Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, avec 36, 5 milliards d'euros, le budget de la mission « Défense » représente plus de 13 % de notre budget national ; il absorbe 1, 7 % des revenus des Français. Cet effort nous place au deuxième rang en Europe, derrière le Royaume-Uni, mais très loin devant l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie.
C'est le prix de notre sécurité extérieure dans un environnement incertain où les pays émergents se militarisent très rapidement. Nos forces, auxquelles je veux rendre hommage, sont engagées aussi bien en Afrique subsaharienne qu'au Proche-Orient, au Moyen-Orient et dans l'océan Indien. Et je n'oublie pas, bien entendu, leur mission permanente de sécurisation de notre espace aérien et de sauvegarde maritime.
Cet effort s'accroît cette année de 2, 5 %, soit plus que la norme de dépense nationale. La défense fait donc partie des missions prioritaires de l'État.
Je laisserai à mon collège François Trucy le soin d'évoquer le présent, tant les hommes que le matériel, et je me réserverai d'aborder la préparation du futur au travers des équipements prévus dans ce projet de budget.
Tout d'abord, le projet de budget du programme « Équipement des forces » est solide parce qu'il est conforme à la loi de programmation militaire. Ce constat est exceptionnel : c'est la première fois depuis trente ans - et vous l'avez très justement rappelé, madame le ministre, dans le rapport d'exécution de la loi de programmation militaire que vous présentez au Parlement - qu'une programmation militaire est respectée pendant toute une législature.
Ce respect de la loi de programmation militaire, qui est approuvée par le Parlement, a une dimension politique. Il montre que la majorité - et au-delà, je l'espère, l'ensemble des parlementaires - a refusé de faire des dépenses militaires la variable d'ajustement de l'équilibre budgétaire.
Cette constance dans l'effort était nécessaire. En effet, après la chute du mur de Berlin, nos dépenses d'équipement avaient décru d'un tiers en euros constants, si bien que le retard pris dans l'exécution de la précédente loi de programmation militaire a atteint l'équivalent d'une année de programmation.
La loi de programmation militaire se trouve donc réhabilitée. C'était nécessaire, parce que son respect donne une visibilité à long terme à notre industrie de défense, à l'action de l'État et à nos partenaires européens. C'était nécessaire, également, parce que la recherche de gains de productivité et l'abaissement des coûts doivent être une priorité.
Une programmation, en particulier une programmation européenne, peut assurer à l'industrie d'importantes baisses de coûts grâce aux effets de série et aux économies d'échelle ; elle permet à l'État de bénéficier de prix plus avantageux. Or, madame le ministre, le développement de programmes européens semble bien avoir été votre priorité.
À l'heure actuelle, vous avez soutenu la montée en puissance de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l'OCCAR, et la mise en place de l'Agence européenne de défense, l'AED. Sont désormais gérés par l'OCCAR des programmes aussi importants que celui de l'A-400 M, qui s'élève à 25 milliards d'euros à l'échelon européen, celui de l'hélicoptère de combat Tigre, pour 16 milliards d'euros, ou celui des frégates multimissions, les FREMM, d'un montant de 12 milliards d'euros.
Cependant, l'articulation entre la loi de programmation militaire et sa traduction budgétaire, dans le respect de la LOLF, est perfectible. Au moment où se prépare la future loi de programmation - au moins techniquement ; les options politiques seront discutées ailleurs -, il faudrait améliorer les différentes étapes que sont la planification, la programmation et la budgétisation.
Alors que nous sommes à mi-parcours du modèle « armées 2015 », il me paraîtrait tout à fait opportun qu'à l'occasion de la révision de la loi on fasse savoir au Parlement les inflexions que connaît la planification. Celle-ci est certes régulièrement vue par le Conseil de défense, car notre modèle n'est pas statique, mais le Parlement n'en a pas connaissance. Il serait utile d'améliorer son information sur ce point.
