Intervention de Denis Beau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 3 mars 2021 à 9h00
Évolution du modèle bancaire et avenir de la banque universelle — Audition de Mme Maya Atig directrice générale de la fédération bancaire française fbf Mm. Denis Beau premier sous-gouverneur de la banque de france paul de leusse directeur général d'orange bank et alexandre prot cofondateur et président-directeur général de qonto

Denis Beau, président désigné de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution :

Depuis la grande crise financière, les activités d'intermédiation financière ont repris leur développement à un rythme soutenu, de l'ordre de 4 % en France, comme en Europe. Mais cette croissance s'accompagne d'une évolution des services, d'une diversification des intermédiaires qui les fournissent et d'une complexification de leurs relations.

Ces transformations soulèvent de nombreuses questions d'intérêt général. Je voudrais partager quelques observations sur trois d'entre elles qui, de mon point de vue de superviseur et de banquier central, sont importantes : va-t-on vers la fin de la domination en Europe d'une intermédiation centrée sur les banques ? Quelles conséquences sur l'efficacité et la stabilité de notre système financier ? Faut-il faire évoluer le cadre de régulation du système financier ?

En réponse à ma première question je voudrais faire trois observations. La première observation concerne le dynamisme des acteurs non bancaires de l'intermédiation financière depuis la crise financière de 2008. Ce dynamisme s'est d'abord traduit par le développement du financement non bancaire qui a progressé dans la zone euro à un rythme annuel de 7,5 % en moyenne entre 2013 et 2019. Depuis 2002, la part des crédits bancaires dans l'endettement de la zone euro a été divisée par deux et ne représentait plus que 37 % de l'endettement de la zone euro en 2019. Ce dynamisme s'est accompagné de l'émergence de nouveaux acteurs, en particulier les entreprises technologiques. Le modèle de ces entreprises se fonde sur la décomposition des activités de la banque universelle traditionnelle en une série de fonctions essentielles distinctes, telles que l'acheminement des paiements, la fourniture de financements, le partage des risques et la répartition des capitaux, qui sont réassemblées sur une plateforme en ligne, qui assure l'interface avec l'utilisateur. Dans ce modèle, le contrôle de la plateforme est plus stratégique que l'offre de services financiers elle-même, qui peut être externalisée à des tiers, comme les banques.

La seconde observation concerne l'impact, qui s'annonce différencié, des fintech et des Bigtech sur l'intermédiation financière. Les start-ups du secteur de la fintech n'ont pas les ressources en capital suffisantes pour perturber les acteurs en place et leur rôle sera probablement déterminé par l'alternative suivante : coopérer voire passer sous le contrôle d'un acteur établi ou entrer en concurrence sur des segments de niche, tel que le financement participatif, l'activité de prêt en ligne ou les paiements. L'impact s'annonce tout autre avec les Bigtech qui disposent de ressources financières massives, d'une forte image de marque, d'une clientèle constituée à l'échelle mondiale et d'un accès privilégié aux technologies de pointe.

La troisième observation concerne l'avenir de l'intermédiation bancaire, en particulier dans le monde de la vente au détail : si les Bigtechs disposent des capacités nécessaires pour remodeler significativement l'intermédiation financière, cela ne signifie pas que les banques seront nécessairement évincées, mais qu'elles pourraient être interfacées par les plateformes des Bigtech. Cette évolution est par exemple déjà bien engagée en Chine.

Au lieu d'éliminer l'intermédiation, la force exercée par les entreprises technologiques, si on lui laisse le champ libre, peut plus probablement conduire à rebattre les cartes de l'intermédiation financière, autour de la combinaison de plusieurs modèles qui incluraient le modèle traditionnel d'intermédiation bancaire, le modèle d'intermédiation financière non bancaire mis en oeuvre par le secteur de la gestion d'actifs, notamment pour financer le secteur des entreprises, un modèle dit « réintermédié », dans lequel fintech et Bigtech jouent le rôle d'intermédiaire pour les banques, vis-à-vis de la clientèle de détail en particulier, et un modèle intégralement désintermédié reposant sur la technologie blockchain.

