Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 10 décembre 2020 à 9h05
Examen d'une note scientifique « exposome » cédric villani député rapporteur

Cédric Villani, député, président de l'Office :

Chers collègues, le thème de la note scientifique que je vous présente - l'exposome - est un sujet de recherche contemporain qui ne relève pas tant de la question scientifique que de la méthodologie et de la manière d'aborder les problèmes liés à l'environnement et à la santé.

Les personnes consultées dans le cadre de l'élaboration de ce travail sont notamment : Robert Barouki, membre du Conseil scientifique de l'Office, professeur de biochimie et toxicologue, distingué par le prix OPECST-INSERM, et Rémy Slama, épidémiologiste environnemental et codirecteur de l'Institut multithématique santé publique de l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), une délégation du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de la recherche et le Health Data Hub (plateforme de données de santé) ont également été consultés.

Ce sujet s'inscrit dans l'actualité. Des travaux parlementaires sont en cours sur les questions de santé environnementale. De plus, le quatrième Plan national santé environnement est paru en octobre 2020. L'un de ses axes consiste à mieux connaître les expositions et les effets de l'environnement sur la santé des populations.

Pour expliquer l'exposome, on peut citer l'exemple des risques de cancer du poumon détaillé dans la note 11 du document. L'exposition au radon et le fait de fumer constituent des facteurs de risque. Néanmoins, ces deux risques ne s'additionnent pas. Pour un fumeur, l'exposition au radon est multipliée par 25. Il existe donc, non un effet additif, mais multiplicatif, des risques. Par conséquent, on ne peut pas considérer ces risques de manière distincte dans le cadre de la réglementation.

De plus, il n'est pas possible de développer une vision objective des risques qui pèsent sur la santé, à la suite de facteurs d'exposition environnementale, en considérant les facteurs séparément : il faut tenir compte de l'ensemble des expositions. Cette idée a conduit Christopher Wild, ancien directeur du Centre international de recherche sur le cancer, à proposer le concept d'exposome en 2005.

L'exposome se définit en complément du génome, en lien avec les facteurs d'exposition environnementale. On peut considérer le génome comme l'ensemble de toutes les causes innées qui sont examinées pour rechercher les facteurs de risques de développer une maladie. L'exposome est l'ensemble des risques d'exposition liés à l'environnement, qu'il s'agisse de la nourriture, l'air, l'eau, l'alimentation, l'environnement sonore, l'environnement psycho-affectif, l'hygiène de vie, les conditions socio-économiques, etc.

Tout l'enjeu de l'exposome consiste à définir ce qui peut en être rendu effectif afin de nourrir les analyses, la recherche et les réglementations.

Il convient de prendre en compte le facteur temporel, avec la durée de l'exposition. Une très petite dose instantanée, mais cumulée sur de nombreuses années, pourrait avoir un effet plus important que l'administration d'une même dose en une fois, avec une forte exposition. De même, en fonction des fenêtres d'exposition, il peut y avoir certaines périodes de la vie où l'on est plus réceptif à une cause donnée de l'environnement.

Le quatrième Plan national santé environnement, actuellement en consultation publique, fait des propositions, notamment celle d'améliorer la connaissance de l'exposome par l'instauration d'une plateforme de santé, mêlant données de santé et données environnementales (Green data hub).

La conscience de l'influence majeure de l'environnement sur la santé existe de longue date. On estime même que c'est le principal facteur qui influe sur la santé. La spécificité du concept d'exposome est de considérer l'ensemble des facteurs et d'intégrer leurs effets dans le temps.

La méthodologie requiert une approche pluridisciplinaire mêlant sciences de la vie, chimie analytique, statistiques, sciences humaines, technologie et données connectées. Elle doit s'accompagner de procédures d'évaluation des risques systématiques. Toutefois, il n'est pas possible d'étudier systématiquement l'ensemble des combinaisons.

Plusieurs approches sont possibles. La première est la modélisation QSAR (quantitative structure activity relationship) qui cherche à déduire les effets biologiques des molécules à partir de leur structure chimique, sans avoir besoin d'expérience sur le terrain. L'approche par AOP (adverse outcome pathways), vise à décomposer les effets biologiques des molécules afin de mieux identifier les chemins mécanistiques en jeu. Les études sur cohorte permettent de prendre en compte des facteurs de santé intrinsèques et des facteurs environnementaux plus larges. La mise en place de cohortes est très coûteuse, et souvent le fruit de partenariats entre instituts de recherche et agences de santé. Plusieurs projets d'envergure sont coordonnés à l'échelle européenne. Neuf nouveaux projets sont annoncés cette année dans le cadre du European Human Exposome Network.

La connaissance de l'exposome bénéficiera d'une meilleure caractérisation de l'environnement des participants aux études. La mise au point de capteurs ou de détecteurs ambulants capables de mesurer des contaminants environnementaux en constituera l'un des éléments clé.

L'avancée dans les domaines biomédicaux des « omics » (transcriptomique, protéomique, métabolomique, épigénomique) jouera également son rôle dans le perfectionnement des cohortes. La plateforme spécifique Green data hub permettra le croisement de données collectées par les autorités en matière d'environnement et par les autorités de santé, dans une approche plus ouverte et plus diverse.

Une mission de préfiguration a été lancée conjointement avec le ministère de la recherche et le ministère de la transition écologique. Des membres de cette mission ont été auditionnés ; ceux-ci s'inspirent de l'expérience du Health data hub et travaillent à préfigurer la plateforme.

Les applications à attendre sont les suivantes : la possibilité de réaliser des prédictions en fonction des expositions ; l'amélioration de la surveillance des facteurs de risques ; la prévention des maladies (transfert des soins curatifs vers les soins de prévention).

Parmi les limites de cette méthodologie, on peut citer : son coût très important ; le fait de prendre en compte l'ensemble des facteurs ; la grande variabilité de l'exposition ; la temporalité ; l'interaction génome-environnement, qui mêle le dossier de l'évaluation des risques génomiques et l'évaluation de l'environnement.

Globalement, l'analyse génomique n'a pas donné autant de résultats que ce qui était attendu en matière de santé. La notion d'exposome pourra, au même titre, s'avérer moins fructueuse que ce que l'on peut espérer dans le cadre de la mise en place d'un plan de prévention de grande ampleur. Il n'en reste pas moins qu'il vaut la peine de développer la recherche sur ce sujet à grande échelle, en favorisant la coopération internationale pour la mutualisation des coûts et en encourageant les nouveaux modes de recherche (science ouverte et science participative).

C'est la raison pour laquelle la note recommande la mise en place d'une infrastructure dédiée à l'exploration analytique de l'exposome ainsi qu'à la surveillance et à la vérification des répercussions sur la réglementation européenne d'évaluation des risques des substances chimiques.

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