Il me semble qu'il faudrait également améliorer la visibilité de la programmation en fin de loi. Nous sommes à un an de l'échéance, prévue pour 2008, et, au fur et à mesure que l'on s'en rapproche, on constate que la visibilité, pourtant qualité première de la programmation, diminue. Ne pourrait-on pas aller vers une programmation glissante, comme le font les Anglais, comme vous le faites d'ailleurs en interne avec la version actualisée du référentiel, la VAR, de manière qu'une discussion s'engage aussi sur ce point ?
Enfin, pour ce qui est de la budgétisation, des progrès restent à réaliser dans l'application de la LOLF. Celle-ci a en effet diminué notre vision, elle a créé une véritable myopie pour le parlementaire - et vous n'en êtes pas responsable, madame le ministre -, puisque, à l'heure actuelle, l'échéancier des paiements au-delà de l'année en cours n'existe plus, alors qu'il était le principe même des autorisations de programme sous le régime de l'ancienne ordonnance.
J'aborderai maintenant le contenu du programme « Equipement des forces » et, plus largement, des dépenses d'investissement.
Les crédits de paiement consacrés aux investissements de la mission « Défense » atteignent plus de 15 milliards d'euros, en progression de 1, 8 %. Cette enveloppe est répartie entre les différents programmes.
Quelles ont été les priorités choisies par le Gouvernement, et que j'approuve ?
La première priorité est l'entretien programmé du matériel, en progression de 16, 5 %. Il représente une nécessité, car il faut entretenir de vieux matériels dans l'attente des nouveaux équipements : les AMX 10 dans l'attente des véhicules blindés de combat d'infanterie, les VBCI, ou les Puma dans l'attente des NH-90. S'ajoutent cette année des événements spécifiques puisque l'indisponibilité de trois bâtiments nucléarisés - le porte-avions Charles-de-Gaulle, le sous-marin lance-engins Le Téméraire et le sous-marin d'attaque Saphir - conduit à une progression de 19 % des crédits de la marine.
La deuxième priorité, ce sont les études amont, et je pense tout à fait opportun que cette progression annuelle de 7 %, qui porte les crédits à 680 millions d'euros, soit actée. En effet, lorsque nous examinons nos capacités technologiques, nous nous rendons compte que, si nous sommes de plain-pied avec les États-Unis pour environ 24 % des jalons, il existe de très nombreux domaines dans lesquels notre retard peut atteindre jusqu'à cinq ans.
Bien sûr, nous ne pouvons pas tout faire et, en ce domaine, une coordination européenne me semble nécessaire ; or nous en sommes encore aux balbutiements. En attendant, j'approuve cette augmentation des crédits de recherche amont.
J'ajoute que le Commissariat à l'énergie atomique bénéficie de 1, 26 milliard d'euros de transfert de crédits, très largement apportés à la recherche, en particulier au Laser Mégajoule et aux calculateurs 10 téraflops. Ces derniers permettent d'ailleurs de mettre une capacité de calcul extraordinaire à la disposition non seulement des militaires, mais également des civils.
En contrepartie, il est vrai, les crédits de développement diminuent, alors que les crédits de fabrication restent stables, à un peu plus de 5 milliards d'euros.
J'aborderai maintenant le problème de l'exécution de ce budget, avec les priorités que je viens de définir.
Je ferai d'abord une constatation - ce n'est pas un jugement -, celle de la formidable inertie des budgets d'équipement. Si l'on additionne toutes les données des soixante-douze sous-actions du programme « Équipement des forces » - ce n'est pas fait dans le « bleu » -, un écart de 35 milliards d'euros apparaît entre les autorisations d'engagement que nous aurons votées à la fin de l'année 2007 et les paiements qui auront été réalisés. Ce n'est pas une impasse : simplement, compte tenu de la durée de vie très longue des équipements militaires, ces 35 milliards d'euros, qui sont tout de même, grosso modo, l'équivalent de trois ans et demi de programmation militaire au rythme actuel, représentent ce qu'il manque pour achever des programmes en cours. Bien entendu, mais ce serait vrai pour n'importe quel gouvernement, cela hypothèque l'avenir.
