Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 9 décembre 2020 à 11h05
Audition publique ouverte à la presse du pr. élisabeth bouvet membre du collège de la haute autorité de santé has et présidente de la commission technique des vaccinations et de Mme Michèle Morin-surroca cheffe du service « évaluation économique et santé publique » de la has

Cédric Villani, député, président de l'Office :

La question portant sur la différence d'approche entre protection et éradication n'a pas encore été abordée.

Pr. Elisabeth Bouvet. - Je poursuis mes réponses. Pour éradiquer une maladie par la vaccination, il faut qu'elle soit à transmission purement interhumaine et obtenir une couverture vaccinale très élevée. Nous ne connaissons pas suffisamment l'épidémiologie du coronavirus ni les capacités des vaccins à induire une immunité prolongée. La rougeole est une maladie immunisante, c'est-à-dire que si vous l'avez eue, vous ne pouvez pas l'avoir à nouveau ; comme le vaccin confère à peu près le même type d'immunité et que la transmission est interhumaine, l'éradication de la rougeole est un horizon envisageable.

Pour la Covid, je crois qu'il est un peu tôt. Premièrement, la transmission est possible par des animaux - ce qui fait que nous ne maîtrisons pas forcément la circulation du coronavirus chez d'autres espèces que l'homme. Deuxièmement, pour l'instant, nous ne maîtrisons pas la durée de protection donnée par un vaccin. Troisièmement, l'éradication suppose un taux de couverture vaccinale extrêmement élevé. Or lorsqu'on vaccine des personnes qui ont peu de risque pour elles-mêmes, on doit tout de même veiller à ce que la balance bénéfices-risque soit suffisamment favorable. Or elle ne l'est pas nécessairement pour une personne jeune qui n'a pas de comorbidité, avec un vaccin encore peu connu, et dont les risques sont probablement faibles mais peuvent être supérieurs à ceux de la maladie. L'adhésion de la population risque d'être mauvaise : beaucoup de personnes jeunes considèrent qu'elles n'ont pas besoin de se faire vacciner, parce qu'elles n'ont pas de risque de développer une forme grave de la maladie.

Il y a encore beaucoup d'inconnues et il est un peu tôt pour envisager l'éradication. On doit plutôt espérer une stabilisation, avec des campagnes de vaccination qui pourraient se poursuivre. Souvenons-nous que c'est une maladie qui n'existait pas il y a un an. Nos réponses ne peuvent être que partielles.

Je ne suis pas certaine qu'on ait réellement écarté les vaccins chinois de la stratégie. De toute façon, la HAS prend les vaccins en considération à partir du moment où ils ont une autorisation de mise sur le marché. La HAS n'a pas pour mission de faire de la prospective sur les vaccins avant qu'ils n'arrivent.

Je vous remercie. Je vais poser un certain nombre de questions : les miennes et celles qui me sont transmises.

J'ai une question de notre collègue Catherine Procaccia, sénatrice membre de l'OPECST : « Les Français pourront-ils choisir leur vaccin quand plusieurs seront sur le marché ? » C'est un sujet d'autant plus important qu'il existe différents types de vaccin : le vaccin à ARN, le vaccin à adénovirus, les vaccins plus classiques. Cela doit-il avoir une influence ? Doit-on ouvrir la possibilité de choisir ? Sur quels facteurs un choix devrait-il ou pourrait-il se baser ?

Une question des auditeurs concerne les personnes les plus âgées, qui seront vaccinées en premier. Comment sont-elles représentées dans les essais actuels ? Il semble qu'elles ne le sont pas, où très peu. Doit-on craindre une moindre efficacité des vaccins chez les personnes les plus âgées ?

Nous avons entendu parler ici et là de passeport vaccinal. Un tel passeport a-t-il un sens, tant que l'on n'en sait pas plus sur le pouvoir du vaccin à empêcher la transmission du virus ?

Une question à laquelle Rose Magazine s'est associé : « Les malades du cancer feront-ils partie des populations prioritaires ? Peut-il y avoir des contre-indications, sachant que certains malades ont des défenses immunitaires affaiblies ? Avons-nous des indications sur le vaccin qui serait le plus adapté pour eux ? » Quelle est l'efficacité des vaccins sur des personnes immunodéprimées pour une raison ou une autre ?

Je vais ajouter mes propres questions.

Madame Bouvet, votre exposé a présenté clairement ce qui a fondé la stratégie proposée. Vous avez dit que le choix se situait entre une stratégie de très large vaccination pour viser l'immunité collective, et une stratégie cherchant à protéger les plus vulnérables. La HAS a choisi cette seconde stratégie pour plusieurs raisons, en particulier le fait que nous avions des garanties assez fortes sur la capacité des vaccins à prévenir les formes graves, alors qu'aujourd'hui, nous n'avons pas de garantie sur le fait qu'ils puissent empêcher la transmission. Par ailleurs, le virus circule beaucoup et il paraît très ambitieux de vouloir empêcher cette circulation, d'autant qu'au début, nous ne disposerons que qu'un petit nombre de doses de vaccins. Vous avez également indiqué qu'il y a eu beaucoup de clusters et de décès dans les EHPAD et qu'il était naturel d'y concentrer l'effort dans un premier temps. Ce sont les éléments qui ont conduit à retenir la seconde stratégie. Si dans les mois qui viennent, de nouveaux éléments apparaissent, la HAS pourrait-elle être amenée à réviser la stratégie ?

