Intervention de Arnaud Danjean

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 mars 2021 à 8h30
Politique étrangère et de défense — Bilan annuel 2020 de la politique de sécurité et de défense commune psdc : Audition de Mm. Arnaud daNjean et mounir satouri députés européens français

Arnaud Danjean, député européen :

Le Partenariat oriental est un sujet en soi, qui relève de la politique étrangère - même si nous avons en effet une mission en Géorgie. En Moldavie, il y a des développements intéressants, mais cela nous emmènerait assez loin. Si ces pays - Géorgie, Moldavie, Azerbaïdjan - ne sont pas vraiment prioritaires pour les Français, ils constituent une priorité absolue en matière de politique étrangère pour au moins la moitié des pays européens, notamment en Europe centrale, orientale et du Nord. Il faut être conscient des développements qui se produisent dans le Caucase et sur la frange orientale de l'Europe. Certains sont très inquiétants, non seulement avec la guerre en Arménie, mais aussi en Géorgie. Je connais assez bien la Géorgie et je ne suis pas surpris de ce qui s'y passe : on s'était beaucoup illusionné sur le changement de régime en 2012. M. Saakachvili était loin de n'avoir que des avantages, mais ceux qui ont pris le pouvoir après lui avaient des intentions qui n'étaient pas exactement celles qu'ils affichaient, à savoir le rapprochement européen et atlantique. Nous voyons aujourd'hui le retour de bâton et la situation est durablement instable en Géorgie.

Sur la formule concernant la mort cérébrale de l'OTAN, il y a eu un vaste débat. En entendant ces déclarations, à l'époque, j'ai pensé que tout le raisonnement était juste et pertinent, sur le besoin pour les Européens de développer leur autonomie, sur le fait que l'OTAN ne peut pas tout faire, que les Américains n'ont pas forcément les mêmes priorités que nous ou que nous ne sommes pas à l'abri d'un revirement de leur part, et qu'il faut que les Européens se prennent en mains. Mais la conclusion était malheureuse : quand vous êtes Président de la République française, vous n'êtes pas un chercheur à la tête d'un think tank qui peut se permettre de telles formules. Il faut avoir conscience que ce que vous dites a des répercussions politiques chez nos partenaires. En fait, ceux-ci n'ont retenu que la fin !

Du coup, ils ont décroché par rapport au raisonnement. En somme, la forme a submergé le fond. Du coup, nous avons dû rétropédaler pour expliquer que nous n'étions pas anti-atlantiques ou anti-américains... Par cette formule malheureuse, le Président a réactivé toutes les craintes que les autres pays européens ont vis-à-vis du projet français : ils nous soupçonnent de vouloir développer la défense européenne pour concurrencer l'OTAN, voire pour s'y substituer. Mais le projet européen, aujourd'hui, n'est aucunement en mesure de se substituer à l'OTAN. À la limite, il peut s'immiscer dans quelques interstices, notamment sur le flanc sud ou en matière de gestion de crise. Il doit prendre plus d'ampleur sur le plan capacitaire mais il n'est pas en mesure d'offrir une garantie de sécurité, notamment aux pays d'Europe centrale et orientale qui ne voient que cette dimension. Bref, cette formule était assez inappropriée. Insister sur ce qui fait la singularité française et tenter de convaincre nos partenaires, c'est une chose ; les heurter avec condescendance et des formules à l'emporte-pièce, c'est contre-productif.

Je crois que l'OTAN conserve une certaine cohérence pour tout ce qui concerne l'interopérabilité des forces européennes. Si nous devions un jour développer une force strictement européenne, il faut bien admettre que c'est au sein de l'OTAN qu'on aura développé l'interopérabilité capacitaire et opérationnelle. D'autre part, il ne faut pas négliger le rôle de dissuasion de l'OTAN par rapport à une menace toujours perçue comme très réelle par un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale. Je connais les réticences traditionnelles de la France par rapport à la perception de cette menace mais nous devons admettre qu'elle est prioritaire pour un certain nombre de nos partenaires européens - et que l'OTAN est le seul forum adéquat pour y faire face.

Cela dit, une réflexion doit être menée sur le rôle de l'OTAN au XXIe siècle. Elle est engagée. Déjà, nous savons qu'il y a des choses que l'OTAN ne sera jamais en mesure de faire, soit parce qu'elle ne le veut pas, soit parce qu'elle ne le peut pas. En particulier, sur le flanc sud, l'OTAN n'est pas la structure idoine pour faire valoir nos intérêts.

Vous avez raison, la Turquie pose un vrai problème. On voit le secrétaire général de l'OTAN dire partout que l'OTAN est aussi une communauté de valeurs. Or, la Turquie de M. Erdogan, ce ne sont pas nos valeurs ! Et, sur le plan opérationnel, il peut y avoir des complications extrêmement négatives. C'est un débat que tout le monde met sous le tapis. Les Européens de l'Est ont tellement peur que le débat sur la Turquie pollue et paralyse le fonctionnement de l'OTAN, dont ils ont besoin, qu'ils n'osent pas aborder ce sujet ou l'abordent avec beaucoup de précautions.

Les projets franco-allemands de défense patinent. Ce n'est pas une surprise. Il faut d'autant plus de volontarisme dans le franco-allemand en matière de défense que cela ne va pas de soi, au vu de l'Histoire, de nos cultures, de nos institutions. Nous avons deux modèles très différents, y compris sur le plan industriel. Quand on pense « industrie de défense », nous pensons « défense » d'abord ; les Allemands pensent « industrie » d'abord. Nous pensons stratégie, autonomie, opérations. Les Allemands pensent business, répartition des charges, compétitivité... Bref, nous avons de vraies incompréhensions. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas essayer, mais qu'il faut avancer de façon lucide. Or, on est souvent dans l'incantatoire, en pensant que la volonté suffira. Pourtant, les réalités de management industriel sont des réalités lourdes, qui pèsent sur l'avancée de ces programmes. Je suis en faveur du franco-allemand : c'est un moteur important qu'il faut alimenter. Mais si certaines choses n'avancent pas, il ne faut pas hésiter à faire autrement. Le retard pris sur le système de combat aérien du futur, en particulier, m'inquiète beaucoup.

En termes de culture stratégique, nous sommes beaucoup plus proches des Britanniques. J'aime beaucoup le partenariat franco-britannique, mais il ne faut pas non plus le mythifier, ce qu'on a tendance à faire par compensation aux difficultés que nous rencontrons avec le partenaire allemand. Les Anglais mettent trois Chinooks dans Barkhane, tant mieux ! Mais si c'était la grande puissance combattante européenne que nous louons en permanence, ils seraient peut-être capables de faire un peu plus... Il est vrai qu'ils participent à la Minusma et qu'ils sont très présents en Afrique orientale. Nous n'avons pas forcément les mêmes priorités géographiques et capacitaires qu'eux. Bref, le partenariat franco-britannique doit être entretenu et il est important, d'autant plus que les Britanniques ne sont plus dans l'Union européenne, mais il ne faut pas le mythifier, ni se faire trop d'illusions sur ce que nous pouvons faire avec les Britanniques. D'ailleurs, ceux-ci vont réinvestir massivement l'OTAN, ce qui va contre nos propres intérêts. La structure multilatérale européenne dans laquelle les Britanniques veulent jouer un rôle de leader, c'est l'OTAN.

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