Notre collègue rapporteur Philippe Folliot m'a demandé, en son absence, de lire son intervention sur ce projet de loi.
Afin d'offrir une protection renforcée aux investissements réalisés à l'étranger par nos entreprises, la France a conclu une centaine d'accords bilatéraux de protection des investissements avec, le plus souvent, des pays en développement désireux d'attirer sur leur sol des investissements directs étrangers, parmi lesquels des États d'Europe centrale et orientale qui ont, depuis, intégré l'Union européenne.
Pour prémunir les entreprises contre tout risque de nature politique, ces accords prévoient, d'une part, que le pays hôte réservera un traitement juste et équitable aux investisseurs de l'autre partie, et d'autre part, un accès à un mode alternatif de règlement des différends tel que l'arbitrage.
Dans son arrêt du 6 mars 2018, dit arrêt « Achmea », la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que les clauses d'arbitrage entre États et investisseurs, présentes dans les traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres de l'Union, étaient contraires au droit européen, consacrant ainsi le principe de primauté du droit de l'Union européenne.
Pour mettre en oeuvre cet arrêt, la France et 22 autres États membres ont signé, le 5 mai 2020, un accord portant extinction desdits traités. L'accord soumis à notre examen met donc un terme à l'ensemble des traités bilatéraux d'investissement conclus entre les États membres signataires, y compris aux clauses de survie qui permettent aux investisseurs de se prévaloir des traités bilatéraux, et ce même après leur dénonciation. Les États non signataires ont, quant à eux, entrepris de dénoncer les traités d'investissement intra-européens qu'ils ont conclus dans le cadre de démarches diplomatiques bilatérales.
Toutefois, faute de consensus entre les États membres, l'accord ne tranche pas la question de la compatibilité de la clause de règlement des différends du traité sur la charte de l'énergie, auquel plusieurs États tiers à l'Union européenne sont parties. Ce traité est un accord plurilatéral et sectoriel conclu dans les années 1990 pour favoriser le commerce et le transit des produits énergétiques et pour développer les investissements dans le secteur de l'énergie avec les pays issus de l'ancien bloc soviétique. La Commission européenne ainsi qu'une majorité d'États membres, dont la France, considèrent que cette clause est contraire au droit européen, mais ont convenu de trancher la question ultérieurement.
L'accord Achmea qui nous est soumis poursuit deux objectifs. Premièrement, organiser la dénonciation coordonnée des accords bilatéraux de protection des investissements conclus entre les États membres signataires et toujours en vigueur, ainsi que le démantèlement des accords déjà dénoncés par le passé mais toujours applicables en raison de leurs clauses de survie, que l'accord prive désormais d'effet. Deuxièmement, il s'agit de fournir un cadre aux procédures arbitrales intentées sur le fondement de ces traités bilatéraux. À cet égard, il dispose que les procédures déjà achevées et définitivement réglées avant le 6 mars 2018, date de l'arrêt Achmea, ne sont pas affectées ; que les clauses d'arbitrage contenues dans les accords de protection des investissements ne peuvent servir de fondement à de nouvelles procédures arbitrales ; que des mesures transitoires sont mises en place pour les procédures arbitrales pendantes qui pourront être réglées à l'amiable dans le cadre d'un mécanisme ad hoc de dialogue structuré ou être tranchées par les juridictions des États membres concernés par les litiges.
L'accord rappelle, en outre, que le droit de l'Union offre, d'ores et déjà, des garanties juridiques aux investissements intra-européens, qui prendront de facto le relais des accords bilatéraux d'investissement conclus entre les États membres. Ainsi, même en l'absence d'accords d'investissement, les entreprises opérant au sein du marché intérieur continueront de bénéficier, d'une part, des protections conférées par les libertés fondamentales comme la liberté d'établissement et la libre circulation des capitaux ainsi que des principes généraux du droit européen tels que la non-discrimination, la proportionnalité, la sécurité juridique et la confiance légitime ; d'autre part, d'une protection juridictionnelle effective devant les juridictions des États membres, sous le contrôle de la Cour de Luxembourg. Par conséquent, les investisseurs continueront d'évoluer dans un environnement juridique favorable aux investissements directs étrangers au sein du marché intérieur.
Ainsi, les conséquences économiques du présent accord, bien que difficiles à évaluer, devraient être limitées. De même, il n'est pas attendu d'allongement des procédures de règlement des différends dans la mesure où la durée moyenne des procédures devant les juridictions des États membres est comparable à celle des procédures arbitrales au sein de l'Union. Il conviendra, toutefois, de veiller à l'impartialité des juridictions nationales, en particulier dans des pays comme la Hongrie ou la Pologne qui, d'après les institutions européennes, porteraient atteinte à l'État de droit.
Pour conclure, cet accord permet aux États membres de se conformer au droit européen pour le règlement de leurs différends liés aux investissements réalisés au sein du marché intérieur, sans préjudice des garanties offertes par les libertés fondamentales et les principes généraux du droit de l'Union européenne. Neuf États membres l'ont déjà ratifié, permettant à l'accord d'entrer en vigueur. En outre, l'Espagne a décidé d'appliquer ces dispositions à titre provisoire.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique est prévu le jeudi 18 février prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents et votre rapporteur ont souscrit.