Plusieurs définitions de la précarité énergétique cohabitent effectivement. Lors de son adoption, la définition légale du phénomène avait déjà fait l'objet d'un débat, s'agissant de prendre en compte l'inadaptation des ressources et/ou des conditions d'habitat. Le « ou » a finalement été retenu. Il est donc aujourd'hui possible pour un ménage d'être en situation de précarité énergétique dans un logement BBC, s'il ne parvient pas à payer ses factures d'énergies. À mon sens, le « et » aurait nécessité d'être retenu. En pratique, le fait de ne pas parvenir à payer ses factures d'énergies renvoie à une situation « classique » de pauvreté. La précarité énergétique, elle, se caractérise par la rencontre entre un ménage (avec ses caractéristiques socioéconomiques) et un logement (avec ses caractéristiques techniques) - des caractéristiques socioéconomiques différentes dans un même logement pouvant ne pas générer les mêmes difficultés et inversement. Sur le terrain, une majorité d'opérateurs et d'accompagnants semblent partager ce constat et font la distinction entre la précarité énergétique et la précarité ou pauvreté monétaire. Avec cette définition plus opérationnelle, une intervention sur le logement peut améliorer sensiblement la situation d'un ménage en situation de précarité énergétique.
Au-delà de ces définitions légales et opérationnelles, des indicateurs ont été mis en place par l'ONPE pour observer le phénomène. Ces indicateurs ne constituent pas des outils opérationnels. On y retrouve cependant les mêmes composantes.
Pour ce qui est de l'évolution des publics concernés par la précarité énergétique dans le contexte de la crise sanitaire, il est difficile de conduire aujourd'hui une analyse précise. La première période de confinement est intervenue durant la trêve hivernale - celle-ci ayant ensuite été prolongée jusque fin juillet 2020. Dans ce contexte, les ménages, avec des revenus en diminution, semblent s'être concentrés sur les factures d'énergie et de loyer prioritaires, c'est-à-dire celles ne pouvant être différées. En parallèle, le confinement a engendré une augmentation forte des consommations d'eau, des dépenses liées à l'alimentation, etc. Le paiement de certaines factures semble ainsi avoir été repoussé à l'issue de la trêve hivernale, avec pour conséquence un décalage dans le déclenchement par les fournisseurs d'énergies du recouvrement des impayés. La seconde période de confinement est ensuite intervenue de nouveau en période de trêve hivernale - celle-ci ayant à nouveau été prolongée jusqu'au 1er juin 2021.
Le véritable impact de la crise sanitaire sur le paiement des factures d'énergie pourrait donc être à venir, avec un risque d'explosion des impayés à la sortie de la trêve hivernale en cours, d'où la proposition faite d'augmenter les dotations aux FSL.
Entre fin juillet et novembre 2020, le CCAS de Nantes a déjà pu constater une augmentation des demandes d'intervention autour des impayés d'énergie. En octobre 2020, le baromètre Énergie-Info du Médiateur national de l'énergie a également fait état de 18 % des ménages ayant rencontré des difficultés de paiement de leurs factures d'énergies au cours des douze derniers mois, avec 32 % des 18-34 ans concernés par cette situation.
Concernant les outils législatifs, il est extrêmement positif que l'on vise aujourd'hui à éradiquer le chauffage au fioul. De fait, il s'agit d'une des énergies les plus chères, si bien que de nombreux ménages sont aujourd'hui dans l'incapacité de remplir leur cuve, ce qui contribue à la précarité énergétique, bien que ces dépenses ne soient pas comptabilisées dans les impayés d'énergie. Le chauffage au fioul est de surcroît très polluant et génère des accidents domestiques. Toutefois, l'enjeu serait d'être vigilant quant aux solutions proposées en remplacement du fioul, en envisageant systématiquement les systèmes les moins chers et les plus performants pour les ménages, ainsi que les interventions à mener sur l'enveloppe des bâtiments - les chauffages électriques ou les pompes à chaleur pouvant s'avérer très coûteux ou peu performants en l'absence de réduction des besoins énergétiques des logements. À cet égard, le recours au chauffage au bois (le cas échéant à travers des poêles à granulés très performants) pourrait être davantage encouragé, y compris à travers les aides publiques.
Les FSL, quant à eux, sont aujourd'hui financés à hauteur de 77 % par les conseils départementaux. Ils sont également alimentés par les fournisseurs d'énergie historiques que sont EDF et Engie. En revanche, aucun des fournisseurs alternatifs n'y contribue actuellement, bien que ceux-ci aient, en principe, l'obligation légale de signer en ce sens des conventions avec chacun des départements. Il pourrait être pertinent de rappeler cette obligation.
L'accent devrait par ailleurs d'être mis sur le volet préventif des FSL vis-à-vis des impayés d'énergie. Ce volet préventif est aujourd'hui très inégalement investi en fonction des départements. Avec un financement plus important, ce volet pourrait s'enrichir d'outils plus opérationnels, pour proposer un accompagnement plus poussé aux ménages, mener des actions de repérage des situations de précarité énergétique, voire mettre en place, comme tel est le cas dans certains départements, des fonds sociaux d'aide aux travaux de maîtrise de l'énergie (mobilisables par les travailleurs sociaux pour répondre aux situations d'urgence).
Les contributions des fournisseurs d'énergie aux FSL ayant vocation à être remboursées en partie au travers de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), il pourrait également être envisagé de prévoir un financement direct des FSL par la CSPE, avec un abondement possible par les fournisseurs d'énergie. Cette proposition, soutenue par le Médiateur national de l'énergie, pourrait permettre d'augmenter sensiblement la dotation des FSL.
Aujourd'hui, le constat est plutôt celui d'une diminution des dotations aux FSL, avec en parallèle une diminution des demandes adressées aux FSL, traduisant, non pas une diminution des besoins, mais un non-recours accru au dispositif. Face à la complexité et à la dotation insuffisante du dispositif, les travailleurs sociaux eux-mêmes n'incitent plus systématiquement les ménages à formuler des demandes.