Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet sur lequel je travaille depuis de nombreuses années et qui, malheureusement, appelle encore aujourd'hui des efforts importants.
Au-delà de la définition légale adoptée en 2010, ne permettant pas nécessairement un ciblage opérationnel des ménages concernés, la précarité énergétique se définit selon moi comme la difficulté voire l'incapacité pour un ménage à chauffer correctement son logement, à un coût acceptable au regard de ses ressources.
La précarité énergétique peut ainsi être liée à l'état des logements - la performance thermique des logements demeurant encore globalement mauvaise en France. Elle peut également être liée à des équipements de chauffage ou de production d'eau chaude vétustes, contribuant à gonfler la facture énergétique des plus pauvres, en particulier dans le parc privé. Elle peut aussi être liée au coût des énergies - le prix de l'ensemble des combustibles fossiles ayant été multiplié par deux ou trois au cours des vingt dernières années en France, avec en parallèle une augmentation constante du prix de l'électricité (du fait notamment de taxes payées uniformément par l'ensemble des consommateurs, y compris les ménages les plus modestes). La précarité énergétique s'apprécie également par rapport au niveau de ressources des ménages - l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) ayant retenu comme périmètre les ménages des trois premiers déciles de revenus. Enfin, la précarité énergétique recouvre également une dimension de non-recours aux droits, qu'il s'agisse des aides au paiement ou des aides à la rénovation énergétique des logements.
Pour les ménages et la société dans son ensemble, les conséquences de cette précarité énergétique sont nombreuses. Au plan financier, de nombreux ménages s'endettent pour payer leurs factures d'énergies. Au plan technique, les logements mal chauffés tendent à se détériorer, avec l'apparition de moisissures et d'humidité, ce qui les rend encore plus difficiles à chauffer. Au plan sanitaire, des études menées en France par des médecins ont montré une corrélation entre le fait de vivre dans un logement difficile à chauffer et l'apparition de certaines pathologies physiques ou mentales. Au plan sécuritaire, certaines stratégies mises en oeuvre pour conserver ou produire de la chaleur par des moyens complémentaires (obturation de grilles d'aération, utilisation de poêles à pétrole, etc.) peuvent induire des risques d'accident, d'incendie ou d'intoxication au monoxyde de carbone. Enfin, au plan environnemental, la précarité énergétique conduit à un gaspillage massif d'énergie.
En France, la précarité énergétique, identifiée par un taux d'effort énergétique supérieur à 8 % (correspondant à des dépenses pour se chauffer supérieures à 8 % des revenus), concernait, en 2016, 3,5 millions de ménages, soit 11,9 % de la population. Toutefois, cet indicateur ne prend pas en compte les ménages ayant froid dans leur logement et conservant un taux d'effort énergétique inférieur à 8 %. En considérant les ménages ayant froid dans leur logement et ceux dépensant trop pour se chauffer, la précarité énergétique concernait, en 2016, près de 5,6 millions de ménages français, soit 20,15 % de la population.
Face à cette situation, pour aider les ménages, l'enjeu serait d'accompagner une rénovation massive et performante du parc de logements. Pour ce faire, il conviendrait, de façon assez urgente, de sortir d'une logique d'aides publiques par geste de rénovation, pour aller vers des aides publiques plus systématiquement orientées vers la rénovation globale et performante. En pratique, les aides apportées pour réaliser certains travaux produisent aujourd'hui des gains de performance énergétique qui sont rapidement rattrapés par les augmentations du prix de l'énergie. En allant plus systématiquement vers une rénovation globale et performante, les travaux financés seraient globalement moins coûteux (dans la durée, malgré un investissement initial plus important) et mettraient plus longtemps les ménages à l'abri de la précarité énergétique.
En parallèle, l'enjeu serait de continuer à protéger les ménages les plus fragiles, pour leur permettre de faire face aux factures excessives et/ou leur éviter d'avoir à restreindre leurs dépenses de chauffage. Le montant du chèque énergie pourrait pour cela être augmenté. Les dotations aux fonds de solidarité pour le logement (FSL) pourraient également être augmentées sensiblement. Les dotations aux FSL diminuent d'année en année. Or, ces fonds, existant dans chaque département, ont vocation à financer des actions à la fois curatives et préventives vis-à-vis des impayés de factures d'énergie.
Enfin, l'accompagnement des ménages dans la réalisation de travaux de rénovation ambitieux nécessiterait d'être davantage financé. Cet accompagnement n'est aujourd'hui pas financé dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov'. Une aide de 150 euros au titre de l'assistance à maîtrise d'ouvrage devrait être mise en place en 2021. Cependant, ceci ne saurait répondre aux besoins de ménages souvent noyés dans des difficultés sociales, très fragiles économiquement et démunis face à la complexité des aides à la rénovation.