'époque — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Photo de Jean-Michel HoullegatteJean-Michel Houllegatte :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à n’en pas douter, si nous devions associer un siècle à un objet technologique, il n’y aurait rien de mieux pour caractériser le XXe siècle que l’automobile, invention qui bouleversera la société, outil d’émancipation des individus qui favorisera la libération des mobilités.

Il est intéressant de remarquer que le premier déplacement privé de plus de cent kilomètres en Allemagne a été effectué par Bertha Benz en 1888 : celle-ci utilisa l’invention de son mari pour aller, sans la permission des autorités, rendre visite à sa mère.

L’automobile modifiera considérablement l’organisation du travail. Le taylorisme et le fordisme vont ainsi introduire le travail à la chaîne, l’hyperspécialisation des tâches, puis les flux tendus, le lean manufacturing et autres concepts poussant vers toujours plus de performance opérationnelle et d’optimisation des coûts.

L’automobile est aussi l’une des caractéristiques de la puissance industrielle des États, qui sont souvent identifiés par les marques qu’ils produisent. C’est une industrie qui entraîne dans son sillage celle du pétrole qui marque, lui aussi, son siècle.

Enfin, l’automobile a la capacité de façonner les imaginaires avec des compétitions en tout genre, des épopées et des sagas, mais aussi des représentations et un statut social.

Roland Barthes ne s’y est pas trompé puisque, en 1957, dans son livre Mythologies consacré aux mythes de la vie quotidienne française, il a consacré un article à la nouvelle DS. Hasard du calendrier parlementaire, y figure aussi un article sur ce nouveau matériau qu’est alors le plastique, symbole d’une forme de modernité qui, quelques décennies plus tard, aura colonisé notre planète.

Le XXe siècle s’est refermé sur le constat amer que notre modèle de développement touchait à ses limites. L’épuisement des ressources, le réchauffement climatique, la pollution de l’eau et de l’air nous poussent à nous interroger et à agir. C’est aussi dans ce contexte, celui d’un changement de paradigme, que nous devons analyser cette proposition de loi.

Comme les différents orateurs l’ont souligné, nous devons avancer dans trois directions déterminantes si nous voulons envoyer un bon signal avec cette proposition de loi.

La première, c’est la cohérence et la lisibilité au regard du changement climatique. Certes, les véhicules de collection représentent une faible part des émissions de particules, mais, alors que les zones à faibles émissions mobilité (ZFEM) ont été créées pour protéger les populations contre la pollution issue du trafic routier, la qualité de l’air représente un enjeu majeur de santé publique.

D’après l’étude réalisée par Santé publique France, la pollution de l’air serait responsable de 48 000 décès prématurés par an en France. Le trafic routier est responsable de 57 % des émissions d’oxyde d’azote. Devons-nous ouvrir la voie législative à un contournement généralisé du dispositif, alors que d’autres solutions existent si l’on veut permettre à ces véhicules patrimoniaux de continuer à circuler ?

À l’heure où les débats se concentrent sur le projet de loi Climat et résilience et la traduction législative des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, ne risquons-nous pas d’envoyer un message qui sera probablement mal perçu et susceptible d’être dénigré, et de déconsidérer notre institution ?

La deuxième direction dans laquelle je vous propose d’avancer, c’est le domaine de la loi. Des dérogations générales à l’application du dispositif ZFE sont possibles. L’article R. 2213-1-0-1 du code général des collectivités territoriales dispose que l’accès à la zone de circulation restreinte ne peut être interdit aux véhicules d’intérêt général, aux véhicules du ministère de la défense, aux véhicules portant une carte de stationnement pour personnes handicapées, etc.

Devons-nous compléter par voie législative cette liste de dérogations générales qui, elles, sont du domaine réglementaire ? Nos débats ont souvent illustré cette impérieuse nécessité de cantonner chacun dans son domaine respectif. Lors des débats de contrôle, combien de fois avons-nous dénoncé l’absence de publication des décrets d’application ?

À cet égard, monsieur le ministre, je vous rappelle que nous sommes en attente de la parution de nombreux décrets en application de la loi 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités. En effet, plusieurs textes réglementaires d’importance manquent encore à l’appel, comme le décret découlant de l’article 28 sur les services numériques multimodaux, ou MaaS – Mobility as a Service –, le décret précisant l’obligation de créer des stationnements pour les vélos dans les gares, ceux qui concernent les services de mise en relation de covoiturage, les plateformes, ou la portabilité de certains droits dans le cadre de l’ouverture à la concurrence.

Enfin, la troisième direction dans laquelle il conviendrait d’avancer est celle de la libre administration des collectivités locales.

L’article R. 2213-1-0-1 du code général des collectivités territoriales, déjà mentionné, prévoit la possibilité que des dérogations individuelles puissent être accordées par le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, lorsque celui-ci dispose du pouvoir de police de la circulation.

Les collectivités peuvent donc prendre des arrêtés pour établir la liste des dérogations à la zone à faibles émissions mobilité pour les véhicules utilitaires légers et les poids lourds. Les véhicules de collection sont compris dans ces dérogations. C’est notamment le cas pour Grenoble-Alpes Métropole.

N’oublions pas que le Sénat est l’assemblée des collectivités locales et que nous devons faire confiance au dialogue, à la compréhension mutuelle et à l’intelligence territoriale pour trouver les solutions adaptées permettant à ces véhicules de continuer à circuler.

Sans sous-estimer la valeur patrimoniale des véhicules de collection, le poids économique représenté par ce secteur, le potentiel d’animation locale que représentent les manifestations et les rallyes, mais au vu des éléments développés, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi.

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