Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Réunion du 11 mars 2021 à 14h45
Lutte contre les fraudes sociales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a beaucoup travaillé sur la question de la fraude sociale ces dernières années.

S’agissant de la commission des affaires sociales, je rappellerai ainsi le rapport de juin 2017 sur la lutte contre la fraude sociale de nos collègues Agnès Canayer et Anne Émery-Dumas ; mon rapport de juin 2019 sur la question plus circonscrite de la fraude à l’immatriculation à la sécurité sociale ; ou encore mon rapport de septembre 2020 à la suite d’une enquête commandée par la commission des affaires sociales à la Cour des comptes sur la fraude aux prestations de sécurité sociale.

Nous avons également eu l’occasion de faire avancer la législation en matière de lutte contre la fraude lors de l’examen de plusieurs textes législatifs. Je pense en particulier à la loi de 2018 relative à la lutte contre la fraude, dont un volet est consacré à la fraude sociale, et, plus récemment, à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, que Mme Goulet vient de citer. Ce texte ne compte pas moins de dix articles relatifs à la lutte contre la fraude sociale, dont quatre adoptés sur l’initiative du Sénat.

Une telle activité des pouvoirs publics est légitime, en termes financiers comme en termes de justice sociale, afin d’assurer à chacun son juste droit.

À présent, sur la base de ces avancées, beaucoup considèrent, monsieur le ministre délégué, que la balle est dans votre camp et dans celui des organismes de sécurité sociale. Il s’agit de mettre en œuvre les dispositions adoptées par le Parlement. Nous en attendons beaucoup, sachez-le. Je vous rappelle que l’un des amendements adoptés par le Sénat, qui n’a malheureusement pas été repris par l’Assemblée nationale, concernait la mise en œuvre de dispositifs anti-fraude votés par le Parlement il y a dix et treize ans. Je note que, depuis lors, vous avez enfin pris les mesures d’application de l’un d’entre eux, qui concerne la procédure de déconventionnement d’urgence des professionnels de santé.

Je forme le vœu, monsieur le ministre délégué, que le Gouvernement se montre bien plus diligent pour les mesures que nous avons adoptées cet automne. J’espère aussi que nous nous donnerons rapidement les moyens d’avoir enfin une vision claire et incontestable du dommage financier que représente la fraude, détectée ou non, pour chacun des régimes de sécurité sociale et dans tous les domaines : le recouvrement, les prescriptions et les prestations. La mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) m’a d’ailleurs missionné pour que je m’assure de la mise en place rapide des outils adéquats dans l’ensemble des caisses.

C’est dans ce contexte que nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de notre collègue Nathalie Goulet, dont nous connaissons l’engagement sur ce sujet. Je rappelle que Mme Goulet est elle-même coauteur, avec la députée Carole Grandjean, d’un rapport sur la fraude sociale à la demande de M. Édouard Philippe, alors Premier ministre.

Je remercie notre collègue de cette initiative, qui va nous permettre d’avoir un débat que j’espère utile avec le Gouvernement.

Néanmoins, au vu de la forte activité législative récente en matière de fraude, il a paru nécessaire à la commission de recentrer le texte, qui comptait initialement vingt-cinq articles, sur un nombre plus restreint de mesures clés. En d’autres termes – et je sais que Mme Goulet partage cette approche –, nous avons souhaité donner la priorité à la qualité sur la quantité.

C’est pour cela que la commission a conservé onze articles, les autres lui ayant semblé soit satisfaits, soit de nature réglementaire, soit, pour certains d’entre eux, délicats dans leur principe. Je pense notamment à la création d’une liste publique de pays dont l’état civil serait considéré comme peu fiable.

Ainsi, chacun des articles qui demeurent porte sur un vrai sujet dont il est important que nous débattions en séance publique. Nous avons aussi maintenu ceux qui ne nous apparaissaient pas techniquement opérationnels afin que notre assemblée puisse décider en dernier ressort.

