Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la structuration de la mission « Défense » en quatre programmes permet de mieux rendre compte du caractère multifonctionnel de nombreuses forces, ce que n'aurait sans doute pas permis une répartition organique par armée.
Comme l'ont excellemment souligné MM. les rapporteurs, avec un peu plus de 36 milliards d'euros de crédits de paiement, la mission « Défense » est le troisième poste de dépense de l'État. C'est aussi son principal budget d'investissement, puisque 30 % de ses crédits y sont consacrés, et le premier acheteur public, puisqu'elle passe 67 % des marchés publics de l'État et 28 % des marchés de l'ensemble des administrations publiques.
Toutefois, la défense doit aussi participer à l'effort de notre pays en matière de finances publiques, malgré les contraintes que nous impose la loi de programmation militaire. Au demeurant, madame la ministre, nous vous félicitons d'avoir respecté les principaux objectifs de cette loi au cours des quatre dernières années.
Nous ne pouvons plus considérer comme un élément positif une augmentation de 2, 55 % de ce budget qui ne soit pas accompagnée de réductions de dépenses équivalentes. Nous souhaiterions même un budget en euros constants.
J'ai bien conscience des enjeux qui sont en cause. Je sais quels efforts ont déjà été consentis afin d'adapter le budget de la défense aux grands principes de la LOLF. Je suis sensible à ce qui est fait en matière de modernisation ainsi qu'à la réflexion menée sur la stratégie ministérielle de réforme : rationalisation des réseaux interarmées des systèmes d'information, réorganisation de la fonction achats ou déconcentration de la gestion du personnel civil.
La diminution de 3 335 emplois en équivalent temps plein et la politique d'externalisation des dépenses de la mission « Défense » devraient dégager un certain nombre d'économies.
Bref, en cette matière, je ne remets absolument pas en cause les efforts déjà entrepris. Je pense simplement que la réforme ne peut s'arrêter là.
Dans le délicat contexte budgétaire que nous connaissons, et compte tenu des enjeux stratégiques et techniques, il est nécessaire de mener à bien une réflexion en profondeur sur les missions de la France en matière de défense.
Il est également évident qu'il ne peut et ne doit pas s'agir d'un désengagement financier sec : il convient de repenser les missions de la défense, de faire mieux en dépensant moins. La réflexion doit être beaucoup plus large.
MM. les rapporteurs nous ont fait remarquer l'énorme disparité qui existe entre l'effort que font les États-Unis et celui qui est entrepris par l'ensemble consolidé des pays de l'Union européenne, pourtant une fois et demi plus peuplé.
N'oublions pas non plus qu'un nombre important de pays émergents, comme l'Inde et la Chine, font un effort qui est supérieur à celui de l'Union européenne, en matière de défense.
Le Japon, lui, a désormais une flotte d'un tonnage équivalent à celui de la France et, selon mes informations, la Chine aura, en 2010, le même nombre d'avions de combat que les États-Unis.
Pour la famille politique centriste, qui est tant attachée à l'Europe et à sa construction, poursuivre les efforts de coordination et de rationalisation des moyens au niveau européen aurait le double avantage d'alléger le budget de la défense, notamment en matière d'équipement et d'investissement dans la recherche et le développement, ainsi que de relancer une Europe en panne, bloquée, qui est dans l'incapacité de prendre quelque décision que ce soit depuis l'échec du referendum.
En ce qui concerne les acquisitions de matériel de défense, par exemple, on sait que d'importantes économies d'échelle ont été réalisées aux États-Unis, qui se caractérisent par un marché très vaste, unifié et protégé. Il est temps de procéder à un inventaire des duplications éventuelles, afin d'optimiser nos moyens au niveau européen.
De même, il nous faut mener une réflexion de fond quant à notre politique en matière d'équipements. Il est nécessaire de concevoir une adaptation plus rapide, en fonction des nouveaux équipements disponibles sur le marché, de leurs coûts et de leurs performances.
Qu'en est-il du Rafale, par rapport à l'avancée technologique du programme F 35, notamment dans le domaine de la furtivité ? Même si ce programme n'est pas encore au point, il représente en quelque sorte une blessure pour la défense européenne.
De la même façon, compte tenu du caractère hautement stratégique des dépenses du ministère de la défense en matière de recherche, il conviendrait d'affecter des fonds importants à ce secteur et de coordonner nos efforts en la matière.
On constatera cependant la faiblesse de la stratégie nationale à ce sujet. En effet, les crédits de recherche et de développement de la DGA ont systématiquement été amputés dans la loi de programmation militaire pour la période 1997-2002, hypothéquant ainsi les développements technologiques à venir. Bien sûr, vous n'en êtes pas responsable, madame le ministre !
De même, au sein des investissements réalisés au cours de la loi de programmation militaire suivante, l'augmentation des dépenses de recherche et de développement est nettement moindre que celle des investissements en matériel ou pour le maintien en conditions opérationnelles.
Le projet de loi de finances pour 2007 prévoit même une baisse de ces crédits, afin de financer l'achat de matériel. Depuis un certain nombre d'années, ces dotations constituaient la variable d'ajustement des crédits d'investissement. Ce n'est plus le cas depuis 2005.
Cette logique n'est plus compatible avec celle qui identifie la maîtrise technologique comme un élément de souveraineté. Elle posera le problème des relations budgétaires entre les états-majors et la DGA, et amènera à arbitrer entre les moyens opérationnels et les technologies de l'avenir.
Nous ne pouvons nous permettre de prendre du retard dans le domaine technologique. L'industrie européenne de défense doit être consolidée, à l'instar de ce qui est pratiqué aux États-Unis, afin de relever les défis futurs et de ne pas prendre de retard dans un domaine très hautement stratégique pour notre sécurité et pour l'efficacité de notre politique.
La position de la France en ce domaine sera, sans doute, liée à sa capacité à financer des structures privées permettant la participation d'autres États, de taille moyenne, au développement des technologies nécessaires à la souveraineté opérationnelle de la France et de l'Europe.
Il serait peut-être opportun d'étudier une solution consistant à créer un fonds de financement des technologies militaires, récupérant tout ou partie des gains de « l'amendement TVA ». Ce fonds, géré par la Caisse des dépôts et consignation, par exemple, prendrait des participations dans de petites et moyennes structures développant, entre autres, des technologies pour la défense. Ce fonds pourrait même être élargi à l'échelon européen.
Tous ces objectifs doivent être, aujourd'hui, en partie ceux de l'Agence européenne de défense, notamment en ce qui concerne la régulation du marché européen de la défense, les partenariats entre industries européennes et la mutualisation des efforts de recherche. Cependant, la multiplication des coopérations décentralisées doit être étudiée, et la réflexion en commun au sujet des budgets de défense de chaque pays européen doit être approfondie.
Avec 2 % du PIB, la France n'a pas à rougir de son investissement dans la défense européenne ; elle se situe derrière les Britanniques. Mais le problème de l'Europe est l'investissement des autres pays européens. Votre mission, madame la ministre, c'est de faire comprendre à l'Europe qu'elle ne pourra exister que si elle a le courage d'investir dans une défense européenne.