Intervention de Chakib Benmoussa

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 mars 2021 à 9h35
Audition de s.e. M. Chakib Benmoussa ambassadeur du royaume du maroc en france

Chakib Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France :

Je commencerai par répondre à vos questions sur le Sahara marocain, avant celles sur les migrations et la politique intérieure marocaine.

Sur le Sahara marocain, notre conviction est que la reconnaissance par les Etats-Unis aide à faire avancer le processus politique aux Nations unies pour permettre d'arriver à un accord qui soit réaliste, où il n'y ait pas de perdants, qui soit gagnant-gagnant pour toutes les parties et qui tienne aussi compte de l'intérêt des populations qui sont sur place. Cette reconnaissance pourrait aider à ce que le débat se focalise sur les termes, les conditions de cette autonomie et de sa mise en place en faisant en sorte, comme le Maroc l'a promis, qu'elle soit la plus large possible. Je rappelle que dans son initiative, dans son document de base, le Maroc envisageait qu'il y ait un Parlement régional, un gouvernement régional, la possibilité que des lois soient votées au niveau régional, qu'il y ait aussi une police régionale, avec bien sûr la gestion de tout ce qui est économique à l'échelle de la région, mais en étant attentif à ce que tout cela s'insère dans le cadre de la souveraineté du Maroc et de son corollaire sécuritaire et diplomatique du Maroc. Nous considérons que la position américaine peut faire prendre conscience à ceux qui soutiennent la création d'un Etat indépendant dans la région, que cette option est irréalisable et les amener à être plus réalistes et à s'engager de manière plus active dans la discussion politique. La position que pourrait adopter un certain nombre de pays européens, en allant dans la même direction, peut être quelque chose d'extrêmement positif. Je rappelle que la position de la France a été de soutenir l'initiative d'autonomie, une position qui a toujours été extrêmement appréciée par le Maroc et qui a permis de préserver la stabilité dans cette région. Mais nous considérons qu'aujourd'hui est arrivé le moment où le statu quo peut devenir contre-productif parce qu'il ne permet pas de répondre aux attentes des populations qui vivent dans cette région. Je rappelle que les représentants de ces populations aspirent aujourd'hui à plus de développement, plus de quiétude, plus de marges d'autonomie et de responsabilités politiques. Je pense que tout ce qui peut être fait à l'international par la France et par les pays européens pour pousser dans cette direction-là sera positif et aidera à créer les conditions pour que cette région soit une région de stabilité et de paix. Le développement de cette région sera bénéfique pour l'ensemble de la région sahélo-saharienne.

Par rapport aux questions en lien avec les enclaves de Ceuta et de Melilla, je rappelle que la position du Maroc, depuis toujours, est que ces enclaves sont des villes marocaines. C'est une position qui est connue du gouvernement espagnol. Le Maroc a toujours soutenu que le statut de ces villes devrait être réglé par la discussion avec l'Espagne, donc il n'est pas question de situation de fait, et il n'y a aucune intention dans ce sens-là de la part du Maroc. Ce sont des sujets qui sont sur la table mais qui n'ont pas empêché que la relation avec l'Espagne se développe et se renforce sur le plan aussi bien politique qu'économique. Le développement des régions du nord, qui s'est opéré au cours de ces deux dernières décennies, est probablement en train de modifier l'intérêt de ces enclaves et peut amener à un nouveau contexte qui faciliterait une solution convenue entre le Maroc et l'Espagne sur ces questions.

Sur la question de la Palestine et la question de la relation avec Israël, le rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël n'est pas un alignement sur la position israélienne vis-à-vis des Palestiniens ; au contraire, cela peut même être un moyen pour agir et influencer Israël. Aujourd'hui la relation d'Israël avec un certain nombre de pays arabes - qui reconnaissent Israël et ont établi avec ce pays des relations diplomatiques - fait que l'argument sécuritaire, qui est mis en avant pour s'opposer à des discussions directes avec les Palestiniens et à la réalité d'une solution à deux Etats, n'est plus aussi valable qu'il ne l'était auparavant. Cela devrait permettre de mobiliser, aussi bien à l'intérieur de l'Etat d'Israël qu'à l'extérieur, tous les acteurs qui sont en faveur d'une paix durable et de la possibilité de donner leurs droits aux Palestiniens. Le Maroc s'inscrit dans cette démarche.

