Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits militaires s'élèvent, pour 2007, à 47, 7 milliards d'euros. Certes, ce budget est important. Toutefois, une seule question doit guider notre débat : est-ce un budget efficace ? J'en doute fortement et une analyse précise le confirme
Je suis dans l'obligation de mettre en lumière que, cette année encore, il s'agit d'un budget à crédit ; les commandes d'aujourd'hui ne sont pas financées ; on amorce seulement le financement, mais « l'ardoise » est pour plus tard.
Madame la ministre, au-delà des effets d'annonces, selon nous, la loi relative à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 ne peut pas être respectée.
Vous le savez - nous l'avons répété au cours des examens budgétaires 2005 et 2006 et nous le répèterons sans cesse, car telle est notre conviction -, les calculs étaient faussés dès le départ. Ainsi, les coûts réels des programmes engagés ont été sous-évalués, minorés. L'évolution du coût global de notre défense n'a pas été prévue au bon niveau.
Nous nous trouvons face à un budget sans réelle sincérité : lorsque l'on prend en compte non pas les lois de finances initiales mais leur exécution réelle, le bilan est loin d'être aussi glorieux que l'on essaie de nous le faire croire depuis maintenant cinq ans.
La question des reports reste centrale dans la problématique de l'exécution du budget de la défense. L'année 2007 devrait être celle de la résorption de tous les reports ; on peut en douter. Par ailleurs, la gestion des crédits se fait toujours en flux tendus et le passage de commandes de certains matériels est souvent décalé par rapport aux prévisions initiales.
Je souhaite aborder maintenant un dossier sur lequel le ministère indique avoir beaucoup investi : le maintien en condition opérationnelle de nos matériels. Or, là aussi, les résultats ne sont pas à la hauteur des investissements. Pourquoi ? Les améliorations sont beaucoup moins importantes que prévu et, dans certains secteurs, presque marginales, sachant, de surcroît, que, avec les OPEX, l'usure des matériels ne fait que s'accroître.
Quant à l'équipement, le modèle 2015 prôné est, aujourd'hui, unanimement considéré comme financièrement inaccessible et en fort décalage avec les besoins stratégiques de la période à venir. Il devra donc être totalement revu, d'autant plus qu'il s'agira, dans les mois, les années à venir, de lancer les programmes d'armement du futur, à l'horizon 2025-2030, tout en payant les programmes majeurs actuellement en cours, notamment les programmes VBCI, les véhicules blindés de combat d'infanterie, Tigre, NH-90, Rafale, Airbus A400M, frégates, sous-marins, missile M51, etc. Même avec une annuité supplémentaire, il n'est pas sûr de faire « tenir » la programmation en cours.
Pour conclure sur ce premier point essentiellement budgétaire, je crains que les dépenses nécessaires à la réalisation du modèle 2015 ne soient hors de notre portée financière, quel que soit le futur Président de la République.
Tant pour les investissements de grands programmes et les ajustements de la trésorerie que pour les grandes définitions stratégiques, le travail reste à faire. Mais, auparavant, il faudra gérer les « ardoises » de l'actuelle loi de programmation. Une révision en profondeur est nécessaire et un nouveau dessin stratégique devient obligatoire. Le faire sans baisser la garde ne sera pas chose facile, et les choix évités hier lesteront lourdement demain la capacité de décision du pouvoir exécutif.
Je tiens à aborder maintenant la stratégie et la méthode qui semblent se dégager de vos choix politiques en matière de défense, madame la ministre.
Je me permets de remettre en question votre méthode, et pour cela j'évoquerai de nouveau un exemple récent et concret, dont nous avons déjà traité dans cet hémicycle : le dernier sommet de l'OTAN, qui vient d'avoir lieu à Riga. Le Parlement français n'a pas été saisi de cette question, alors qu'il s'agissait d'un sujet éminemment national et européen. Vous êtes allée à Riga, sans que la représentation nationale et ses commissions compétentes aient été consultées.
Contrairement à ce que vous avez affirmé, madame la ministre, sous des formes différentes et selon leurs procédures propres, trois parlements européens ont été saisis de la question relative à la position de leur gouvernement avant le sommet de Riga : la Chambre des représentants de Belgique, le Sénat espagnol et le Bundestag allemand.
