Intervention de Thierry Trouvé

Mission d'information Méthanisation — Réunion du 17 mars 2021 à 16h30
Représentants des industries gazières — Audition de Mm. Frédéric Martin directeur général adjoint de grdf édouard sauvage directeur général adjoint d'engie et thierry trouvé directeur général de grt gaz

Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz :

Merci Monsieur le rapporteur. Je vais me concentrer sur quatre points dans mon propos liminaire.

Je me propose tout d'abord de reprendre quelques éléments chiffrés sur l'état de la filière. Mon collègue a évoqué la situation des installations raccordées au réseau de GRDF, qui représente une bonne partie, mais pas toute la France. Je souhaite vous fournir une vision d'ensemble de toutes les installations connectées aux réseaux de distribution, ainsi qu'aux deux réseaux de transport. Aujourd'hui, 214 sites sont raccordés à ces différents réseaux dont 80 % sont des sites agricoles, 10 % des sites de stations d'épuration et le reste correspond à de la valorisation de biodéchets (déchets de collectivités, déchets industriels, récupération de biogaz sur des décharges). Parmi les 80 % de sites agricoles, deux tiers sont des installations dites « autonomes » portées par un exploitant agricole, et un tiers des installations territoriales regroupant plusieurs agriculteurs associés. Les capacités totales de production raccordées représentent environ 4 TWh, soit « un petit » 1 % de la consommation française. Par rapport aux 3 TWh évoqués par mon collègue, vous voyez que les trois quart, voire plus, sont raccordés sur les réseaux de distribution, le reste étant raccordé aux réseaux de transport.

Ce n'est pas anodin car pour nous, industriels, cela constitue les prémices d'une inversion du mode de fonctionnement d'ensemble du système gazier. Le gaz arrive aujourd'hui de loin par des tuyaux (Russie, Qatar), et descend vers les distributions publiques. Avec le développement du biométhane, le gaz est produit localement et va remonter vers les réseaux.

On compte effectivement plus de 1 100 projets de méthanisation. Les 26 TWh correspondants représenteront à terme la consommation d'environ 2,2 millions de ménages, le jour où ils seront raccordés, ce qui n'est pas anodin. Parmi ces projets, on compte beaucoup de petits projets agricoles mais aussi quelques grands projets qui regroupent parfois plusieurs dizaines d'agriculteurs. La répartition géographique est intéressante : le développement est assez marqué dans le Grand Est et les Hauts-de-France, tandis que l'Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur sont à l'inverse assez en retrait, du fait de leur structure agricole. Ces éléments nous poussent à dire qu'on pourra dépasser l'objectif prévu par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) à l'horizon 2028, et qu'on est en ligne pour respecter l'objectif de la loi, qui est de 10 % de la consommation à l'horizon 2030.

Mon collègue vous a parlé de la filière industrielle, qui est importante, car le chiffre d'affaires ainsi qu'une valeur ajoutée élevés restent en France, contrairement à d'autres filières d'énergie renouvelable. Nous disposons par ailleurs du tissu industriel pour fabriquer ces installations.

Je souhaite aborder un deuxième sujet : les réseaux. Vous avez voté, dans la loi EGalim, le droit au raccordement des installations de production de biométhane. Je vous indique que cela fonctionne bien. S'il y a quelque chose à retenir de ce sujet un peu technique, c'est que, quelle que soit la façon dont les producteurs s'organisent et quel que soit l'endroit où ils s'installent, nous, gestionnaires de réseaux (transport et distribution), travaillons ensemble pour être en mesure de leur proposer les meilleures solutions techniques de raccordement et d'adaptation de nos réseaux, au meilleur coût, sous le contrôle du régulateur. Ces solutions techniques sont nombreuses : nous utilisons par exemple le maillage des réseaux de distribution, qui consiste à connecter des réseaux de distribution entre eux pour permettre un plus grand exutoire. Quand c'est insuffisant, on pose des installations de rebours, qui envoient l'énergie se trouvant sur le réseau de distribution vers le réseau de transport - cela va dans le sens inverse du fonctionnement dont je parlais tout à l'heure. Cela permet d'aller dans d'autres régions, dans les stockages souterrains de gaz et, par là même, de stocker ce gaz pendant l'été et l'utiliser en hiver.

Nous travaillons dans le cadre de concertations publiques organisées sur les territoires. Chaque partie prenante est amenée à s'y exprimer. Nous effectuons actuellement des plans de zonage pour éclairer les porteurs de projets : 190 zonages ont ainsi été préparés par l'ensemble des gestionnaires de réseau, de distribution et de transport, et validés par le régulateur. 100 zones supplémentaires sont en cours d'élaboration. On aura ainsi « quadrillé » l'ensemble du territoire national d'ici un à deux ans. Actuellement, trois installations de rebours fonctionnent déjà, tandis qu'une demi-douzaine est en construction, et une vingtaine d'autres sont prévues dans les années qui viennent.

