Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, rédigée conjointement avec le ministère de l’intérieur, cette proposition de loi du groupe La République En Marche à l’Assemblée nationale s’exonère donc d’étude d’impact et d’avis du Conseil d’État, alors qu’elle porte un véritable projet de société libéral, également défendu par d’autres biais.
Son examen à l’Assemblée nationale est intervenu entre deux publications importantes du ministère de l’intérieur : d’une part, le Schéma national du maintien de l’ordre ; d’autre part, le Livre blanc de la sécurité intérieure, qui préfigure une troisième loi pour la programmation de la sécurité intérieure, après celles de 2002 et de 2009.
Pourtant, loin de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens en matière de sécurité, les politiques gouvernementales menées depuis 2002 en faveur du « tout-sécuritaire » se sont toutes révélées contre-productives.
Ce projet de société mûri depuis de nombreuses années arrive à un point de maturation important.
En effet, le projet de « sécurité globale » repose sur le renforcement du maillage constitué par des agents qui pourront exercer une surveillance sur tout le territoire.
Ainsi, pour combler le prétendu manque d’effectifs – il reste à démonter – dans la police nationale ou la gendarmerie, la majorité gouvernementale choisit d’augmenter le nombre des agents de police municipale et de sécurité privée, dans un but de « continuum de sécurité », jolie formule qui dissimule la marchandisation de la sécurité publique et la délégation des missions de services publics à des entreprises qui n’ont pour unique finalité que la recherche de la rente.
En parallèle, on se dote d’outils de surveillance massive, toujours plus prégnants sur notre territoire. Après les caméras individuelles « fixées » sur les agents de police et de gendarmerie, sur les agents municipaux, et désormais sur les agents de la RATP et de la SNCF, les caméras embarquées sur le matériel roulant se multiplient, venant s’ajouter à celles de vidéosurveillance fixes déjà largement implantées dans l’espace public.
Autre innovation importante, le texte prévoit un encadrement juridique de l’utilisation des caméras aéroportées sur des engins volants sans pilotes, les drones.
Ces propositions interviennent alors qu’aucun questionnement n’a été ouvert pour renforcer les moyens dont disposent les forces de l’ordre ou pour former les autres agents de sécurité. Rien non plus sur l’atteinte aux libertés publiques que peuvent constituer ces outils « orwelliens », pour lesquels le texte crée un cadre juridique. Telle est la philosophie de cette proposition de loi.
Tous les dispositifs qui y figurent ont en commun d’augmenter la surveillance et la répression dans l’espace public. Plusieurs libertés sont ainsi mises en péril, telles que celle d’aller et venir anonymement dans l’espace public, ou bien encore la liberté et le droit de manifester. La Défenseure des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ont pourtant établi que ces libertés étaient menacées par le développement des outils de surveillance de masse, tels que les drones, dans la mesure où ils favorisent un recours démultiplié à la captation d’images, qui conduira les populations à « s’autocensurer ».
En outre, cet usage disproportionné de nouvelles technologies porte atteinte au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles comme l’a, à plusieurs reprises, rappelé la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Par ailleurs, l’article 24, dans sa rédaction initiale, remettait en cause la liberté et le droit d’informer. Notre commission l’a réécrit, mais la rédaction reste si floue qu’elle laisse toujours une latitude importante pour réprimer tout comportement visant à dénoncer des actes commis par les forces de l’ordre et, donc, pour limiter ainsi la possibilité de contestation au profit d’un pouvoir de police fort et indiscutable.
Dans sa seconde partie, moins problématique, l’article ne fait que décliner et spécifier certaines dispositions de la loi Informatique et libertés, conformément au conseil formulé par la présidente de la CNIL.
Il n’en reste pas moins que nous demanderons la suppression pure et simple de cet article, qui reste un article « de la police, pour la police et par la police », du moins pour ce qui est des syndicats majoritaires.
Plutôt que de reconnaître l’existence d’un problème notable dans les pratiques policières, le texte prévoit un dispositif qui « invisibilise » toute dérive. Il ne s’agit en aucun cas de protéger les policiers, mais d’empêcher toute diffusion d’image compromettante.
Mes chers collègues, ce texte acte un changement de paradigme en matière de sécurité publique. L’espace public devient un espace de contrôle et de suspicion où chaque citoyen est considéré comme un suspect, voire un terroriste potentiel, en tout cas comme une menace.
Ainsi, un manifestant sera considéré, de haut rang, non plus comme un individu qui exprime son désaccord politique avec le Gouvernement, mais comme un ennemi. C’est du moins ce qui ressort des propos du préfet de police de Paris, M. Lallement, lorsque, s’adressant à une manifestante, il déclare : « Nous ne sommes pas dans le même camp. »
Chers collègues, de quel camp parle-t-il ? Nous sommes bien loin de la tradition française du maintien de l’ordre par la désescalade de la violence. On assiste au contraire à un déferlement de violence, ces dernières années, contre le mouvement social en particulier.
En défendant ce texte, le Gouvernement fait la démonstration de son incapacité à penser la police dans notre démocratie. Depuis des décennies, on met bout à bout « plusieurs polices » sans réévaluer le système dans son ensemble. La question des valeurs n’est pas considérée, ce qui explique que l’on en reste à des « mesurettes ».
Ce texte n’ouvre pas même un début de réflexion sur le contrôle de la police ni ne lance de débat.
(Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Comment ne pas rapprocher ce projet de l’hyperprésidentialisation et de la fuite en avant libérale, qui cassent les droits sociaux et bradent les services publics ?