Intervention de Christian Lechervy

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 février 2021 à 9h35
Audition de M. Christian Lechervy ambassadeur de france en birmanie

Christian Lechervy, ambassadeur de France en Birmanie :

Pour que l'Europe adopte un régime de sanctions, nous devrons définir de nouvelles bases juridiques. Celles qui sont applicables à ce jour le sont au regard de la situation dans l'État de Rakhine et des massacres commis contre les Rohingyas.

Les sanctions possibles sont de quatre ordres. Doit-on élargir la liste des personnes visées ? Les Britanniques et les Américains ont inscrit les numéros un et deux de l'armée sur leurs listes. Faut-il viser les plus hauts responsables militaires ou civils ayant pris part au coup d'État et mettant en place les nouvelles institutions ?

Quid des sanctions économiques à l'encontre d'acteurs liés à l'armée ? Les deux conglomérats qu'a évoqués M. Gattolin n'ont plus le rôle central qu'ils avaient lorsqu'ils ont fait l'objet de sanctions européennes ; le secteur privé est davantage présent dans l'économie birmane. Il faut pouvoir identifier des liens entre les entreprises et l'armée, des généraux ou des familles de militaires.

La remise en cause du cadre « Tout sauf les armes » ? Cette question est légitime. M. Gattolin a fait le parallèle avec le Cambodge. De fait, il existe une distorsion entre ces deux pays. En 2010, on a pu mesurer l'effet des sanctions américaines ; je pense à toutes ces jeunes femmes « tombées » dans la rue. L'industrie textile birmane exporte les deux tiers de sa production vers l'Europe et le Royaume-Uni.

S'agissant des mesures financières, les Américains considérant que c'est bien d'un coup d'État qu'il s'agit, certains bailleurs de fonds comme le Fonds monétaire international seront amenés à prendre des mesures, rendant plus complexe l'accès de la Birmanie aux financements internationaux.

Il nous faudra examiner les domaines de coopération dans lesquels nous avons des relations avec l'État birman. Ainsi, allons-nous refuser de poursuivre les coopérations que nous avons engagées dans la lutte contre la Covid et dans le domaine de la santé ?

Pour répondre à M. Vallet, je ne pense pas que les autorités chinoises aient été mises dans la confidence du coup d'État. En revanche, le commandant-en-chef de l'armée birmane a évoqué la question des fraudes électorales devant le ministre chinois des affaires étrangères lors de sa visite, tout comme le sujet a été abordé au cours de la visite du ministre russe de la défense. Il faut noter que la Russie est un partenaire important de la Birmanie dans le domaine de l'armement, fournissant notamment des avions et des hélicoptères de combat et formant des militaires birmans sur son sol.

La Chine et la Birmanie ont 2000 kilomètres de frontières communes, lesquelles sont en passe d'être verrouillées, notamment pour lutter contre la propagation de la Covid, dit-on... Effets inattendus : le trafic de stupéfiants comme les amphétamines qui transitait vers la Chine s'est réorienté vers le sous-continent indien.

Les militaires savent que les grands projets chinois d'infrastructures suscitent de nombreuses réactions dans la société. Ainsi, ils ont mis un terme à un immense projet de barrage, soulignant à d'autres occasions qu'il ne fallait pas, dans ce domaine, aller contre la volonté du peuple.

Par ailleurs, la Chine est suspectée de ne pas s'opposer à la livraison d'armes à des groupes ethniques armés, à commencer par les 30 000 hommes de la très moderne armée Wa.

Pour répondre à M. Todeschini, l'Inde est un partenaire militaire important de la Birmanie. Ce pays craint que des armes ne transitent en particulier par l'État de Rakhine pour alimenter des groupes armés dans le nord-est de son territoire. Autre enjeu : désenclaver cette partie du territoire indien, où le parti de Narendra Modi a conquis de nombreux électeurs ces dernières années, pour atteindre le golfe du Bengale, alors que de nombreux ouvriers travaillant à la construction de routes ont été menacés ou pris en otage par les insurgés ces dernières années.

Notons que l'Inde n'a pas été le partenaire le plus facile sur la négociation à laquelle faisait allusion M. Lortholary lors de l'audition précédente.

M. Le Nay m'a interrogé sur la Malaisie et l'Indonésie. La présidence de l'Asean a réagi très vite au coup d'État. Elle sait que des sanctions compliqueraient les relations avec les États-Unis et l'Europe, voire avec le Japon. L'Asean veut signifier que ce coup d'État fragilise le développement des affaires, l'interconnexion de l'Asie du Sud-Est avec la Chine et l'Inde et nuit aux solidarités internes à ses membres.

M. Gattolin m'a interrogé sur l'état des richesses des membres de la junte. Question complexe, d'autant qu'elles sont souvent issues de l'exploitation de matières premières telles que les ressources minérales, par exemple le jade. Ces avoirs ne sont pas placés dans les pays occidentaux, mais plutôt dans des pays d'Asie, les dirigeants militaires ayant toujours en tête la menace de sanctions liées à la question des Rohingyas. Pour cibler les sanctions, il faudra faire un distinguo entre les avoirs qui dépendent de l'armée et de ses relais, les avoirs constituant les ressources de militaires d'active et d'ex-militaires entrés dans les affaires et les avoirs relevant de l'écosystème familial des militaires.

Monsieur Laurent, il m'est difficile de vous répondre sur les questions économiques et sociales, d'ailleurs peu présentes dans la campagne électorale, les Birmans étant focalisés depuis longtemps sur l'évolution de leurs institutions et la construction d'un État fédéral. Une réflexion sur les questions économiques, sur l'accès à la propriété privée, sur la protection de la propriété foncière, sur un plan de relance post-covid est peu présente dans le débat public.

Madame Garriaud-Maylam, il faut savoir que des manifestations ont eu lieu devant l'ambassade de France, les Birmans appelant à notre solidarité. D'ailleurs, le commandant-en-chef de l'armée a tenu très rapidement à réagir à une déclaration conjointe de seize ambassadeurs en poste dans ce pays émise le vendredi précédant le coup d'État. Il ne faut donc pas sous-estimer la portée de ce que nous disons.

Nous pensons que Aung San Suu Kyi et le président sont toujours à Naypyidaw, sans qu'ils soient incarcérés, les peines pouvant être prononcées après le 17 février. Nous avons demandé leur libération inconditionnelle et que leur avocat commun ait accès à eux. La réponse du chef de la police locale, à savoir qu'il n'avait pas le temps de recevoir celui-ci, ne peut que nous inquiéter. Selon les réseaux sociaux, elle serait en bonne santé, mais il faut se méfier de ces sources d'information en raison des risques de manipulations.

Enfin, je veux préciser que la police birmane a été formée par des États membres de l'Union européenne non pas sur le maintien de l'ordre, mais sur les procédures d'enquête criminelle. La France, quant à elle, a apporté une assistance dans la lutte contre la pédopornographie et le tourisme sexuel.

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