S'agissant du nombre de doses et du conditionnement, nous avons entendu depuis hier les chiffres les plus divers. On a évoqué des palettes, des doses arrivant par paquets de 500 et tout à l'heure, nous parlions de quelques doses par paquet. Pouvons-nous clarifier les choses, même s'il n'est pas dans les missions de la HAS d'assurer la logistique ?

Lorsque nous avons préparé les auditions, nous avons remarqué la complexité des structures qui s'occupent de la stratégie vaccinale. Il y a bien sûr la HAS, mais également le Conseil scientifique présidé par Jean-François Delfraissy, le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) présidé par Françoise Barré-Sinoussi, le Comité scientifique sur les vaccins avec Marie-Paule Kieny, que nous allons auditionner bientôt, le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale autour d'Alain Fischer, ainsi que les autres institutions comme le Haut conseil de la santé publique (HCSP), Santé publique France, les administrations ministérielles qui vont suivre ce dossier, et la task force interministérielle placée sous la responsabilité de Louis-Charles Viossat. Cette complexité ne crée-t-elle pas de la fragilité ? Nous ne disons pas qu'il faudrait tout chambouler pour simplifier mais il nous faut identifier quels sont les points de vigilance auxquels les parlementaires, qui contrôlent l'action du gouvernement, doivent être particulièrement attentifs. En effet, la complexité ne doit pas déboucher sur la cacophonie ou sur une stratégie illisible.

Pr. Élisabeth Bouvet. - Je vous remercie pour toutes ces questions. Pourrons-nous choisir notre vaccin ? Tout dépendra si plusieurs vaccins seront ou pas disponibles au même moment, et de leurs indications - par exemple, un vaccin pourra être beaucoup plus efficace sur la transmission que sur les formes graves, un autre aura démontré une meilleure efficacité chez les personnes âgées. Il y aura donc des indications préférentielles. Le choix pourrait se discuter lors de la consultation préalable, entre le patient et le médecin qui apporte l'information sur les vaccins disponibles, leurs caractéristiques et l'intérêt que la vaccination pourrait avoir pour cette personne. Pendant la première phase, il n'y aura pas de choix, puis il est possible que dans quelques mois, nous ayons un certain choix. Les vaccins n'auront pas la même efficacité, les mêmes contre-indications, les mêmes impacts en termes de transmission, les mêmes problématiques. Par exemple, il y aura peut-être un vaccin nécessitant une seule injection, ce qui pourrait être facilitateur. Tout cela est du domaine de la relation entre le patient et son médecin. Bien sûr, il y aura une certaine latitude si plusieurs vaccins sont présents en même temps et ont des caractéristiques permettant de considérer qu'ils peuvent être efficaces et intéressants pour la personne en question. Certains essais auront peut-être par exemple concerné plus que d'autres des patients atteints de cancer ; on aura donc tendance à les proposer à des personnes atteintes d'un cancer.

Cela me permet de répondre à une autre question : les cancers récents, c'est-à-dire non considérés comme guéris, sont des comorbidités facteurs de risque de forme grave. Les personnes atteintes d'un cancer en cours de traitement seront priorisées.

Les études et les modélisations montrent qu'au-delà de 75 ans, l'influence des cofacteurs ne joue pas. Entre 65 et 75 ans, les facteurs de risque s'additionnent. Pour la tranche d'âge de 65 à 74 ans, il serait donc logique de proposer la vaccination d'abord aux personnes ayant des facteurs de risque et ensuite à celles qui n'en ont pas ou moins.

Il est un peu tôt pour se prononcer sur le passeport vaccinal. Beaucoup de personnes y réfléchissent. Ce qui est important est que nous aurons un certificat de vaccination : chaque personne vaccinée se verra remettre un document attestant qu'elle a été vaccinée. Après, il sera possible que pour faire certains voyages, on vous demande cette attestation de vaccination.

Les vaccins que nous connaissons, à savoir les vaccins ARN ne montrent pas à ce stade de contre-indication. Ce ne sont pas des vaccins vivants ni des vaccins vis-à-vis desquels il faut craindre des phénomènes allergiques. L'intérêt du vaccin ARN est que c'est une molécule tout à fait pure, qui n'est pas le fruit d'une culture cellulaire ou d'un processus biologique. Certains vaccins ultérieurs seront des vaccins à vecteurs. Or quand il y a des vecteurs, ceux-ci peuvent être plus ou moins vivants ou viables. Il pourrait donc y avoir des contre-indications, notamment l'immunodépression, à certains vaccins vecteurs vivants.

Pour être sûr de bien comprendre, les connaissances scientifiques suggèrent que l'immunodépression n'est pas un problème vis-à-vis des vaccins ARN, mais pourrait l'être vis-à-vis des vaccins vecteurs. Est-ce bien cela ?

Pr. Elisabeth Bouvet. - Le problème éventuel ne se pose pas en termes de tolérance, de risque ou de danger, mais en termes d'efficacité. Quand une personne a un déficit immunitaire, la vaccination peut susciter une réponse immunitaire insuffisante. Cependant, l'immunodéficience est un terme extrêmement large qui recouvre des situations très diverses. Dans certaines situations, notamment celles qui portent sur la réponse humorale ou la réponse cellulaire, la vaccination peut être moins efficace que chez les personnes ayant une immunité normale. C'est connu pour tous les vaccins, c'est général.

Sur les vaccins vecteurs, nous n'avons pas de données nous permettant de savoir quelles seraient les contre-indications.

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