Je vais commencer par répondre à la question de l'accès aux services numériques puis, dans un second temps, je répondrai plus spécifiquement sur les sujets concernant directement Orange Bank. Je suis banquier depuis vingt ans et je ne suis opérateur télécom que depuis deux ans, donc vous me pardonnerez le fait que je ne sois pas aussi sachant sur cette question que mes collègues du comité exécutif d'Orange ! Effectivement, des engagements ont été pris sur l'équipement en France et Orange est de très loin l'opérateur qui investit le plus pour « fibrer » la France en complément du réseau cuivre existant. Ces engagements, ils ont été pris et ils sont tenus. Ils représentent des milliards d'euros d'investissements pour Orange mais cela fait partie de ce que l'opérateur doit à ses clients et, à ce titre, cet investissement est justifié. Cela prend du temps mais, y compris pendant le confinement, nous avons continué à travailler pour « fibrer » la France. C'est un investissement pluriannuel qui mobilise des ressources extrêmement importantes chez Orange quand bien même toute la France n'est pas encore fibrée.
Je voudrais revenir sur le sujet des territoires. Nous avons effectivement la conviction que nous devons avoir une présence sur les territoires. En particulier car, nous le voyons, parmi les clients que nous gagnons, au nombre d'environ 40 000 nouveaux clients par mois, ceux que nous récupérons par le canal digital sont très différents que ceux que nous récupérons par le canal des boutiques. Sur le canal digital, nous récupérons des clients qui auraient pu aller dans la plupart des autres néobanques. Quand on regarde leur profil en termes d'âge, de genre ou de revenu, on retrouve un certain type de clients. Les clients que nous récupérons via les boutiques sont d'une sociologie très différente. Ils ont des revenus plus faibles, ils sont plus âgés et ce sont souvent des clients qui n'auraient pas spontanément choisi d'aller vers une banque digitale. Ils l'ont fait parce qu'un vendeur en boutique leur a expliqué les bénéfices associés à cette banque digitale. Donc, nous avons la conviction très forte qu'en France, et encore plus en Afrique, un réseau physique permet de toucher des personnes qu'autrement on ne toucherait pas. Nous avons aussi la conviction que nous créons de l'emploi en France. Orange Bank représente 750 emplois en France, dont 500 emplois à Montreuil, où est basé le siège, et 250 à Amiens où nous avons un centre d'appel. Je pense que le sujet n'est pas d'imaginer les néobanques comme des « coucous » qui viendraient profiter d'une infrastructure financée par les banques traditionnelles sans en payer le coût. Ce n'est pas du tout notre vision.
Toutefois, la forme d'injustice qui peut exister, c'est au regard de néobanques qui opéreraient depuis l'étranger et qui ne satisferaient pas aux exigences françaises, des néobanques qui, quand bien même elles ont des clients en France, et parce qu'elles opèreraient depuis l'étranger, ne seraient pas assujetties à la même réglementation. Là, je trouve qu'il existe une forme d'iniquité et ce, d'autant plus que si la réglementation européenne est uniforme en termes prudentiels, c'est à dire de fonds propres, elle ne l'est pas en termes de lutte anti-blanchiment. Cela signifie que des néobanques qui opèrent en France depuis l'étranger appliquent des critères moins-disants en termes de lutte anti-blanchiment que ce que nous essayons d'appliquer parce que nous opérons en France. Donc, la présence sur le territoire est nécessaire mais l'iniquité est très forte vis à vis de ces néobanques qui ne créent pas d'emplois en France. Sur cette question, je trouve que l'Europe ne joue pas pleinement son rôle.
Un mot sur la rentabilité. Nous ne sommes pas encore rentables, et pour des raisons qui sont exactement les mêmes que celles qu'évoquait Alexandre Prot, parce que nous avons beaucoup investi sur notre informatique et sur le marketing pour nous faire connaître auprès des clients. En plus, nous payons le réseau de boutiques lorsque nous l'utilisons, ce qui est normal puisque nous leur prenons du temps commercial. Nous ne sommes pas encore rentables mais nous avons fortement réduits nos pertes. Nos pertes en France ont été réduites de 25 % en deux ans. Nous nous acheminons vers la rentabilité et nous serons rentables un jour, c'est certain.
J'ai deux remarques par rapport à ce sujet. Le premier c'est que l'Europe ne nous aide pas non plus. Quand vous êtes une néobanque aux États-Unis, vous opérez sur l'ensemble du territoire américain. Quand vous êtes une néobanque en France vous pouvez opérer sur le territoire français. Mais lorsque vous voulez vous déployer dans un autre pays, sauf à procéder par le passeport européen mais avec les limites que j'ai évoquées sur la lutte anti-blanchiment, vous devez créer des succursales dans chaque pays. Et si vous voulez opérer sur le métier du crédit, qui n'est pas harmonisé au niveau européen, vous devez satisfaire aux réglementations de chaque pays. Celles-ci sont toutes différentes. Pour la même somme investie dans une néobanque, en France vous n'aurez accès qu'au marché français alors qu'aux États-Unis vous aurez accès à l'ensemble du marché américain.
Toujours sur le thème de la rentabilité, le deuxième élément qui me frappe toujours, c'est qu'on se félicite quand une fintech ou une néobanque lève de l'argent. On a raison parce que cela signifie que l'on draine de l'épargne qui va être productive, qui va être investie sur un actif, certes risqué, mais qui a toutes les chances de réussir, comme c'est le cas de Qonto. Mais quand une entreprise traditionnelle comme Orange investit dans Orange Bank, aucun journaliste ne se félicite de l'investissement de l'entreprise. Au contraire, nos pertes sont pointées alors que ce sont pourtant exactement les mêmes que celles d'une néobanque indépendante dans laquelle des investisseurs en capital-risque auraient investi. Mais dans la mesure où c'est l'argent d'Orange, la décision est mal considérée. Je trouve que c'est là un esprit un peu franco-français qui fait que l'on ne valorise pas le risque qu'une entreprise est prête à prendre pour se lancer dans un nouveau métier. D'un côté on déplore que les acteurs traditionnels ne soient pas aussi innovants que les acteurs fintech mais d'un autre côté, quand ils mettent un peu d'argent pour l'être, on estime que c'est dommage et qu'ils perdent de l'argent. Je trouve que l'on a le devoir de faire savoir que c'est une bonne chose lorsqu'une entreprise privée investit sur son propre métier, que c'est presque aussi positif que quand un capital-risqueur investit dans un nouvel établissement.