Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 4 décembre 2006 à 22h30
Loi de finances pour 2007 — Enseignement scolaire

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur les grandes lignes de cette mission, car elles ont déjà largement été exposées et commentées de part et d'autre de l'hémicycle. Je souhaite, encore une fois, pointer l'incohérence de votre politique budgétaire au regard des objectifs que vous vous êtes pourtant fixés à travers deux de vos priorités : l'accueil des élèves handicapés et la refonte de l'éducation prioritaire.

Il est ainsi particulièrement alarmant de constater la baisse générale des crédits de paiement du programme « Vie de l'élève », qui regroupe notamment les crédits d'action sociale, les crédits de santé scolaire et ceux qui sont destinés à l'accueil des élèves handicapés. En effet, les cinq actions de ce programme voient tous leurs crédits diminuer, à l'exception des actions « Santé scolaire » et « Action sociale ». L'action « Accompagnement des élèves handicapés » enregistre une baisse de 3 %, alors que 2007 constitue la dernière année de mise en oeuvre du plan d'adaptation et d'intégration scolaire des élèves handicapés qui, sur la période 2003-2007, prévoyait la création de 6 000 postes d'auxiliaires de vie scolaire, chargés de l'accompagnement des élèves handicapés.

D'ailleurs, cette carence ne soulève pas seulement la désapprobation de l'opposition, puisqu'un député UMP a déposé un amendement visant à rattraper en partie la situation, en abondant les crédits pour la formation des auxiliaires de vie scolaire.

Afin de mettre tant bien que mal en oeuvre la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école et la refonte des ZEP, vous ne faites que déshabiller Pierre pour habiller Paul ! Ainsi les crédits pédagogiques des collèges accuseront-ils, en 2007, une baisse de l'ordre de 35 % ! Et c'est la demi-heure de soutien en classes de cinquième et de quatrième qui est sacrifiée pour financer, par redéploiement, 1 000 postes dans 250 collèges bénéficiaires du dispositif « ambition réussite ». Il est inacceptable que ce soit le soutien scolaire qui en pâtisse !

En outre - cette remarque n'est pas sans lien avec le débat sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » que nous avons eu vendredi dernier -, il est tout à fait schizophrène de regretter la désaffection des étudiants pour les filières scientifiques, d'un côté, et de baisser les crédits qui servent à des actions pédagogiques, comme « La Main à la pâte », de l'autre.

La baisse drastique des dépenses d'intervention dans le programme « Enseignement scolaire public du premier degré » est d'autant plus inquiétante que le « bleu » budgétaire indique qu'il s'agit de transferts aux collectivités territoriales, dans le cadre du plan d'accès aux technologies de l'information et de la communication pour l'éducation, les TICE, afin de « subventionner des associations qui soutiennent les politiques éducatives développées dans l'enseignement élémentaire », telle la Société française de physique qui promeut l'opération « la Main à la pâte ». Encore un désengagement de l'État ! Le Gouvernement n'en finit donc jamais de charger la barque des collectivités, monsieur le ministre !

Au-delà de ces remarques particulières sur la réalité des différents programmes de cette mission, il convient de se pencher sur la logique globale que cette dernière met en pratique. Bien souvent, il nous est reproché, à nous socialistes - de manière assez caricaturale d'ailleurs -, de n'aborder l'éducation que sous l'angle de l'emploi. Or, contrairement à ce que nous reproche la droite, nous apprécions la politique éducative du Gouvernement non pas en fonction des seules créations d'emplois qu'elle permet, mais selon une question essentielle pour nous : cette politique éducative permet-elle une réelle égalité des chances ? Ce sont le Gouvernement et sa majorité qui se focalisent sur les emplois, mais pour les baisser, au nom d'un raisonnement simpliste qui leur est propre : la modernisation, c'est la suppression d'emplois.

Plusieurs éléments démontrent cette logique.

Tout d'abord, le ratio justifiant la création et la suppression de poste n'est absolument pas identique : il diffère de un à six ! Ainsi, monsieur le ministre, si vous créez un poste pour 60 élèves en primaire, vous en supprimez un pour 11 élèves dans le secondaire.

Ensuite, ces suppressions massives ont des conséquences sur l'évolution des effectifs. Sur environ 500 000 enseignants du secondaire, 3 600 postes de professeur ne seront pas offerts aux concours et 2 000 départs à la retraite ne seront pas remplacés. Cette tendance est particulièrement inquiétante au regard d'une étude de la Direction de l'évaluation et de la prospective réalisée en 2005 qui concluait que, compte tenu des départs à la retraite et de l'évolution démographique, 17 331 recrutements annuels seraient nécessaires pour le second degré sur la période 2006-2013.

Mais le pire est atteint avec la démarche des audits appliqués à l'éducation nationale, l'objectif principal étant de réaliser des économies budgétaires, dans une démarche de modernisation de l'État, bien évidemment ! Au nombre de trois, ces audits, pilotés par l'Inspection générale des finances, ont porté respectivement sur les décharges statutaires, sur la grille horaire des collèges et sur celle des lycées.

S'il est légitime de s'interroger sur l'utilisation des deniers publics, cela doit se faire non pas uniquement à l'aune des économies budgétaires réalisables, mais bien selon une démarche visant une meilleure efficacité du service public d'éducation au service de sa mission, la réussite de tous. Appliquer le modèle de l'entreprise fondé sur la productivité au service de l'éducation nationale est une aberration et une conception politique dangereuse pour l'avenir de notre pays.

