Intervention de René-Pierre Signé

Réunion du 4 décembre 2006 à 22h30
Loi de finances pour 2007 — Enseignement scolaire

Photo de René-Pierre SignéRené-Pierre Signé :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'enseignement scolaire est bien plus qu'une question d'école qui concernerait uniquement les élèves et les enseignants ; c'est une question d'avenir, une question centrale. Les élèves sont les citoyens de demain, l'école est la France de demain. L'importance de l'enjeu mérite que l'on s'y consacre avec sérieux et exactitude.

Ce budget est le dernier de la législature. Il doit être l'occasion de faire le bilan de la politique menée depuis cinq ans. Les crédits pour 2007 de la mission « Enseignement scolaire » s'élèvent à 59, 56 milliards d'euros et représentent 22 % du budget général de l'État, soit le plus gros poste de dépenses. Officiellement, les crédits sont en hausse de 1, 3 % pour cette année, ce qui pourrait être une excellente nouvelle.

Mais, quand on y regarde de plus près, la réalité est moins brillante : le Gouvernement ne privilégie pas l'école, et la sacro-sainte égalité des chances recule. Le budget de l'enseignement scolaire devrait donner à l'école les moyens d'être un outil de promotion sociale, de formation citoyenne et humaniste, pour lui éviter d'être un lieu de confrontation sociale. Mais, monsieur le ministre, vous vous réfugiez derrière l'orthodoxie financière et le respect de l'équilibre des comptes pour réduire l'encadrement des élèves et mettre ainsi en danger leur avenir.

En quatre ans, 25 000 postes ont été supprimés. Cela correspond, selon vous, à la baisse démographique. Étudions de plus près la situation. Entre 2003 et 2007, le nombre des élèves du primaire a augmenté de 184 900 et, pour répondre à cette hausse, vous avez créé 4 100 postes, soit une création pour 45 élèves supplémentaires. Dans l'enseignement secondaire, vous vous apprêtez à supprimer 2 400 postes et vous en avez supprimé 20 593 entre 2003 et 2007, soit un poste pour 8 élèves en moins. Supprimer plus facilement que créer est une attitude fâcheuse. Mais Yannick Bodin l'a fait remarquer précédemment, et je n'insisterai donc pas sur ce point.

Quelles en sont les conséquences ?

Là encore, soyons précis : on constate une dégradation des conditions d'enseignement pour les élèves dont les classes sont surchargées et les options et filières supprimées. Les promesses de dédoublements de classes ou de généralisation des programmes personnalisés de réussite éducative n'ont pas été tenues. N'oublions pas, de plus, que 2 000 postes administratifs ont été supprimés depuis 2004 et que les TOS ont été transférés.

Cette vision purement comptable de votre budget nous déçoit.

Alors que la pause démographique aurait dû permettre de repenser les pratiques pédagogiques en abaissant le nombre d'élèves par classe, en particulier dans le domaine de l'éducation prioritaire, il n'en sera pas ainsi : ce n'était pas le l'objectif visé.

L'objectif prioritaire de l'école est l'égalité des chances. Nous venons de voir que votre « pointillisme budgétaire » nuit considérablement à cet objectif.

Cette rigueur mal venue concerne également des territoires comme la Nièvre. Je sais qu'il n'est pas convenable de parler des zones rurales, qui sont les véritables parents pauvres de la politique actuelle. Ce n'est qu'une raison de plus de nous y arrêter.

L'égalité des chances passe principalement par l'égalité entre les territoires. Or les zones rurales souffrent deux fois : elles souffrent de leur handicap géographique et économique, mais aussi de l'indifférence dont elles sont l'objet. Les lacunes flagrantes en matière d'éducation ne font qu'aggraver la situation.

Quant au développement rural, il semble que le temps de la politique d'aménagement du territoire élaborée et lancée par le pouvoir central ait vécu.

La décentralisation encourage à promouvoir le domaine local. Encore faudrait-il qu'une politique d'aménagement assure d'abord l'harmonie du territoire national et restaure sa cohésion, en veillant à réduire les inégalités régionales, à commencer par les projets éducatifs.

L'existence de l'école rurale ne se limite pas à un simple enjeu éducatif : face aux transformations démographiques et économiques qui affectent les campagnes, l'école rurale est également un enjeu d'aménagement du territoire, qui concerne aussi bien l'État que les collectivités locales.

Dans bien des cas, en particulier dans le premier degré, le réseau scolaire apparaît ainsi comme l'un des derniers maillons de proximité du service public. Les fermetures de classes ou, qui pis est, d'écoles sont toujours ressenties par les acteurs locaux comme un facteur de dévitalisation et de marginalisation, voire comme une forme de rejet de la République à l'égard de certains des siens, même si ces fermetures sont pédagogiquement justifiées.