Doit-on considérer cette mise à l'écart du Parlement français comme une marque de mépris, et, au-delà, un détachement à l'égard de nos concitoyens ?
Mais revenons à la stratégie pure.
Sur la scène européenne et internationale actuelle, une nouvelle politique de défense est nécessaire. Il faut redéfinir notre place dans un contexte qui a considérablement évolué depuis le début du siècle, analyser et préciser nos priorités de sécurité et de défense, affirmer notre rôle moteur au sein de l'Europe de la défense et approfondir le travail pour une Europe alliée, mais non alignée.
Face aux menaces émergentes - trafic de matières fissiles ou autres -, nous devons accroître la coopération avec nos partenaires et les réponses seront d'abord européennes. Mais la démarche commune doit comprendre, avant tout, une action de prévention dans le domaine de la prolifération nucléaire, par exemple. En effet, comment faire respecter par certaines nations un traité de non-prolifération que les grandes puissances nucléaires elles-mêmes semblent parfois oublier ? Y aurait-il une bonne prolifération, menée par les grandes puissances, et une mauvaise prolifération ? Nous devrons répondre à cette question dans un futur proche.
En matière stratégique, j'affirme encore, en cet instant, la nécessité de donner la priorité au renseignement en développant des capacités propres insérées dans un cadre européen d'observation et d'analyse.
Par ailleurs, dans la situation financière actuelle très contrainte, le poids budgétaire des programmes sera étudié à la loupe et il faudra éviter les analyses purement financières face à des programmes stratégiquement lourds : la dissuasion mobilise environ 20 % des crédits d'équipement, et la part des systèmes liés au C3R - commandement, communication, contrôle et renseignement - représente environ 10 % de ces mêmes crédits.
Or, le spatial militaire et la dissuasion constituent des conditions essentielles de l'autonomie stratégique de notre pays, au service d'une défense européenne qu'il s'agit de préserver et de développer. Oui, l'espace constitue une priorité majeure face aux menaces et aux défis futurs.
Il faut souligner à quel point les conflits récents ont montré le rôle essentiel que jouent désormais les moyens spatiaux : ils permettent d'évaluer de façon indépendante les situations et de remplir le rôle de nation-cadre dans des interventions extérieures. Or, le dispositif spatial français continue de présenter des lacunes dans trois domaines : le renseignement d'origine électromagnétique, l'imagerie radar tout temps et l'alerte avancée.
La préparation de l'avenir en matière spatiale passe par une recherche tenace de coopérations. Madame la ministre, se posent ici de nouvelles questions, auxquelles je vous demande, si possible, d'apporter des réponses.
La nouvelle Agence européenne de défense peut-elle être le vecteur de ces coopérations ?
Madame la ministre, de nouvelles questions se posent, auxquelles je vous demande d'apporter des réponses, si vous le pouvez.
La nouvelle Agence européenne de défense peut-elle être le vecteur de ces coopérations ? Est-il possible d'imaginer que, dorénavant, tout programme spatial soit envisagé et conçu en coopération ?
Enfin, il faut relancer une grande politique européenne de rapprochement industriel, de coordination d'investissements, de protection commune des secteurs stratégiques, d'aide à la recherche et au développement : il faut promouvoir de vastes coopérations en Europe.
Entre 1997 et 2002, nous avions entamé le processus de restructuration européenne des industries de défense ; ce mouvement semble marquer le pas.
Pis encore, dans certains cas, le bilan du gouvernement actuel peut se résumer d'un mot : immobilisme. Bercy, Matignon et même l'Élysée ont joué un « trouble jeu » en matière de politique industrielle de défense.
Le groupe EADS, impliqué dans un mauvais feuilleton judiciaire, de basse politique, a fait l'objet de fautes de gestion qui n'ont jamais été sanctionnées et qui mettaient en cause un État actionnaire négligent et irresponsable. Dans le cas de SAFRAN, un désordre managérial nuit à son image et met en danger l'équilibre de l'entreprise, donc l'emploi. Quant à la fusion entre Thales et DCN, elle est encalminée.