Il est facile de dénoncer, dans ces audits, la hausse des dépenses d'éducation par rapport à la stagnation du taux d'accès au bac ou au brevet, ainsi que le niveau de nos dépenses d'éducation par rapport à d'autres pays de l'OCDE. Ainsi, les dépenses cumulées pour la durée des études primaires et secondaires s'élèvent à 85 084 dollars en France, contre 77 204 dollars pour la moyenne des pays de l'OCDE.

Une analyse plus approfondie des statistiques révèle une situation plus complexe. D'une part, le montant de ces dépenses dépasse les 100 000 dollars aux États-Unis, au Danemark, en Norvège, au Luxembourg, en Italie... D'autre part, si le budget de l'éducation nationale est passé de 55 milliards d'euros à 65 milliards d'euros de 2000 à 2005, cette hausse correspond à un simple maintien en termes de PIB, de l'ordre de 3, 9 %. La dépense intérieure d'éducation en France, après avoir progressé dans les années quatre-vingt-dix, est orientée à la baisse, passant de 7, 6 % du PIB à 7, 2 % en 2005.

La réalité est la suivante : l'efficacité de l'école ne suit pas une logique arithmétique. Ainsi, on sait que les dépenses éducatives progressent avec le niveau de qualification de la population. En outre, si l'alphabétisation a un coût modéré, la réussite de tous mobilise des moyens de plus en plus importants, puisque, pour réduire des « poches » de résistance de plus en plus difficiles, il faut inventer des moyens nouveaux. Tous les pays développés connaissent une hausse rapide de leurs budgets éducatifs.

Enfin, des particularités françaises jouent, comme le fort taux de redoublement.

Nous atteignons en effet un taux de redoublement record de près de 40 % pour les élèves de quinze ans, contre 13 % dans l'ensemble de l'OCDE. Or le redoublement - c'est avéré - ne prévient pas l'échec scolaire ! À ce propos, monsieur le ministre, je note que les indicateurs concernant le redoublement tardent à se mettre en place : seul celui du second degré est renseigné dans l'annexe du projet de loi de finances pour 2007, alors que les indicateurs doivent porter à la fois sur le premier et le second degré pour l'enseignement public, mais aussi pour l'enseignement privé.

Réduire le taux de redoublement fait partie des quelques idées avancées dans les audits qui peuvent être intéressantes.

Il convient de regarder l'objectif que ces suggestions doivent servir, et la manière de les mettre en oeuvre. En effet, en dénaturant un certain nombre de propositions par des visées strictement comptables, en cherchant à imposer une évolution brutale du système, on prend le risque d'empêcher toute évolution d'un système éducatif qui a bien besoin de bouger. Or diminuer les moyens sans faire évoluer l'école dans ses pratiques et ses conceptions ne peut qu'aggraver ses difficultés.

L'avenir de l'école ne peut se régler par des audits financiers dont le but n'est que de maintenir le taux de scolarisation pour un moindre coût, en utilisant trois voies classiques. Tout d'abord, ils proposent d'augmenter la durée du travail des professeurs, par exemple en allongeant sans contrepartie l'année scolaire de deux semaines. Ensuite, ils préconisent de diminuer le salaire des enseignants, notamment en supprimant les décharges. Enfin, ils recommandent d'augmenter le volume d'« enseignés », en réduisant le nombre d'heures d'enseignement.

Qu'en est-il des facteurs relationnels, qui permettent de faire progresser les élèves, tels que la stabilité des équipes enseignantes, les efforts menés pour intégrer les parents à la vie de l'école, le développement de liens contractuels avec les élèves ? Il est vrai que ces stratégies n'ont aucune réalité comptable ou statistique !

L'efficacité de l'école - et non sa productivité, j'y insiste - doit s'apprécier aussi en termes de culture et d'épanouissement intellectuel. À l'école, on ne travaille pas des produits ; on éduque des futurs citoyens !

L'enseignement scolaire n'est pas seulement sommé d'entrer dans le moule du « budgétairement correct », les enseignants doivent maintenant se conformer au « pédagogiquement correct » !

La polémique absurde sur les méthodes de lecture, que vous avez lancée, monsieur le ministre, et ses conséquences - menaces d'enquête et de sanctions contre les enseignants ou de procédure disciplinaire contre un inspecteur - ont constitué une véritable attaque contre la liberté pédagogique des enseignants. Or celle-ci est pourtant au coeur de ce métier, car c'est elle qui permet d'adapter la pratique aux besoins des élèves. Une seule tête, une seule méthode : les enseignants et les mouvements pédagogiques ont été choqués par votre autoritarisme.

À cela s'est ajoutée la campagne de communication de l'association ultraconservatrice SOS Éducation, qui surfe sur la vague des « déclinistes ». Par des encarts publicitaires dans la presse, elle a appelé les parents à dénoncer les enseignants n'utilisant pas la méthode syllabique.

Il faut dire que, sur le terrain, les relations entre parents et enseignants se sont parfois tendues. Les enseignants sont soumis aux pressions de parents qui croient d'autant plus que l'instituteur de leur enfant utilise la méthode globale que vous avez laissé croire, monsieur le ministre, qu'une seule méthode était autorisée. Vous avez jeté le trouble chez les parents et participé à ébranler leur confiance dans l'école.

Parce que nous ne partageons ni votre vision comptable de l'enseignement scolaire ni votre manière très particulière de gérer la politique éducative, car aucune ne permet, pour une véritable égalité des chances, de « différencier sans exclure », selon le mot de Philippe Meirieu, nous voterons contre ce budget de l'enseignement scolaire.

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