On observe effectivement une pluralité de définitions de la précarité énergétique. Cependant, toutes conservent des points communs, en essayant le cas échéant d'identifier différents publics.
L'Institut Jacques Delors, dans ses travaux de recherche, s'appuie sur la définition de la précarité énergétique retenue par l'Observatoire européen de la précarité énergétique (lancé par la Commission européenne en 2018 et animé avant tout par des universitaires). Cette définition repose sur quatre critères visant à couvrir la diversité des phénomènes de précarité énergétique. Elle inclut ainsi :
- les personnes déclarant ne pas être en mesure de se chauffer convenablement chez elles ;
- les personnes rencontrant des difficultés pour payer leurs factures d'énergies (ce critère apparaissant particulièrement important dans des pays tels que la Grèce, traversée par une crise économique profonde depuis 2008, où il a concerné jusqu'à 45 % des ménages) ;
- les personnes dédiant une part élevée de leurs revenus aux dépenses énergétiques (ce critère s'appliquant à environ 15 % des ménages européens et 11 % des ménages français) ;
- les personnes affichant des dépenses énergétiques anormalement faibles (cet indicateur visant à cerner les publics faisant le « choix » de ne pas se chauffer pour éviter des factures d'énergie trop importantes).
Ces critères doivent être combinés pour approcher les différentes réalités de la précarité énergétique.
Pour ce qui est de l'évolution de la situation, sous l'effet de la crise sanitaire notamment, les statistiques les plus récentes dont nous disposons au niveau européen datent de 2019. Je ne saurais donc vous répondre sur ce point. Du reste, nous avons déjà pu mesurer, en Europe, l'impact d'une crise économique sur la précarité énergétique. En Grèce, la crise économique de 2009-2010 a conduit à une explosion de la précarité énergétique, avec des conséquences dramatiques (décès liés au froid dans certaines régions, prélèvements sauvages de bois de chauffage dans les forêts, etc.).
Pour ce qui est de la dimension politique, force est de constater que la situation actuelle résulte de choix politiques faits dans les décennies précédentes. Nous disposons aujourd'hui de tous les moyens techniques pour éviter la précarité énergétique - certaines technologies performantes étant extrêmement anciennes. Cependant, le choix a jusqu'à présent été fait de ne pas mener une politique de rénovation des bâtiments à la hauteur des enjeux (qu'ils soient climatiques ou sociaux) et de ne pas favoriser systématiquement les modes de production de chaleur les plus propres écologiquement et les moins coûteux (biomasse, pompes à chaleur, chauffe-eaux solaires, etc.).
La question est donc celle des choix politiques à faire aujourd'hui pour remédier à la précarité énergétique, en matière de rénovation des bâtiments et de développement des modes de chauffage par des énergies renouvelables - ces modes de chauffage étant moins coûteux sur le long terme.
Une articulation nécessiterait par ailleurs effectivement d'être trouvée entre le niveau européen, le niveau national et le niveau local. À son niveau, l'Union européenne s'efforce de structurer un certain nombre de filières, pour abaisser le coût de certains matériaux isolants ou équipements (laine de verre, pompes à chaleur, etc.). Une action nationale demeure cependant nécessaire, a fortiori dans un pays très centralisé comme la France, s'agissant notamment d'orienter les aides attribuées (le cas échéant dans le cadre des plans de relance). Le niveau local est ensuite déterminant pour identifier les publics en situation de précarité énergétique et structurer le tissu des PME locales devant opérer la rénovation profonde des bâtiments (y compris en leur permettant, le cas échéant, de gérer la complexité administrative des aides).