Je souhaite au préalable « rebondir » sur l'intervention de Mme Leboul-Proust, sur ce que vous avez dit dans votre introduction et sur votre future audition conjointe des ministres de la Transition écologique et de l'agriculture. Dans les débats autour du gaz renouvelable, le fait qu'on nous ramène régulièrement à comparer le prix du gaz renouvelable avec celui du gaz fossile me frappe beaucoup. Or je donne toujours cette image : c'est comme si on comparait le coût de l'eau qui sort d'une station d'épuration, parce qu'on l'a traitée pour éliminer des déchets, avec celui d'une eau puisée dans la nappe phréatique la plus économique que l'on puisse trouver sur la planète avant de la transporter.
La CRE a fait des études pour bien souligner les externalités positives. Mais régulièrement, cette démarche est impactée par la logique de la politique publique de soutien à la méthanisation, qui est d'abord une logique de tarif de rachat. Cette politique touche également le budget d'un ministère. Or ce qui compte, pour nous, est de s'assurer qu'on est bien dans un cycle vertueux et de faire en sorte qu'on s'attache à des pratiques vertueuses en termes de culture intermédiaire à vocation énergétique. C'est l'objet de votre mission.
Comme le disait Mme Leboul-Proust, le WWF estime que si la méthanisation est bien faite, les résultats sont positifs pour la biodiversité : elle permet ainsi de maintenir le couvert végétal, évite le lessivage des sols, réduit l'usage d'herbicides et d'engrais chimiques. Si elle est mal faite, cela peut amener à répandre du plastique, à l'instar de ce qui se produit avec n'importe quel type de lisier dont on aurait pas bien vérifié les intrants.
Il existe une difficulté complémentaire par rapport aux autres filières : de très nombreux projets de méthanisation sont portés par des groupes d'agriculteurs qui n'en réalisent qu'un dans leur vie. La filière, qui doit être irréprochable, se trouve ainsi confrontée à la question fondamentale de savoir comment on assure un partage de compétences et un retour d'expérience, lorsque surviennent des accidents. Elle doit aussi se demander comment ces retours d'expérience peuvent profiter à tous, dans une logique d'exploitations isolées, et pas quelques grands industriels qui géreraient la totalité ou une partie significative des unités de méthanisation.
La position d'Engie est très claire : la méthanisation, comme d'autres moyens de produire du gaz renouvelable, que ce soient du power-to-gas, ou de hydrogène, ou d'autres est indispensable dans une trajectoire d'ambition zéro carbone pour le pays. Elle doit s'inscrire dans une valorisation vertueuse des déchets. Il faut non seulement s'assurer qu'elle se fait avec un coût de réseau optimisé, de façon à ce que la facture pour les clients soit la plus basse possible, mais aussi qu'elle entraîne toute une filière. Engie a souhaité lui-même investir dans des projets de méthanisation avec une ambition : 16 sites sont exploités par une filiale du groupe avec un objectif global de 10 % en part de marché, articulés autour de projets agricoles de taille moyenne bien insérés dans leur territoire et leur environnement.
Les retours d'expérience montrent qu'il est essentiel qu'un projet démarre dans de bonnes conditions avec les habitants. Faute de concertation locale ou d'information suffisante, des riverains peuvent effectivement redouter des odeurs. La réponse de bon sens consiste à dire que le procédé de méthanisation ou de putréfaction à l'intérieur d'une yourte de méthanisation vise justement à capter les gaz et les odeurs. Lorsque le procédé est bien fait, les odeurs sont moindres qu'avec des procédés naturels.
Nous travaillons dans le cadre de stratégies de filières sous l'égide du ministère de l'économie pour aider l'ensemble de la filière à progresser. Nous ne visons pas le zéro défaut mais nous souhaitons que toute la société soit convaincue que les éléments positifs de la méthanisation vont bien au-delà des quelques éléments négatifs qui peuvent arriver.
Pour avoir visité beaucoup d'installations dans mes précédentes fonctions, je peux vous assurer que, dans l'immense majorité des cas, les projets sont très bien insérés dans leur territoire, parce qu'ils sont portés par des agriculteurs ancrés localement. Engie souhaite s'appuyer sur de tels groupes d'agriculteurs, avec l'ambition à terme, d'utiliser quasiment exclusivement des cultures intermédiaires et d'être bien en-dessous du plafond maximum toujours autorisé des 15 % de cultures dédiées.
Je crois qu'il faudra aller plus loin. Si je prends l'exemple des tarifs de rachat, on s'aperçoit qu'aujourd'hui la grille applicable est directement proportionnelle au coût : il faudrait pouvoir trouver des moyens d'établir des bonus en fonction de la qualité des projets et de leur qualité dans la durée. Il en va ainsi, pour le secteur éolien, des projets participatifs dans lesquels sont impliqués les riverains. Ce genre de piste de réflexion permettrait en quelque sorte de « récompenser la vertu ».
Il ne suffit pas de dire qu'il faut que le tarif corresponde à des niveaux de coûts : cela peut conduire, en effet, à privilégier certains projets parce qu'ils optimisent le tarif et non parce que ce sont les meilleurs. À l'appui de mon propos, j'évoquerais un exemple que j'ai rencontré : celui d'un projet de station d'épuration conçu dans l'objectif de méthaniser ses boues. Le porteur du projet, qui était l'une des deux grandes sociétés bien connues dans ce domaine en France, me disait que l'optimum consisterait à viser un volume qui ne permettrait de traiter que la moitié des boues, parce que c'est celui qui donnerait lieu au meilleur taux de retour sur investissement.
La grille des tarifs de rachat est ainsi faite de telle façon que l'on a intérêt, non pas à être vertueux mais à optimiser ses calculs par rapport à la grille des tarifs. Un travail complémentaire doit être mené à bien, ce qui pourrait favoriser les petits projets, même si, dans certains cas, ce ne sont pas forcément les meilleurs, car ils ne présentent pas toujours les meilleures garanties de sécurité. Le très gros projet ne s'insérera pas dans son territoire, le trop petit pourra peut-être ne pas bien gérer sa sécurité. On est convaincu que l'optimum doit être entre les deux et surtout s'accompagner de bonus spécifiques valorisant des pratiques agricoles vertueuses.