J'en viens maintenant aux conséquences de ces transformations sur l'efficacité et la stabilité de notre système financier. Ces transformations, dans la mesure où elles s'accompagnent effectivement de meilleures « expériences-utilisateurs » et d'un financement plus diversifié de l'économie, sont susceptibles d'avoir un impact positif à la fois sur l'efficacité et la stabilité de notre système financier. Mais elles sont également porteuses de risques.

Concernant les acteurs bancaires, un risque important concerne leur rentabilité. L'environnement de taux bas dans lequel nous évoluons désormais, pour des raisons conjoncturelles et structurelles, réduit les perspectives de marge de revenu net d'intérêt et contribue à expliquer l'érosion de la valorisation des banques européennes sur les marchés financiers. Les banques européennes disposent néanmoins et heureusement de leviers pour faire face à ce défi. Ils reposent en particulier sur la réduction des frais généraux, via notamment l'ajustement de la taille des réseaux et les investissements dans les technologies digitales. La consolidation du système financier européen constitue un levier additionnel pour permettre des économies d'échelle et un meilleur amortissement des coûts fixes d'innovation et d'investissement.

Concernant l'intermédiation financière non bancaire, force est de constater que son développement a augmenté le caractère systémique de ses activités et les interconnexions, avec des désordres possibles, vis-à-vis du financement de l'économie réelle, comme en attestent les tensions intervenues en mars et avril derniers sur les fonds monétaires.

Cette observation m'amène à mon dernier point : quelles conséquences en matière de régulation du système financier et de contribution des banques centrales ? J'en retiens trois principales. La première conséquence concerne le périmètre de la réglementation. Du fait de la conjonction d'interconnexions croissantes - financières et opérationnelles - entre acteurs, dont une partie seulement est régulée, et de la digitalisation en cours du système financier, l'exposition du système financier au risque cyber s'accentue. En outre, son exposition à de nouveaux risques apparait, comme le risque de stabilité financière et de souveraineté monétaire associé à la diffusion de nouveaux crypto-actifs comme les « global stable coins ». Dans ce contexte il serait utile de déployer un cadre réglementaire et de surveillance applicable aux principaux prestataires de service informatiques, notamment les fournisseurs de service de Cloud, ainsi qu'aux émetteurs et distributeurs de stablecoins, indexés sur une ou plusieurs devises. La Commission européenne a pris au niveau européen des initiatives avec les propositions de règlements DORA et MiCA qui apparaissent de ce fait bienvenus.

La seconde conséquence concerne le contenu de la règlementation applicable aux intermédiaires non bancaires. Une intermédiation financière non bancaire solide offre une alternative aux services offerts par les banques, à condition que sa résilience soit renforcée et que les fonds ne soient pas un facteur d'amplification procyclique des chocs. C'est dans cette perspective qu'un renforcement de la réglementation et une approche macroprudentielle étendue aux intermédiaires financiers non bancaires pour mieux encadrer leurs risques de liquidité seraient utiles pour éviter des comportements procycliques qui pénaliseraient le financement de l'économie.

La troisième conséquence concerne les conditions dans lesquelles les banques centrales donnent accès à la monnaie qu'elles émettent, pour préserver le rôle d'ancrage que celle-ci joue pour assurer la stabilité du système financier. La numérisation des marchés financiers et des paiements doit les conduire à réfléchir aux conditions de mise à disposition de leur actif de règlement. C'est le sens des expérimentations que la Banque de France a engagées pour mettre à disposition des intermédiaires financiers une monnaie numérique de banque centrale (MNBC), et des travaux que conduit la Banque centrale européenne (BCE), auxquels la Banque de France participe, sur une MNBC à destination du grand public.

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