Je tiens d'abord à vous remercier de votre invitation et de donner la parole aux festivals. Le festival des « Vieilles Charrues » est un festival entièrement associatif, qui se déroule à Carhaix en Bretagne, une ville de 7 000 habitants. Le festival a pour spécificité de ne recevoir aucune subvention publique. Chaque année, sur les quatre jours de festival, 280 000 personnes sont accueillies, notamment grâce à la participation de 7 750 bénévoles organisés en une centaine d'associations auxquelles nous reversons 140 000 euros par édition.
Pendant la durée du festival, une centaine de groupes se produisent dans une programmation éclectique, mêlant des têtes d'affiche internationales avec des groupes « découverte ». Le budget global est de 17 millions d'euros, dont 80 % viennent du public et les 20 % restants sont couverts par nos partenaires et mécènes. Les recettes liées au public correspondent aux trois quarts à la billetterie et le quart restant aux recettes annexes.
Le festival a un fort ancrage territorial et un impact économique de 18 millions d'euros. Autour de 2 500 personnes sont embauchées sur le territoire mais notre modèle économique est très fragile. Il est important de prendre en considération l'importance des festivals pour les territoires, mais aussi leur extrême fragilité.
S'agissant de l'année 2020, la programmation a été annoncée en décembre et, dès février, l'ensemble des billets avaient été vendus. La conséquence première lors de l'annonce du confinement a été le retrait des engagements des partenaires et mécènes dont l'activité économique était à l'arrêt et sans perspective de reprise.
La crise sanitaire évoluant, certains artistes se sont décommandés, comme par exemple Céline Dion. Un grand nombre de festivaliers venaient spécifiquement la voir et ont rapidement demandé le remboursement de leurs billets.
Le volet médical et des secours à la personne a également compté dans notre décision d'annuler l'édition 2020. Chaque année, 250 secouristes et une cinquantaine de médecins sont présents. Nous avons craint qu'ils ne soient pas disponibles s'ils étaient réquisitionnés. Très rapidement, il nous est apparu que le festival ne pourrait pas avoir lieu.
Alors que cinq millions d'euros de programmation avaient déjà été engagés, il a fallu envisager un plan de secours et un plan de relance pour assurer la pérennité du festival, dont les frais de structure avoisinent 1,8 million d'euros par an.
Depuis avril dernier, une grande partie des équipes des « Vieilles Charrues » est en chômage partiel, et nous avons perçu à la fois des aides au titre du fonds de solidarité, des aides de la direction régionale des affaires culturelles et du Centre national de la musique, mais aucune subvention de collectivités. Pour parvenir à l'équilibre et être en mesure de passer encore une année, il nous manque encore 800 000 euros.
Concernant 2021, nous nous interrogeons sur la façon dont nous pouvons rebondir. À la fin de l'été dernier, nous espérions nous diriger vers des reports d'édition mais ils ont été remis en cause par la reconduction de l'arrêté d'interdiction des grands rassemblements, d'abord jusqu'en octobre, puis jusqu'en mars.
En fin d'année, nous nous sommes demandé s'il était opportun de communiquer auprès du public sur l'édition 2021 et sa programmation. Nous avons alors fait le choix d'indiquer que nous allions prendre le temps d'évaluer l'évolution de la situation sanitaire et que nous prendrions une décision à partir du mois de février.
Dès le départ, notre position a été claire sur notre ambition d'organiser le festival en juillet prochain, selon des modalités qui restent encore en partie à définir. Les marques de soutien des festivaliers nous ont confortés dans l'idée de maintenir un festival dans un format adapté.
Nous en sentions l'envie, le besoin et même peut-être le devoir vis-à-vis de notre territoire, du public, des artistes, des intermittents, des prestataires, des bénévoles et de tous ceux qui font le festival.
Nous avons travaillé à la définition d'un cadre en collaboration avec d'autres festivals afin d'identifier la faisabilité du festival et de parvenir à chiffrer le coût de celui-ci une fois son organisation adaptée. Évidemment, le cadre auquel nous sommes parvenus est bien différent de ce qu'on a l'habitude de faire mais le conseil d'administration des « Vieilles Charrues » a fait le choix de donner rendez-vous aux festivaliers et de ne pas revivre un autre été silencieux.
Il nous reste beaucoup de travail à réaliser. Nous sommes dans l'attente d'un recalibrage des aides : elles doivent être adaptées aux contraintes sanitaires et nous permettre de parvenir à l'équilibre financier. C'est indispensable pour préserver la diversité culturelle. La jauge assis et la contrainte de la distanciation nous posent un réel problème : trouver des gradins respectant ces contraintes à un coût raisonnable paraît quasiment impossible. Assurer un service de buvette et de restauration est essentiel pour ce type d'événements : c'est un service que l'on se doit de rendre à nos festivaliers.
Nous avons jusqu'ici réussi à faire face à plusieurs crises, en particulier celles liées aux attentats. Nous avons prouvé que nous étions capables de nous améliorer en termes de sécurité et d'accueil du public et nous resterons force de proposition en tant qu'organisateurs. Notre objectif est d'accueillir le mieux possible les festivaliers car je rappelle que notre responsabilité civile et pénale est engagée. Nous avons d'ores et déjà annoncé que nous transformerions l'édition 2021 du festival en dix soirées de concert. Il faut travailler au plus vite aux protocoles sanitaires et aux dispositifs financiers d'accompagnement afin de ne mettre personne en danger et de faire résonner un peu de musique sur le territoire français l'été prochain.