Le projet de loi que le Sénat va examiner à partir du 30 mars prochain vise à conforter le respect des principes de la République. Chacun pourrait - et devrait - se réjouir ici de cet objectif à la lecture de l'intitulé de ce texte. Or, nous nous devons d'exprimer un certain nombre de regrets.
Le premier regret concerne le recul des ambitions affichées par le Gouvernement par rapport au discours du Président de la République aux Mureaux, le 2 octobre dernier. Celui-ci déclarait alors : « Ce à quoi nous devons nous attaquer est le séparatisme islamiste. » Le projet de loi ne traduit pas cette volonté politique forte. Le mot de séparatisme n'apparaît nulle part, alors même que, pour paraphraser Albert Camus, il est nécessaire de bien nommer les choses pour éviter d'ajouter aux malheurs du monde.
Un an jour pour jour après l'annonce par le Président de la République d'un confinement général en raison du covid, permettez-moi cette comparaison imagée : comme un virus cherchant à s'attaquer aux voies les plus propices à son expansion, mais sans anéantir totalement sa proie pour ne pas disparaître avec elle, l'islamisme a fait de l'école et du sport des cibles privilégiées. Pourquoi l'école et le sport ? Parce qu'ils constituent à la fois un vivier incontournable dans une logique de masse, un terreau fertile de jeunes âmes en construction et des vecteurs efficaces de diffusion vers l'ensemble de la population.
Ainsi, l'école et le milieu sportif doivent figurer parmi les priorités d'action du Gouvernement dans cette lutte. C'est là le deuxième regret que l'on peut nourrir : ce projet de loi ne répond pas à l'ampleur du phénomène ni ne donne des outils pour éradiquer ce fléau.
Troisième regret, ce texte donne le sentiment d'être inabouti. Curieusement, l'école publique et l'université manquent dans ce panorama ; j'y reviendrai plus tard. La majorité des articles, comme celui qui concerne la neutralité dans les services publics, sont traités par la commission des lois. Dans le cadre de la délégation, trois chapitres constituent le périmètre des travaux que j'ai eu l'honneur de mener durant six semaines, avec plus de 60 personnes auditionnées : l'instruction en famille, les écoles privées hors contrat et le sport.
Quatrième regret, les contours précis de ce texte sont inconnus. Je pense notamment aux articles consacrés aux associations sportives. Tout repose sur le contrat d'engagement républicain ; la signature d'un tel contrat sera une condition indispensable pour une association si elle souhaite pouvoir bénéficier de subventions ou se voir attribuer un agrément par les fédérations. Or, je n'ai pu obtenir aucun élément précis sur son contenu qui sera défini par un décret en Conseil d'État. Plus problématique encore, les fédérations auditionnées et le Comité national olympique et sportif français (Cnosf) ont indiqué ne pas avoir été consultés pour la rédaction précise de ce contrat. Le mouvement sportif a ainsi exprimé son inquiétude de devoir signer un chèque en blanc.
Cinquième regret enfin, ce texte porte des atteintes disproportionnées à la liberté d'enseignement. Depuis 1882, l'instruction obligatoire peut se faire par trois voies : l'école publique, l'école privée et l'instruction à domicile. L'article 21 du texte opère un profond bouleversement. Au titre des principes, il instaure, pour la première fois depuis 1882, une hiérarchie entre les modalités d'instruction : tous les enfants de 3 à 16 ans doivent être scolarisés, l'instruction en famille étant reléguée à un mode d'organisation secondaire, voire « dérogatoire » pour reprendre le mot du texte.
En outre, l'article 21 substitue au régime de déclaration - il existe par ailleurs pour de nombreuses libertés fondamentales, comme la liberté d'association ou la liberté d'ouvrir une école privée - un régime d'autorisation. Chacun d'entre nous a pu mesurer, au travers des nombreuses sollicitations dans son département, la forte mobilisation contre le changement de régime de cette modalité d'instruction.
Ce changement est source d'inquiétudes. Tant que l'autorisation n'a pas été obtenue, il sera impossible d'instruire l'enfant à domicile. Celui-ci devra être scolarisé jusqu'à l'obtention du précieux sésame. Le système proposé ouvre donc une période de flou, pouvant aller jusqu'à deux mois, pendant laquelle l'enfant fréquentera une école qu'il est susceptible de quitter du jour au lendemain, dès réception de l'autorisation.
Cette incertitude s'avère, de surcroît, annuelle. Le texte ne tire pas les conséquences de ce contrôle a priori des dossiers, qui s'ajoute au contrôle pédagogique obligatoire annuel. Les familles devront solliciter chaque année une autorisation, avec un réexamen complet de leur dossier.
On peut également s'interroger sur la capacité des services de l'éducation nationale à mener à bien l'examen de ces dossiers. Pour rappel, 62 000 enfants sont actuellement instruits en famille, soit 0,5 % des 12 millions d'enfants en âge scolaire. Les motivations et les pédagogies sont évidemment variables d'une famille à l'autre, et il y a parfois matière à corriger les pratiques à l'issue des contrôles obligatoires effectués par les inspecteurs de l'éducation nationale. Mais pointer l'instruction en famille (IEF), sous son mode actuel, comme un acteur essentiel du séparatisme en France, relève d'une suspicion généralisée qui n'est corroborée par aucune étude d'impact mise à ma disposition durant mes travaux.