Toutefois, comme je le disais en introduction, la qualité importe davantage que la quantité. Je voudrais ainsi mettre en avant plusieurs mesures de ce texte qui, aux yeux de la commission des affaires sociales, pourraient utilement renforcer nos moyens de lutte contre la fraude sociale.

C’est le cas, selon moi, de l’article 8, qui tend à subordonner le versement d’une aide personnalisée au logement (APL) à la transmission à la caisse d’allocations familiales (CAF) d’informations sur le logement auquel l’aide se rapporte. En outre, cet article organise la transmission de ces informations entre les CAF et l’administration fiscale. Cela reprend des propositions formulées par la Cour des comptes dans l’enquête qu’elle nous a remise en septembre. Sur le fond, cette mesure peut améliorer les contrôles, notamment de l’existence et de la conformité des logements donnant lieu aux versements d’APL.

Il en va de même de l’article 14, en vertu duquel les allocations et prestations sociales seraient obligatoirement versées sur un compte bancaire ouvert dans un établissement situé en France ou dans un État partie à l’Espace économique européen. La commission a simplement souhaité recentrer cette avancée sur les prestations versées sous condition de résidence en France. Ces dispositions ne concerneraient donc pas les pensions de retraite, certains pensionnés vivant durablement hors de France et de l’Union européenne.

L’article 15, que la commission a modifié en respectant l’intention de son auteur, permettra de renforcer les exigences que doivent satisfaire les pièces justificatives lors d’une inscription à la sécurité sociale ; à défaut, un entretien physique pourra être demandé de droit par l’organisme avant de procéder à l’inscription. Renforcer les exigences, c’est aussi apporter des moyens adéquats : nous ne pouvons pas entendre que certaines procédures sont insuffisamment sécurisées en raison du manque d’un scanner couleur, qui serait trop cher !

Même s’il risque de susciter des débats quant à la solution technique retenue, j’ai également à l’esprit l’article 17, relatif au domicile social des assurés sociaux. Mes travaux me conduisent à penser que le choix d’assimiler ce domicile social au domicile fiscal risque de poser des problèmes concrets à certains assurés. Néanmoins, cet article pose utilement la première pierre d’un chantier auquel, monsieur le ministre, j’espère que vous pourrez vous attaquer rapidement, au regard de l’utilité que pourrait présenter un tel domicile social en matière de calcul du juste droit et de lutte contre la fraude.

L’auteur de ce texte a également entendu mettre l’accent sur la nécessité d’une meilleure coopération internationale en matière de fraude : nous partageons cette intention. Nous sommes convaincus, notamment, que la lutte contre les fraudes organisées passera par l’accélération et la systématisation des échanges au niveau européen.

Enfin, je souhaite évoquer l’article 1er, que nous avons supprimé et qui concernait le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Je le rappelle, le RNCPS n’est pas une gigantesque base de données de la sécurité sociale, mais plutôt un portail ouvert aux organismes pour réaliser des requêtes essentiellement individuelles en faisant appel aux fichiers des caisses.

C’est un sujet important sur lequel nous souhaitons aller plus loin dans les mois qui viennent à la lecture des conclusions de la mission que vous avez confiée à l’inspection générale des affaires sociales. Il est important, en effet, de faire évoluer cet outil. Nous devons avancer sur la question des systèmes d’information et des outils de gestion. Il y a là un enjeu de sécurisation du versement des prestations à bon droit, mais aussi un potentiel pour progresser en matière de réduction du non-recours aux prestations. Or je sais que nous sommes nombreux, sur ces travées, à vouloir améliorer l’accès aux droits.

Telles sont, mes chers collègues, les principales conclusions de notre commission. Nous attendons avec impatience, monsieur le ministre délégué, que vous livriez votre analyse sur ce texte et que vous informiez le Sénat des principales mesures qui figurent dans la feuille de route que le Gouvernement compte adopter pour améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude sociale.

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