Intervention de Didier Mandelli

Réunion du 23 mars 2021 à 14h30
Quelle politique d'aménagement du territoire — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie mon groupe, Les Républicains, d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce nouveau débat sur l’aménagement du territoire.

Je dis « nouveau », parce que le 18 novembre 2020, déjà, nous débattions sur l’initiative de nos collègues du groupe RDSE sur le thème de l’« Agence nationale de la cohésion des territoires, un an après sa création », et que le 3 mars dernier s’est tenu un autre débat, à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les conclusions de son rapport Mobilités dans les espaces peu denses à l ’ horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd ’ hui.

Sous une forme ou une autre, il ne se passe pas une semaine de contrôle passée sans que l’aménagement du territoire figure à l’ordre du jour.

Aussi, pourquoi parler de nouveau d’aménagement du territoire ?

Dans le cas présent, j’ai la faiblesse de penser que la constance avec laquelle le Sénat traite de cette question n’est pas uniquement le fait de ses attributions constitutionnelles. J’ai même la conviction que l’aménagement du territoire, évoqué avec d’autant plus de vigueur que sa réalité, comme politique publique, nous fait profondément défaut.

Vous l’aurez compris, la fonction de ce débat est non pas de produire une analyse critique de la politique publique d’aménagement du territoire du Gouvernement, mais bien davantage de lui demander quelle est cette politique.

L’aménagement du territoire est bel et bien une spécificité française. De l’ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, publié en 1947, à la création de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) en 1963, en passant par la nomination d’Eugène Claudius-Petit au ministère de la reconstruction et de l’urbanisme de 1948 à 1953, notre pays a appuyé toutes ses politiques sectorielles sur l’aménagement du territoire.

Comme le précisait Michel Debré : « Il faut répondre à ce devoir d’État qui, en termes administratifs, se nomme aménagement du territoire. »

Comme chacun ici a pu le constater, cette politique publique s’est lentement érodée avec le temps.

Nous avons cru d’abord que la décentralisation était un palliatif suffisant à cet abandon : c’était se tromper.

Nous avons cru ensuite que le Fonds européen de développement régional (Feder) allait lui aussi se substituer à ce renoncement : c’était, là encore, se tromper.

Nous avons cru enfin que les métropoles nous conduiraient dans une nouvelle ère, rendant le concept même d’aménagement du territoire inopérant : c’était, une fois de plus, se tromper !

Manifestement, plusieurs raisons peuvent être avancées pour justifier la disparition de cette politique publique : pour les libéraux, l’aménagement du territoire, c’est la planification, l’amorce du socialisme ; pour les Girondins, c’est une création jacobine ; pour les autres, c’est une discipline placée sous le sceau de l’arbitraire, du clientélisme. Pour ma part, je rejette ces trois assertions.

La hausse de la dépense publique nous a conduits à sacrifier nos dépenses d’investissement, nous privant ainsi des moyens indispensables à cette politique.

À ce stade, j’ose formuler une question : savons-nous encore faire de l’aménagement du territoire, en termes d’ingénierie, bien sûr, mais surtout en termes de réflexion, de vision ?

Certes, nous avons multiplié les différents plans et schémas : des Sraddet (schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) aux PLU (plans locaux d’urbanisme) et PLUi (plans locaux d’urbanisme intercommunaux), en passant par les SCoT (schémas de cohérence territoriale), sans parler des PDU (plans de déplacements urbains), des PLH (programmes locaux de l’habitat), des SRCE (schémas régionaux de cohésion écologique), des contrats territoriaux, des plans de relance, des programmes « Petites villes de demain » et « Action cœur de ville » – et j’en oublie !

Là encore, je me demande naïvement si cette avalanche de plans n’est pas un palliatif…

Toutes les actions engagées depuis trente ans n’ont pas permis de faire disparaître le sentiment d’éloignement ou de délaissement, à la ville comme dans nos campagnes. C’est même l’effet inverse qui s’est produit !

Le vœu pieux de l’article 1er de la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, aux termes duquel « La politique nationale d’aménagement et de développement durable du territoire concourt à l’unité de la nation, aux solidarités entre citoyens et à l’intégration des populations », semble lui aussi bien lointain.