De manière générale, le ministère de l'éducation nationale ne dispose pas d'études sur l'instruction en famille. Il n'est ainsi pas capable d'indiquer le nombre d'enfants visés depuis deux, trois, quatre ou cinq ans ; tout juste peut-il dire s'il l'enfant était déjà en IEF l'année précédente, que celle-ci ait commencé au 1er septembre ou au 30 mai. Il en ressort ainsi que 40 à 50 % des enfants instruits en famille le sont pendant moins d'un an.
Qu'est-ce qui motive cette lourde charge contre l'IEF, dont le Président de la République annonçait la fin dès la rentrée prochaine lors de son discours aux Mureaux le 2 octobre dernier ? Sans doute, comme souvent, la tentation d'une législation de l'émotion après la découverte d'enfants rassemblés dans des écoles clandestines en région parisienne, confirmant un désastreux amalgame avec l'IEF qui constitue un mode d'instruction reconnue et protégée par notre Constitution.
Certaines dérives doivent être mises à jour pour sauver quelques enfants d'un endoctrinement que notre République ne saurait tolérer. Toutefois, il est possible d'atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement en conservant un système de déclaration, avec quelques modifications. Mais surtout, tous les enfants instruits en famille doivent faire l'objet d'un contrôle pédagogique annuel par les services de l'éducation nationale, comme le prévoit déjà la loi. Par ailleurs, les inspecteurs de l'éducation nationale ne disposent pas toujours de l'enquête réalisée par les services de la mairie, qui est pourtant un précieux outil pour obtenir des informations sur les conditions matérielles dans lesquelles est réalisée cette instruction.
L'enjeu principal est donc celui des moyens et d'une pleine utilisation des outils offerts par le droit en vigueur. C'est pourquoi je vous proposerai dans quelques instants de supprimer l'article 21, afin de revenir au régime déclaratif consubstantiel à la liberté du choix des familles pour l'instruction de leurs enfants.
Parmi les quelques mesures intéressantes dans ce texte, la plus importante, me semble-t-il, est la mise en place d'un dispositif pour lutter contre les écoles de fait. En octobre 2020, au moment de la découverte d'une école clandestine, les services de l'éducation nationale n'ont pas pu prononcer sa fermeture sur le fondement de la législation applicable aux établissements d'enseignement. En effet, il ne s'agissait pas juridiquement d'un établissement scolaire, car il n'y avait pas eu de déclaration d'ouverture d'une école privée. Les services de l'État ont dû recourir au non-respect des gestes barrières dans le cadre de la crise sanitaire, ainsi qu'au non-respect de la réglementation relative aux établissements recevant du public (ERP) pour pouvoir fermer cette école de fait.
La deuxième mesure concerne la fermeture administrative des écoles déviantes qui, malgré des contrôles répétés et des mises en demeure, ne se conforment pas à la loi. Les parents doivent scolariser leurs enfants dans un autre établissement. Mais, dans les faits, les familles ont une attitude attentiste jusqu'à la décision définitive de justice, et tant que l'école n'est pas définitivement fermée, un certain nombre d'enfants continuent de s'y rendre. Dans certains cas, entre la mise en demeure de scolarisation dans un autre établissement et la fermeture définitive de l'école, deux ans peuvent s'écouler. Le texte permet une fermeture administrative en quelques jours. Naturellement, le chef d'établissement pourra toujours saisir le juge administratif, en référé, qui statue dans un délai de 48 à 72 heures.
Enfin, ce texte reprend un certain nombre de préconisations de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives, présidée par notre collègue Jean-Jacques Lozach et à laquelle de nombreux sénateurs de notre commission ont participé : le remplacement de la tutelle par le contrôle ; l'instauration de contrats d'objectifs et de moyens (COM) dans les contrats de délégation entre l'État et la fédération ; ou encore, la limitation dans le temps de la durée des agréments.
Pour ma part, je vous proposerai 28 amendements. Quatre d'entre eux sont des amendements de suppression : suppression rédactionnelle de l'article 1er bis pour le réintroduire dans un chapitre consacré à l'éducation et aux sports ; suppression de l'attestation aux usages du numérique en primaire et au collège (article 19 ter) ; du régime d'autorisation pour l'IEF (article 21) ; et enfin, de la journée citoyenne spécifiquement pour les enfants instruits en famille (article 21 ter).
Je vous proposerai également de modifier le système actuel de déclaration pour l'IEF. Deux amendements prévoient également d'interdire le recours à l'IEF en cas de non-déclaration ou lorsque l'enfant fréquente, sous couvert de l'IEF, une école de fait.
Au sujet du sport, un amendement conserve le système d'agrément par les fédérations pour les associations affiliées. Par ailleurs, le préfet se voit conférer un pouvoir de suspendre les agréments. En raison des conséquences de cette suspension, il en informe le maire et le président de l'intercommunalité de la commune où l'association a son siège social. Le renforcement des principes de la République ne doit pas être seulement l'affaire des responsables de l'association. Un amendement précise que chaque licencié doit s'engager à respecter le contrat républicain au moment de la prise de sa licence.
Il me paraissait également important de prévoir des amendements concernant l'université : interdiction des activités cultuelles dans les lieux d'enseignement ; obligation de signer le contrat d'engagement républicain pour les associations étudiantes souhaitant bénéficier de locaux ; ou encore, lutte contre le détournement de la liberté d'expression et d'information, lorsqu'elle se transforme en prosélytisme ou propagande de nature à perturber les enseignements, les manifestations qui y sont organisées ou l'ordre public.
Ces amendements répondent à un besoin des universités. Un certain nombre d'entre elles ont des dispositions similaires dans leur règlement intérieur. Ces amendements leur offrent la base légale sur laquelle leur règlement intérieur peut s'appliquer.