Ma deuxième observation est en réalité une question qui concerne le financement des FREMM. Un accord a été passé lorsque le système des financements innovants prévu dans la loi de programmation militaire a été abandonné. Il visait à ce que les 6/19e de la dépense soient pris en charge dans la loi de finances initiale et les 13/19e restants, au vu de factures, dans la loi de finances rectificative. Nous retrouverons ce problème dans quelques jours, lorsque nous examinerons le collectif ; je vous interroge néanmoins, madame le ministre : ce système de financement est-il perpétué en 2007, comme je le crois ? J'aimerais en avoir confirmation.
Ma troisième remarque porte essentiellement sur l'apurement des reports de crédits que vous menez à bien, madame le ministre. Ils seront ramenés de 2, 8 milliards d'euros à la fin de 2004 à la norme des 3 % à la fin de cette année. Vous y êtes parvenue en annulant des autorisations d'engagement de l'ancienne loi de programmation militaire, mais aussi en obtenant le dépassement de la norme des dépenses pour le ministère de la défense. Cependant, bien entendu, le dépassement par un ministère signifie pour d'autres ministères, et c'est là la limite de l'épure, des dépenses plus faibles que la norme puisqu'il faut bien que, globalement, celle-ci soit respectée.
Je terminerai en donnant deux coups de projecteur sur des problèmes spécifiques de ce budget d'équipement.
Celui-ci consacre le démarrage du deuxième porte-avions, assurant par conséquent la permanence à la mer du groupe aéronaval ; je pense pour ma part que c'est une très bonne mesure. Ce programme, d'un montant compris entre 2 milliards et 2, 5 milliards d'euros, est de moindre ampleur que celui des FREMM, qui s'élève à 8 milliards d'euros, ou que celui des Barracuda, qui représente 8 milliards d'euros.
Surtout, me semble-t-il, nous devons, avec le groupe aéronaval, justifier les énormes investissements déjà réalisés. À quoi servirait-il de commander 60 Rafale Marine, à quoi servirait-il d'avoir financé les frégates d'accompagnement, les chasseurs de mines, etc., si nous ne construisons pas le porte-avions qui va avec ? Notre politique doit être cohérente : ou bien nous réalisons le porte-avions, et cela justifie les investissements, ou bien nous le supprimons, et nous n'avons plus de raison de conserver une marine dans les dimensions que je viens de présenter.
Enfin, je soulignerai la nécessité de remodeler le programme « Équipement des forces », qui est encore partagé entre interarmées, équipements terre, mer et air. Il serait tout à fait souhaitable - mais je pense, madame le ministre, que vous y réfléchissez - de parvenir à une répartition qui soit plus cohérente avec la planification que j'évoquais tout à l'heure : dissuasion, projection des forces, commandement, etc.
En effet, dans la situation actuelle, la dissuasion, pour prendre cet exemple, représente 2, 8 milliards d'euros de crédits : malgré toute sa bonne volonté, le parlementaire que je suis ne peut pas retrouver les crédits dans le maquis des actions et sous-actions telles qu'elles sont présentées. Une clarification serait utile.
J'ai la conviction qu'au regard de l'instabilité de la situation internationale l'effort de redressement qui nous est demandé était nécessaire.
J'ai également la conviction qu'il devra être poursuivi, voire amplifié au cours des prochaines années. Mais cet effort n'est acceptable et ne sera accepté que si nous avons la conviction qu'il est mené de façon efficace. Je pense que la stratégie de réforme que vous avez menée, madame le ministre, y concourt puissamment.
C'est la raison pour laquelle je me rallierai à l'avis que donnera mon collègue François Trucy.