De fait, nous nous sommes accrochés trop longtemps au fait métropolitain et à sa théorie du ruissellement, comme nous avons cru que le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication allait redonner à tous les territoires une nouvelle vocation économique. C’est vrai, mais seulement en partie : plus l’économie se digitalise, plus elle se concentre géographiquement.

Plusieurs explications méritent d’être nuancées. D’une part, la moitié des étudiants de France se concentre dans les quinze métropoles que comptait le pays au 1er janvier 2017, alors que celles-ci n’accueillent que 27 % de la population française. D’autre part, la fracture numérique est loin d’être comblée puisque, dans les unités urbaines de moins de 100 000 habitants et dans les communes rurales, seuls 60 % des habitants disent profiter des possibilités ouvertes par les nouvelles technologies, contre plus de 80 % dans l’agglomération parisienne.

Face à ces difficultés, maintes fois énoncées par le Sénat, les gouvernements ont répondu, non par l’aménagement du territoire, mais avec des politiques éparses de soutien aux territoires en difficulté, qui ressemblent davantage à des soins curatifs, sans garantie de guérison.

Pire encore, lorsque l’on voit ce qu’il est advenu des pôles d’excellence rurale, des zones de revitalisation rurale, si chères à Rémy Pointereau, de la prime d’aménagement du territoire, du fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (Fisac), ou du fonds national d’aménagement et de développement du territoire, on devine que la tendance n’est pas à la hausse des moyens.

En définitive, que devient l’aménagement du territoire ?

Il repose sur le volontarisme des collectivités locales, qui, malgré l’instabilité institutionnelle dans laquelle elles évoluent, se substituent désormais à un État omniprésent et omnipotent. Pour cette raison, nous voulons enfin parler de différenciation, pour que chaque territoire puisse se développer comme il l’entend, fort de son histoire, de sa culture, de son patrimoine et de la volonté des femmes et des hommes qui le font vivre.

Constatant le déclin de cette politique d’aménagement du territoire, votre gouvernement a tenté de renouer avec une vieille tradition française : création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), nomination d’un haut-commissaire au plan, que nous avons auditionné plus de trois heures pour presque rien, et la possible loi 4D – pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification –, sans bien sûr oublier votre nomination, monsieur le secrétaire d’État. Ce sont des signaux positifs, qui n’expriment cependant pas une vision stratégique.

L’enjeu, aujourd’hui, est de donner une perspective à nos concitoyens, sans opposer l’urbain et le rural – nous devrions d’ailleurs utiliser le couple ville-campagne pour dessiner notre avenir.

D’éminents chercheurs, universitaires, géographes et sociologues se sont penchés sur ces évolutions, tels que Christophe Guilluy, Laurent Davezies ou Olivier Bouba-Olga. Valérie Jousseaume, que nous avons auditionnée, a écrit Plouc Pride. Un nouveau récit pour les campagnes, livre très éclairant que je vous invite à vous procurer.

La matière ne manque pas pour alimenter les réflexions de l’exécutif. Faut-il être aveugle et sourd pour ne pas comprendre l’aspiration profonde de nos concitoyens, exacerbée par la crise des gilets jaunes, qui a débouché sur un grand débat national, non suivi d’effets ?

Faut-il être enfermé à l’Élysée pour ne pas mesurer les effets durables de la pandémie, qui accentuent la migration vers les campagnes : l’exode urbain, après l’exode rural ?

Suffit-il d’évoquer l’objectif de zéro artificialisation dans le projet de loi Climat, qui stigmatise les territoires en développement pour régler la question climatique ?

Aucune métropole, y compris Paris, ne s’est construite in situ. Le sujet du développement durable concerne tous les territoires. Ces derniers sont la solution aux questions posées par le projet de loi Climat sur le travail, les déplacements, la production et la consommation.

En réalité, la véritable question devrait être formulée comme suit : quel aménagement et quelle place donner à nos territoires pour répondre aux enjeux climatiques ?

Monsieur le secrétaire d’État, la France s’est construite dans la diversité de ses territoires et de leurs richesses. Vous avez l’ardente obligation de préserver, de protéger ce bien commun, que l’on vive dans une petite commune à la campagne ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville !

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