Sur les questions liées à la migration, notamment les mineurs non accompagnés. Je voudrais d'abord rappeler que, sur ce sujet, le Maroc, à la demande de la France, s'est mobilisé depuis plusieurs années - comme cela a été dit - pour aider à ce que des mineurs qui sont en situation de vulnérabilité, qui sont souvent exploités par différents réseaux, qui sont parfois effectivement acteurs d'actes de violence mais sont aussi souvent eux-mêmes victimes de ces violences, puissent être protégés aussi bien en France que par un retour au Maroc où un certain nombre d'institutions spécialisées existent et sont en capacité de recevoir ces jeunes et de les accompagner. Ce retour ne peut se faire que dans le cadre des conventions internationales qui prévoient qu'une intervention judiciaire évalue les conditions dans lesquelles le retour est possible, sachant que l'objectif est de mettre en avant l'intérêt et la protection des enfants. Aujourd'hui, plusieurs avis convergent pour dire que, dans un certain nombre de cas, ces enfants qui se retrouvent dans la rue mettent en danger leur vie, leur avenir. On peut imaginer quels adultes ils feront demain s'ils sont laissés dans cette situation-là. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'accord entre le Maroc et la France, sachant que le Maroc, sous contrôle de la justice et des juges des mineurs au Maroc, est disposé à accepter les mineurs reconnus comme Marocains et pour lesquels des décisions de juges français seraient prises. Bien sûr, ces mineurs seront pris en charge par les institutions marocaines. Des visites ont été organisées par le ministère de la Justice du Maroc au profit de juges des mineurs français, qui ont visité un certain nombre de centres qui sont tout à fait aux standards internationaux et qui, dans certaines situations, pourraient constituer une solution bien meilleure que le fait d'avoir ces mineurs en train d'être l'objet d'exploitations par différents réseaux.

De manière plus large, le Maroc est lui-même devenu pays de transit et a mis en place une politique migratoire assez développée, qui a essayé de combiner des dimensions juridiques - puisqu'un certain nombre de textes de loi ont été mis en place - et des réponses humanitaires - à travers les opérations de régularisation qui ont été citées, mais aussi à travers l'accès de ces populations à un certain nombre de droits en termes de santé, d'éducation des enfants ou, pour certains, en termes d'emploi. Cette réalité de la migration dépasse le seul Maroc, elle est liée à des situations particulières dans les pays d'origine, à des politiques particulières dans les pays d'accueil et le Maroc, en tant que pays de transit et de plus en plus en tant que pays de destination, se retrouve partie prenante de ces politiques. Je rappelle que le Maroc a organisé fin 2018 une rencontre mondiale sous l'égide des Nations Unies autour du sujet de la migration. Les concepts de migration et de mobilité organisée ont été défendus et retenus ; il en est de même pour le concept de responsabilité partagée qui permet de développer des politiques migratoires plus efficaces. Lorsqu'il y a une coopération plus large, elle permet d'aboutir à des résultats positifs, aussi bien en termes de contrôle de l'immigration clandestine qu'en termes de mobilité choisie et de possibilité de co-développement.

