Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 11 mars 2021 à 14h45
Lutte contre les fraudes sociales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Olivier Dussopt :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nathalie Goulet, lutter contre la fraude est une exigence fondamentalement démocratique, puisque c’est le corollaire de la nécessité d’une contribution commune telle que la prévoit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; cela permet aussi de rétablir l’équilibre entre les droits et les devoirs lorsque celui-ci est illégalement rompu.

Les Français nous attendent, légitimement, sur ce sujet. Nous devons répondre à cette attente en considérant que la lutte contre la fraude est une obligation de principe qui s’impose d’autant plus quand les moyens engagés sont d’une ampleur inédite, comme c’est le cas durant cette période.

Je veux remercier Mme la sénatrice Goulet d’avoir proposé ce débat au Sénat en déposant cette proposition de loi, mais aussi d’avoir insisté, dans son propos liminaire, sur la notion d’équilibre, sur la volonté de dépassionner le débat et de s’attaquer à la fraude aux cotisations comme aux prestations, en rappelant les ordres de grandeur et l’importance de la première par rapport à la seconde.

Je veux aussi mettre à profit cette séance pour rappeler les progrès qui ont été faits en la matière. De nombreux rapports ont récemment souligné les améliorations déjà apportées au cours des dernières années, notamment sur la forte dynamique en volume et en montant de la fraude aux prestations détectée et sanctionnée, en augmentation de 30 % en un an, soit un niveau trois fois supérieur à celui d’il y a dix ans.

Il faut aussi souligner la professionnalisation croissante de la lutte contre la fraude aux prestations comme aux cotisations, avec près de 4 000 équivalents temps plein directement affectés à cette mission au sein des caisses, avec un meilleur ciblage des contrôles et des échanges d’informations croissants avec d’autres administrations et organismes.

Tous ces rapports, au premier rang desquels celui de la sénatrice Nathalie Goulet et de sa collègue, la députée Carole Grandjean, ont inspiré cette proposition de loi, ils ont également souligné le travail qui reste à effectuer et ont appelé les organismes de sécurité sociale à un effort renouvelé, sur un sujet connu et ancien.

M. le rapporteur général a ainsi rappelé, à raison, les nombreux rapports rendus, les nombreuses initiatives qui ont été prises dans les années précédentes, pour souligner à la fois la nécessité de mieux lutter, mais aussi les moyens qu’il faut mettre en œuvre.

Je souhaite aussi profiter de l’examen de cette proposition de loi pour vous donner trois illustrations concrètes de l’engagement du Gouvernement dans la lutte contre la fraude sociale. Tout d’abord, dans le cadre de l’examen de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, plus de dix mesures ont été adoptées, à l’issue d’un travail mené en concertation étroite avec les parlementaires, pour renforcer la réglementation et lutter contre une forme de fraude.

Sans citer toutes les mesures, mais pour illustrer la convergence de nos préoccupations, la dernière loi de financement de la sécurité sociale prévoit, notamment, dans son article 104, de renforcer le contrôle de l’existence des retraités expatriés à l’aide de la biométrie ; l’expérimentation prévue cette année va permettre d’ouvrir une nouvelle possibilité de sécurisation du versement des pensions, tout en allégeant les contraintes administratives qui pèsent sur les assurés.

Dans le cadre du plan de lutte contre la fraude que j’ai eu l’occasion de présenter le 2 février, nous avons prévu des moyens humains pour procéder à un certain nombre de contrôles sur place, de manière à être plus efficaces dans le recensement et la détection de ce type de fraude.

La même loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit de renforcer les contrôles et les sanctions des professionnels de santé, avec une obligation d’inscription à l’ordre et un déconventionnement d’office pour les professionnels condamnés pour fraude pour la seconde fois en cinq ans. Ce texte prévoit aussi des mesures permettant le renforcement des sanctions en cas de non-signalement d’un changement de situation, ou encore un doublement des plafonds de pénalité, à la main des directeurs des branches vieillesse et famille.

Par ailleurs, Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, et moi-même veillerons – vous avez dit, monsieur le rapporteur général, madame la sénatrice, votre attention sur ce point – à ce que la mission d’inspection qui aurait dû remettre son rapport parlementaire sur le répertoire national commun de protection sociale en 2020 puisse le faire avant la fin du premier semestre de cette année, le retard ayant été très largement enregistré pendant les périodes de confinement.

L’objectif est de nous permettre de mieux cerner les usages de cet outil de partage des informations en temps réel entre les différents organismes qui interviennent dans le champ de la protection sociale. La mission doit notamment nous éclairer sur les usages actuels de ce répertoire en étudiant la possibilité et l’utilité d’avoir accès à des informations non encore mutualisées.

J’ai également demandé que la mission se pose plus largement la question du stockage, de la gestion et des échanges de données dans la sphère sociale avec en tête l’exemple belge de la Banque carrefour de la sécurité sociale.