L'appauvrissement de l'école, le recul de l'égalité des chances, c'est aussi le recul de l'égalité des destins : l'égalité des destins doit relever d'une vraie politique.

L'égalité des chances ne suffit pas. Elle ouvre une porte, mais n'accompagne pas totalement l'élève. Il faut l'accompagner, il faut qu'un enfant s'accomplisse, il faut développer l'éducation prioritaire et les ZEP, avec des pôles d'excellence, y compris en milieu rural, où l'on manque de tout et surtout des enseignements pédagogiques périscolaires éducatifs, sportifs, artistiques ou musicaux.

L'égalité réelle à l'école implique l'enseignement le plus large et un suivi de l'élève. C'est un chantier des plus difficiles, mais c'est un chantier nécessaire. Ce pourrait être une grande ambition nationale : apporter à tous un peu plus de considération, de chance et de dignité.

On ne peut accepter qu'il y ait tant de différence entre départements riches et départements pauvres, entre écoles riches et écoles pauvres. L'échelle de leur financement local s'échelonne de 1 à 16.

La réduction de la fracture territoriale au niveau de l'école doit être un objectif. Les dotations de l'État doivent être modulées par un effort sans précédent en faveur de la péréquation.

Le principe d'égalité, principe fondateur de la République, est aujourd'hui fort malmené. Les inégalités règnent depuis les écoles jusqu'aux entreprises : inégalités face au chômage, inégalités face à l'accès à la formation, aux soins, au logement, etc., mais aussi quant à l'accès aux connaissances dispensées par l'école.

La loi d'orientation de 1989 rappelle solennellement ce principe d'égalité et le garantit à chaque enfant : les zones d'habitat dispersé y sont même évoquées. Nous en sommes loin...

L'enseignement est-il partout ouvert à toutes les disciplines, même si, dans les zones rurales, il reste de qualité ?

Une nouvelle approche complémentaire, que permettrait l'intervention de l'État, me paraît indispensable pour les communes rurales, pour la diversification de l'enseignement de leurs écoles, pour leur équipement. Nous appelons de nos voeux une dotation d'égalité territoriale : la péréquation n'intervient dans les budgets qu'à hauteur de 6 %.

L'école, monsieur le ministre, est la clé de voûte de la citoyenneté. Elle a été le creuset de la réussite républicaine.

Elle vit cependant une transition difficile, qui impose une évolution dans la façon d'enseigner, dans le lien avec la société, qu'elle soit rurale, urbaine ou suburbaine. Le niveau scolaire moyen s'est certes élevé, mais l'élitisme républicain s'est enrayé.

L'ascenseur social que l'école favorisait s'est bloqué. Les élites se reproduisent entre elles. L'école devait promouvoir les plus modestes et les déshérités : elle accentue la discrimination. Cela devrait nous amener à revoir sa structure et sa construction pédagogique en y intégrant des enseignements nouveaux, mais aussi la citoyenneté et l'analyse des images trop vite et mal assimilées par les enfants.

Les zones rurales mériteraient un long débat en elles-mêmes. Il faut en effet insister sur un élément statistique tout à fait révélateur : près de la moitié des écoles publiques sont situées en zone rurale. Ces zones ne retiennent qu'assez peu l'attention de l'État, sans doute parce qu'elles n'accueillent que le quart des effectifs du premier degré.

De ce fait, logiquement, les établissements scolaires sont de taille modeste et entraînent corrélativement des coûts d'enseignement et des taux d'encadrement nettement plus élevés que la moyenne nationale.

Toutefois, ce que l'État considère comme un fardeau a des aspects positifs : les petites écoles sont reconnues comme lieux d'inventions pédagogiques, dans une dynamique de compensation de l'isolement ressenti par les maîtres.

Malheureusement, le niveau de l'enseignement pèche par son manque de diversité, ses locaux vétustes, ses structures, ses équipements disparates ou inexistants, par un manque de centres sportifs, de centres culturels, d'enseignement musical, d'enseignement du dessin, de la peinture, etc.

Nous pourrions longtemps discourir sur les difficultés que rencontre la ruralité et, sur ce point, les élus seraient intarissables. Je m'en tiendrai là.

Monsieur le ministre, ce budget de l'enseignement scolaire pour 2007 n'est pas à la hauteur des enjeux qui sont en cause, et je ne parle pas seulement des territoires ruraux.

Le service public de l'éducation nationale n'a cessé de reculer depuis cinq ans.

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