Le biométhane constitue donc la seule énergie renouvelable dont la production tout au long de l'année est à peu près constante. Elle fluctue peu, ne serait-ce que parce qu'on peut stocker les intrants. Elle offre des possibilités de stockage quasiment illimitées d'une saison à l'autre. De notre point de vue, cela signifie que le biométhane issu de la méthanisation, avec les autres filières de production de biométhane et d'hydrogène, est un élément clé de la transition énergétique. Il offre une complémentarité idéale avec le vecteur électrique, confronté à la problématique de l'intermittence de la production et à l'absence de solution de stockage de grande capacité.

J'en viens au troisième point de mon propos. Je voudrais ainsi attirer votre attention sur un « angle mort » des dispositifs de soutien au biométhane : il n'existe pratiquement pas de dispositif incitant au développement de la demande. On a beaucoup travaillé sur l'offre (tarifs d'achat, droit au raccordement, production), mais il n'existe quasiment aucun dispositif incitant à utiliser du biométhane, plutôt que du gaz fossile. De notre point de vue, c'est à la fois choquant sur le plan des principes et cela constitue surtout une perte d'opportunité, en termes de développement et de financement de la filière.

Voici quelques exemples, à titre d'illustration. Nous n'avons pas encore réussi - et c'est un combat difficile dont j'ignore si on le gagnera - à faire reconnaître le biométhane comme un élément de chauffage dans les habitations. Le débat sur la réglementation environnementale 2020 (RE2020) montre que le projet Méthaneuf porté par GRDF et la filière n'a pour l'instant pas encore réussi à convaincre.

Deuxième exemple : un industriel qui utiliserait du biométhane plutôt que du gaz fossile pour son processus de production ou son chauffage, ne pourrait pas en faire reconnaître le bénéfice, en termes d'émission de dioxyde de carbone, dû à l'usage du biométhane, dans le système de quotas de CO2. Ce n'est pas prévu par la réglementation, et l'on sent même, quand on évoque la question avec l'autorité administrative, qu'elle n'y est pas favorable. Il s'agit, selon nous, d'une aberration de principe. Qui plus est, on se prive d'une opportunité, car certains seraient prêts à payer davantage pour faire valoir qu'ils utilisent du gaz vert. Cela constituerait une source de financement supplémentaire pour le développement de la filière. Dans le domaine de la mobilité, les choses sont comparables : des annonces sur la mobilité lourde ont récemment été faites portant sur des aides pour les poids lourds électriques et à hydrogène, mais rien sur le BioGNV (gaz naturel pour les véhicules renouvelable).

Dernier élément pour illustrer mon propos : la réforme des garanties d'origine a pour effet d'éloigner la production de la consommation et, en particulier, de casser des boucles locales qui auraient pu se mettre en place. Il est en effet très compliqué, pour des collectivités locales, de récupérer les garanties d'origine d'une production locale, de façon à transférer le gaz ainsi produit dans une station-service pour alimenter des véhicules ou chauffer un lotissement. Ce sujet ne semble pas réellement pensé. Lorsqu'on le met sur la table, on se voit opposer cette logique de production.

Dernier point : je souhaite vous dire un mot des filières complémentaires à la méthanisation. Dans votre questionnaire, vous évoquiez la pyrogazéification. La gazéification hydrothermale, elle aussi, apparaît moins mûre que la méthanisation, tout en étant complémentaire par rapport à cette dernière. La pyrogazéification pourrait représenter autour d'1 TWh à horizon 2030. C'est peu par rapport aux 40 dont j'ai parlé implicitement tout à l'heure avec l'objectif des 10 % de gaz renouvelable, mais c'est une technologie intéressante. Elle permet de traiter des déchets non fermentescibles (déchets de biomasse, de plastique ou de bois B) et, en les chauffant, de faire du gaz. Cette technologie existait au XIXe siècle pour produire du gaz de ville à partir de charbon. Le procédé est aujourd'hui similaire, sauf que les intrants sont du bois ou des déchets non recyclables. De même, la gazéification hydrothermale pourrait représenter 1 TWh à l'horizon 2030. Il s'agit cette fois-ci de traiter des déchets humides, voire des résidus liquides. Elle est complémentaire de la méthanisation pour valoriser des intrants dont le retour au sol serait problématique, ou même pour traiter des digestats de la méthanisation. Cette filière commence à se structurer.

Ces deux filières auraient besoin d'un petit « coup de pouce » des pouvoirs publics destiné à encourager leur développement et leur reconnaissance dans la valorisation des déchets. Je pourrai développer davantage ce point, si vous le souhaitez, tout à l'heure.

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