Enfin, j’ai demandé en décembre 2020, toujours avec le ministre des solidarités et de la santé, mais aussi avec la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, au directeur de la sécurité sociale de piloter le plan d’action, de prévention et de lutte contre la fraude sociale que j’ai présenté lors du premier comité de pilotage le 2 février dernier.

Ce plan a vocation à décliner opérationnellement les mesures dont nous avons discuté avec vous et que nous allons de nouveau évoquer cet après-midi. Validé et partagé par tous les acteurs, il nous permet de mieux coordonner et de structurer notre politique de lutte contre la fraude.

Je ne pourrais, monsieur rapporteur général, évoquer chacune de ses mesures, il y en a plusieurs dizaines, mais ce plan et ces orientations ont été rendus publics et j’ai eu l’occasion d’en parler de manière plus précise encore avec l’auteure de la proposition de loi. Je veillerai, bien évidemment, à ce que vous-même et votre commission soyez destinataires de l’intégralité des actions prévues ainsi que du calendrier de leur mise en œuvre, qui s’étend sur les deux années qui viennent.

Je ne considère pas que cette étape de travail – l’application des dispositions prévues en loi de financement de la sécurité sociale et la mise en œuvre de ce plan de lutte contre la fraude – soit un aboutissement, c’est le début d’une démarche de renforcement de la lutte contre la fraude qui doit aboutir à un vrai changement d’échelle et ce plan sera, au fil de nos échanges, renforcé, actualisé et enrichi.

Je suis évidemment disposé, par construction et en application du droit, mais aussi par respect du Parlement, à faire réaliser toutes les évaluations que vous avez évoquées dans les meilleurs délais et à m’assurer que l’ensemble des parlementaires des commissions concernées au Parlement soient régulièrement informés, autant qu’ils le souhaiteront, de la mise en œuvre de ce plan et de son évaluation.

Vous verrez ainsi que nous partageons les mêmes préoccupations et les points d’attention qui ont donné lieu à la rédaction de cette proposition de loi, même si certaines des mesures que celle-ci contient ne nous semblent pas nécessairement applicables immédiatement ou en l’état.

Quelques exemples de ce que prévoit notre plan, en lien avec les ambitions de ce texte : l’élaboration d’une cartographie des risques dans tous les réseaux d’ici à la fin de l’été 2021 pour nourrir les prochains travaux autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale et systématiser l’évaluation régulière de ces risques ; la sécurisation des processus d’immatriculation et d’identification des assurés en généralisant le procédé d’attribution du numéro d’identification par un numéro d’attente, pour les réseaux qui ne l’appliquaient pas encore ; la sécurisation, de même, du processus de contrôle de l’existence à l’étranger – nous y reviendrons dans nos échanges, j’ai évoqué les moyens humains que nous allons mettre en place ; une meilleure maîtrise de la fraude en lien avec le respect de la condition de résidence, grâce à l’élargissement de l’accès à l’application de gestion des dossiers de ressortissants étrangers en France (AGDREF), et à l’amélioration de l’exploitation des données de l’application Visabio.

Ce plan contient, enfin, des mesures sur la maîtrise de la fraude aux cotisations et aux prestations de service internationales, sujet sur lequel l’information du Parlement pourrait encore être renforcée.

Je serai particulièrement attentif à ce qu’un suivi précis, avec des actions concrètes et quantifiées, ainsi que des indicateurs permettant d’évaluer fidèlement l’atteinte des objectifs fixés soit mis en place, et que cela se traduise dans les nouvelles conventions d’objectifs et de gestion qui seront signées avec les organismes de sécurité sociale.

Je veux dire notre attention et le soutien que nous apportons tout particulièrement à deux articles de la proposition de loi. Nous souscrivons totalement à l’idée de mieux informer le Parlement sur la coopération transfrontalière, comme le prévoit l’article 12, et de renforcer le processus d’immatriculation des personnes nées à l’étranger, inscrit à l’article 15. Les autres dispositions nous posent certaines difficultés, parce que nous portons une appréciation sur leur opportunité, parce que nous considérons qu’elles seraient difficilement applicables ou encore parce que nous avons fait le choix d’y donner suite différemment.

Nous devons collectivement nous fixer une obligation de moyens, mais aussi de résultats et faire connaître le bilan de nos actions. Le débat qui va commencer est une manière de le faire et j’en remercie de nouveau l’auteure de la proposition de loi, tout comme je remercie, par avance, l’ensemble des intervenants sur ce texte.

Lorsque nous nous attaquons de manière dépassionnée, voire chirurgicale, à ce chantier de la lutte contre la fraude sociale, cela permet de mettre au jour les contournements des règles, les dissimulations et les détournements de recettes qui doivent être affectées aux régimes de sécurité sociale, mais aussi de contribuer à une meilleure efficacité et donc à une plus grande solidarité de l’ensemble de notre système de protection sociale. En cela, le débat qui s’ouvre est nécessairement utile.

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