Monsieur le ministre, depuis bientôt un an, la commission des affaires économiques du Sénat ne cesse de demander un débat transparent devant le Parlement sur l’évolution de notre politique énergétique. À défaut de l’avoir obtenu, je me réjouis que la présente proposition de résolution l’ait provoqué.
Au printemps dernier, la pandémie de la covid-19 a plongé le secteur de l’énergie dans une crise tout à fait inédite, après une chute de 5 % de la demande mondiale. C’est pourquoi l’Agence internationale de l’énergie estime que la crise sanitaire a causé plus de perturbations que tout autre événement dans l’histoire récente.
Dans ce contexte, les projets de restructuration se multiplient, en France notamment. Après le projet Hercule et le projet Bright, même TotalEnergies revoit certains de ses objectifs. Cette succession d’annonces, globalement très anxiogène, pose de lourdes questions pour notre souveraineté et notre transition énergétiques.
Concernant notre souveraineté, nous assistons à un long affaiblissement de notre appareil productif et, plus grave, à une perte de compétence, d’envie et d’enthousiasme autour d’une compétence qui était phare pour la France : celle de l’atome.
Nous savons qu’EDF a déjà arrêté les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ; ces arrêts sont les deux premiers d’une longue série de quatorze, qui se succéderont jusqu’en 2035. Aujourd’hui, le groupe EDF envisage d’ouvrir au public un tiers du capital d’une nouvelle entité, dénommée « EDF Vert ». Quelles assurances a-t-on quant au poids et au rôle de l’État dans cette nouvelle entité ? De son côté, Engie restructure les deux tiers de ses activités de services, avec des répercussions sur la moitié de son personnel. Que dire enfin de la cession, il y a quelques années, des turbines nucléaires d’Alstom à General Electric ? La situation nous semble préoccupante.
Face à ces difficultés, notre commission n’a pas ménagé ses efforts.
Tout d’abord, elle a reculé de dix ans l’objectif de réduction à 50 % de la proportion d’énergie nucléaire dans le cadre de la loi Énergie-climat. Sans cela, le nombre de fermetures de réacteurs aurait atteint vingt-quatre dès 2025 ! Étions-nous prêts à faire face ? Eh bien, je vous le dis : nous n’étions pas prêts.
Par ailleurs, notre commission poursuit une intense activité de contrôle, notamment sur EDF et Engie.
Si notre souveraineté est ainsi mise à l’épreuve, il en va de même de notre transition vers une économie plus sobre en carbone.
La recherche nucléaire semble en berne depuis l’arrêt du réacteur Astrid ; les énergies renouvelables ne sont pas mieux loties, avec la remise en cause de dispositifs de soutien à l’énergie photovoltaïque ou au gaz renouvelable.
La nouvelle réglementation environnementale induit des surcoûts très élevés.
En outre, la moitié des 12 milliards d’euros d’investissements du plan de relance consacrés à l’énergie est en réalité issue de redéploiements de crédits. De toute évidence, ces moyens sont bien insuffisants pour relancer notre économie en accélérant sa décarbonation.
Dès le mois de juin dernier, notre commission avait pourtant proposé d’investir massivement dans l’industrie nucléaire, la rénovation énergétique et les énergies alternatives. Je ne vois aucune opposition entre le développement du nucléaire et les efforts sur les autres points énergétiques.
Aujourd’hui, nous attendons du Gouvernement qu’il sorte d’un double déni : il doit admettre que la crise de la covid-19 a un impact considérable sur le secteur de l’énergie, mais aussi que nous devons faire davantage en faveur de l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050.
Pour ce faire, le Gouvernement doit réaffirmer sa confiance en l’énergie nucléaire : plutôt que de seulement le dire, il doit surtout le faire !
Face à l’urgence climatique, il faut cesser de tergiverser sur les avantages et les inconvénients du nucléaire, car nous n’accomplirons pas la transition actuelle vers une économie sobre en carbone sans le nucléaire : celui-ci est le meilleur allié actuel du climat ; c’est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui le dit.
Alors il nous faut accélérer l’achèvement de l’EPR de Flamanville, cher Daniel Gremillet ; il nous faut développer les trois paires d’EPR ; il nous faut dynamiser les projets du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, et, bien sûr, conforter les missions de l’Autorité de sûreté nucléaire, missions qui sont tout à fait essentielles pour la confiance des Français. L’hydrogène nucléaire doit aussi être activement soutenu, à l’échelle nationale comme au niveau européen, car il permet le développement de la filière aval en attendant l’hydrogène vert.
Voilà, monsieur le ministre, ce que nous attendons du Gouvernement. C’est plus substantiel et, peut-être, plus ambitieux que certaines dispositions du projet de loi Climat et résilience, dont on peut s’étonner qu’il soit absolument muet sur l’énergie nucléaire.
Je forme donc le vœu que celle-ci retrouve une place de choix dans notre mix énergétique, ainsi que dans notre recherche et développement. Cette place n’évincerait en rien le développement légitime et nécessaire des énergies renouvelables. Bien évidemment nous attendons de ces dernières qu’elles soient efficaces et efficientes, et nous consacrons beaucoup de moyens à cette fin. C’est à ce moment-là que nous pourrons baisser la part de notre énergie nucléaire, mais non pas plus tôt : ce serait une faute pour les Français et pour l’industrie française !