Un certain nombre de questions ont été posées en lien avec la stratégie de lutte contre le terrorisme. Je voudrais rappeler que le Maroc a mis en place une démarche extrêmement poussée pour lutter contre le terrorisme, qui s'appuie bien sûr sur la dimension sécuritaire, sur la dimension renseignement et sur la coopération internationale. Le Maroc a également mis en place un ensemble de lois qui permettent de lutter efficacement contre ce phénomène ; des résultats sont enregistrés à l'arrivée puisque sur les dernières années, de nombreuses cellules ont été démantelées et que plusieurs auteurs ont été présentés à la justice. Le Maroc a aussi mis en place des mécanismes pour répondre à la problématique de ces Marocains qui se sont rendus, notamment, au Moyen-Orient, de manière à ce qu'à leur retour, ils puissent faire l'objet d'une procédure particulière et d'un suivi particulier. Mais la réponse n'a pas été que sécuritaire, elle a aussi porté sur le développement économique, sur la dimension cultuelle, religieuse, sur le fait de réformer le champ religieux et de réduire la marge de manoeuvre que pouvaient avoir un certain nombre d'acteurs qui prêchent une lecture extrémiste de l'Islam et prêchent l'intolérance, voire le djihad et la violence. C'est dans ce cadre-là qu'une coopération a été mise en place avec la France pour la formation d'imams français au Maroc. Le Maroc accueille ces imams pour des formations qui durent deux à trois ans et finance des bourses d'études. Une soixantaine d'imams français ont été formés ou sont en train de l'être et ont profité des installations de l'institut Mohammed VI de formation des imams de Rabat. Depuis plusieurs années, un groupe de travail conjoint France-Maroc se réunit régulièrement sur les sujets en lien avec l'islam en France et aborde ces questions de formation, mais aussi celle des imams détachés. Je voudrais rappeler que le nombre d'imams détachés marocains est de 25, à comparer aux 2 500 mosquées en France, cela permet de relativiser le sujet. Comme cela a été dit, il est envisagé que d'ici 2024, il n'y ait plus d'imams détachés à partir du Maroc. Le fait d'avoir des imams français formés au Maroc permettra que les mosquées françaises puissent disposer de solutions alternatives. Je voudrais souligner le fait que, sur la question de l'islam, le Maroc a une position très claire : le Maroc combat l'instrumentalisation de l'islam, que ce soit dans des actes d'extrémisme ou de terrorisme, ou bien dans l'action politique. Le Maroc est contre l'islam politique et au Maroc il est interdit à tout parti de se prévaloir de l'islam dans ses statuts ou dans son programme politique. C'est un élément de convergence par rapport à certaines mesures que la France envisage pour bien distinguer l'acte de foi lié à l'islam, de l'acte militant et d'instrumentalisation de la religion. Ceci étant dit, je dois aussi vous faire part de beaucoup d'inquiétudes de nos compatriotes qui vivent en France, par rapport à la stigmatisation qui peut être faite de l'islam. Beaucoup n'aspirent qu'à vivre leur religion de manière sereine et ils ont le sentiment que le fait qu'il y ait une minorité radicalisée qui exploite la religion a rendu le sujet stigmatisant et beaucoup de musulmans se sentent obligés de justifier le fait qu'ils soient musulmans. Il s'agit là d'un sujet d'inquiétude.

Par rapport aux questions en lien avec la nouvelle Constitution et les droits des femmes, je dois dire que le Maroc a beaucoup fait au cours de ces deux dernières décennies pour élargir le champ des libertés, pour élargir le champ de la reconnaissance de la diversité culturelle comme étant un élément constitutif de l'identité marocaine et pour élargir le champ de l'égalité hommes-femmes même si - on doit le reconnaître - le chemin est encore long. La Constitution de 2011 indique que la parité doit être l'objectif et que tous les acteurs s'engagent à travailler dans ce sens-là. C'est ce qui explique un certain nombre de mesures, de textes, qui vont dans le sens de l'élargissement de la participation de la femme, que ce soit dans le processus électoral avec des réformes en cours pour élargir le nombre de places réservées aux femmes sur les listes régionales, dans les instances législatives, mais aussi dans les instances communales avec des mesures de soutien à la participation des femmes. Ces derniers mois, la question de la lutte contre les violences faites aux femmes a été très présente. Mais je crois que c'est un chantier de longue haleine pour lequel la mobilisation de la société civile est un élément extrêmement important car elle arrive à « secouer » les acteurs pour accélérer le mouvement. Sur le sujet de la mise en oeuvre de la Constitution, beaucoup d'avancées sont constatées. Il reste à ce que cette culture d'élargissement démocratique, cette culture de liberté et de responsabilité - à travers les différents textes de lois et les réformes qui sont en cours comme celle de la justice ou celle du code pénal - puissent être renforcées et puissent permettre d'inscrire dans le marbre ce mouvement vers la consolidation des droits et des libertés.

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