En bref, même si votre volonté a été réelle, madame la ministre, ce dont je vous donne acte, la politique du Gouvernement en matière de défense se solde par un bilan négatif.
Notre pays et sa défense doivent être en adéquation et en cohérence avec un contexte international en mutation constante, sur lequel je souhaite dire quelques mots.
Depuis plusieurs mois déjà, la situation internationale présente des zones de crise et de conflit qui vont en s'aggravant.
Le système de sécurité internationale, la « communauté internationale », est en panne. Le meilleur exemple en est la poursuite meurtrière du conflit israélo-palestinien.
D'autres foyers de crise se sont aggravés.
En Irak, après une déclaration selon laquelle « la guerre est finie », les États-Unis semblent se résigner à une durable situation de guerre civile. Ils n'ont pas de politique de rechange, et la poudrière irakienne s'étend au Moyen-Orient tout entier. Les États-Unis sont bel et bien embourbés dans une situation désastreuse aux plans militaire, politique et humanitaire, au point d'être obligés d'appeler l'Iran à la rescousse. Comment gérer les conséquences régionales et mondiales de ce désastre ?
En Afghanistan, des troupes internationales nombreuses opèrent, mais on assiste à une forte dégradation de la situation militaire. Le pouvoir du gouvernement civil et des autorités militaires afghanes est loin d'être stabilisé. Leur prépondérance sur l'ensemble du territoire n'est pas assurée. Le résultat immédiat et visible est que l'Afghanistan est redevenu un « narco-État », qui fournit 90 % de la production mondiale d'opium.
Dans ce pays, des troupes françaises sont engagées dans des opérations dangereuses. L'OTAN est de plus en plus présente sur place. Or, pendant que la guerre s'étend, les trafics prospèrent et la violence s'enracine. Cela peut-il perdurer ?
En Afrique, la Côte d'Ivoire, le Tchad ou le Darfour sont des théâtres de violence, des lieux d'impunité.
Au Liban, la dégradation de la situation semble s'accélérer. Nos troupes y sont également engagées.
Ce sont donc des alternatives politiques qu'il nous faut proposer, et non des impasses militaires.
De nouveaux acteurs, en Asie, en Amérique latine, viennent contester les hégémonies actuelles. L'enseignement principal que nous devons tirer de cette mondialisation de la violence est la faillite sécuritaire d'un monde géré par une seule puissance. La recherche de la paix et de la stabilité internationale exigent une coopération accrue et un multilatéralisme rénové dans le cadre de l'ONU.
Enfin, madame la ministre, quel avenir proposez vous à la défense française?
Nous l'avons vu précédemment, vos résultats comptables sont plus qu'approximatifs. Or, la France devra promouvoir une politique de défense clairement assumée, au service de la démocratie et de la paix ; cela a un coût.
La politique de défense de la France passe par son inscription résolue dans une politique européenne de sécurité et de défense, où s'instaureront de fortes coopérations quant aux équipements, au développement technologique et aux industries d'armement. Cette perspective doit être envisagée avec nos partenaires européens et elle doit pouvoir apparaître comme plus cohérente et plus porteuse d'avenir que celle que propose l'OTAN.
Nous plaidons aujourd'hui pour un nouveau modèle d'armée, intégrant notamment une reconfiguration de l'armée de terre, une rationalisation des programmes d'investissement et un nouvel équilibre entre prévention, projection, protection et dissuasion
Nous plaidons aussi pour une rénovation du système international, une amélioration de la gouvernance mondiale et pour un élargissement des régimes de désarmement et de non-prolifération.
J'insisterai, enfin, sur le fait que la France est partie prenante dans de très nombreuses opérations extérieures. Faute de solutions de sortie de crise, on peut redouter un enlisement, comme en Afghanistan ou en Côte d'Ivoire. Une clarification de notre doctrine d'intervention est donc nécessaire.
Les choix budgétaires que vous proposez, madame la ministre, ne permettront en aucun cas d'atteindre de tels objectifs. C'est pourquoi nous ne voterons pas en faveur du projet de budget de la mission « Défense » pour 2007.