Intervention de Chakib Benmoussa

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 mars 2021 à 9h35
Audition de s.e. M. Chakib Benmoussa ambassadeur du royaume du maroc en france

Chakib Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France :

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation qui témoigne de la vivacité des relations franco-marocaines.

La crise sanitaire touche en effet nos deux pays, tant sur le plan économique que sur le plan social. Elle a mis en lumière l'interdépendance de nos économies et l'importance de la question sanitaire. Si elle a permis une accélération de certaines transformations (énergie, infrastructures, etc.), la crise a également montré que les tendances populistes et de repli sur soi peuvent progresser.

Malgré les mesures rapidement adoptées, le Maroc déplore, à ce jour, quelque 8 700 décès, et 250 personnes sont actuellement hospitalisées dans des services de réanimation - soit un taux d'occupation de 12 %. La stratégie vaccinale se poursuit dans le pays : 3,7 millions de Marocains ont déjà reçu la première dose du vaccin, et 300 000 d'entre eux ont reçu la seconde dose. D'ici l'été, l'ensemble de la population majeure devrait être vaccinée.

Sur le plan social, le Maroc a mis en place un fonds de solidarité de près de 3% du PIB au bénéfice des ménages vulnérables, et a lancé un plan de sauvegarde de l'emploi représentant 11% de son PIB. En outre, Sa Majesté le roi Mohammed VI a annoncé plusieurs mesures comme la création, d'ici 2025, d'un système d'assurance maladie obligatoire, d'un système d'allocations familiales, d'un régime d'indemnisation chômage, ainsi que l'élargissement de l'accès au régime de retraite.

En outre, sur le plan économique, un fonds d'investissement stratégique et une réforme des établissements publics sont envisagés. Bien avant la pandémie, le roi avait décidé de créer une commission spéciale du modèle de développement (CSMD), que j'ai l'honneur de présider, qui vise à adapter le pays aux transformations du monde et à permettre la stabilité et le développement de la région.

Cette crise sanitaire aura des conséquences sur la relocalisation des chaînes de production et la souveraineté économique. Le Maroc essaye d'anticiper ces transformations, en lien avec la France : le Medef et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) ont ainsi conduit une mission pour dynamiser nos relations économiques et préparer l'avenir dans plusieurs domaines (digitalisation, économie décarbonée, etc.).

Ces priorités sont similaires à celles de l'Union européenne qui, dans le cadre de son partenariat de voisinage méridional, va consacrer 7 milliards d'euros pour la période 2021-2027.

La zone de libre-échange africaine est entrée en vigueur au 1er janvier 2021. Ce marché commun, même s'il mettra du temps avant de devenir effectif, permettra de créer plus d'échanges sur le continent et une meilleure valorisation de ses atouts : matières premières, disponibilité de terres arables, jeunesse de la population, développement d'une classe moyenne urbaine, etc. Le Maroc pourra alors constituer un « hub » pour les échanges, du fait de sa proximité géographique et de ses liens avec l'Europe.

S'agissant à présent du Sahara, je voudrais rappeler que le 13 novembre 2020, les forces armées marocaines sont intervenues à Guerguerat afin de libérer l'axe routier reliant le Maroc à la Mauritanie, qui était bloqué par le Front Polisario. Cette intervention, qui s'est déroulée sous l'oeil de la Minurso et qui n'a fait aucune victime, a rétabli la libre circulation des biens et des personnes. Elle n'emporte aucune conséquence sur le processus de cessez-le-feu, malgré les appels à la guerre du Front Polisario, soutenu par l'Algérie, qui a tenté des incursions au-delà du dispositif de sécurité.

Quelques semaines après cette intervention, les États-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara et les provinces du Sud, considérant que la solution d'autonomie proposée par notre pays était la plus crédible au regard des enjeux de stabilité régionale, contrairement à la solution d'indépendance proposée par le Polisario et l'Algérie, qui n'est soutenue par aucun des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. En effet, les pourparlers avec le Polisario et l'Algérie n'avancent pas depuis 2007, date de la présentation par le Maroc de l'initiative d'autonomie comme solution de ce différent régional.

Le Sahara marocain, jadis colonisé par l'Espagne, est un territoire de 270 000 kilomètres carrés, qui a des liens historiques attestés d'allégeance au Maroc et dont le Maroc a revendiqué la décolonisation, bien avant son indépendance. Il a été récupéré suite aux accords de Madrid mettant fin à la colonisation espagnole. Le Maroc a veillé à ce que le statu quo des discussions politiques sous la supervision des Nations unies n'ait aucune conséquence sur la population locale qui s'élève à quelque 600 000 habitants ; sachant que la population sahraouie de Tindouf en Algérie est estimée à moins de 60 000 personnes - celle-ci n'a jamais été recensée, malgré les demandes répétées du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Le Maroc a créé un environnement de sécurité permettant aux élections de se tenir dans cette région, et aux investissements d'infrastructures d'être réalisés. Le développement est toutefois freiné par le statu quo ; à cet égard, les positions américaines permettent de clarifier la situation et de créer une nouvelle dynamique qui consolide une zone de stabilité entre le Sud de l'Europe et l'Afrique subsaharienne.

Au-delà des aspects sécuritaires, le Maroc apporte des réponses diplomatiques (processus de discussion politique aux Nations unies), des réponses politiques intérieures (régionalisation et élections régulières) et des réponses de développement (infrastructures et équipement de la région pour créer de l'emploi et améliorer les indicateurs de développement humain) qui font partie d'une approche globale favorisant la stabilité régionale. Aussi notre pays soutient-il le collège de défense du « G5 Sahel » à travers des actions de formation des militaires, mais aussi dans le domaine cultuel pour la promotion d'un islam d'ouverture - un millier d'imams subsahariens a été formé à l'institut Mohammed VI -, ainsi que dans le domaine de la coopération sud-sud, notamment dans des domaines économiques ou sociaux.

Pour ce qui concerne la Libye, le Maroc, à travers les accords de Skhirat puis les pourparlers de Bouznika, a contribué à créer un climat de confiance pour que les acteurs libyens puissent dialoguer et préparer une sortie de crise. Le président du parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, l'a d'ailleurs rappelé lors de sa récente visite au Maroc.

S'agissant de la question migratoire, le Maroc accueille l'Observatoire africain des migrations, créé sous l'égide de l'Alliance africaine, et travaille avec l'Union européenne sur les questions de mobilité.

En ce qui concerne les relations avec Israël, il convient de rappeler que la reconnaissance d'Israël est ancienne, même si les relations diplomatiques étaient suspendues, et que plusieurs centaines de milliers d'Israéliens sont d'origine marocaine et ont conservé des liens très étroits avec le Royaume. Dans le cadre des derniers accords, il est prévu un rétablissement des relations diplomatiques, une coopération économique forte et des liaisons aériennes directes, et cela sans préjudice de la position marocaine sur la question palestinienne, à savoir le soutien à la cause palestinienne ainsi qu'à une solution à deux États. SM le roi Mohammed VI préside d'ailleurs le comité Al-Qods qui vise à la préservation de la liberté des cultes présents à Jérusalem.

Enfin, à propos des relations diplomatiques avec l'Allemagne, il n'y a pas de rupture de ces relations mais une limitation des contacts avec l'ambassade d'Allemagne à Rabat. Il s'agit d'un signal visant à clarifier certaines positions jugées agressives et à lever les ambiguïtés qui les entourent. Cela fait suite à plusieurs incidents comme la mise à l'écart du Maroc dans le dossier libyen, et les positions critiques émises à l'égard de notre pays sur le Sahara ou sur le respect des droits de l'homme.

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