Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le rapport annuel de la Cour des comptes prend, cette année, une forme très particulière, avec une focalisation sur l’analyse des réponses des pouvoirs publics à la crise sanitaire que notre pays traverse encore.
Ce faisant, monsieur le Premier président, vous êtes en quelque sorte allés à l’essentiel, au plus près du vécu et des préoccupations des Français.
Pour autant, l’exercice était délicat, puisque plusieurs commissions et organismes s’étaient déjà donné une mission d’analyse du même ordre.
Pour ne parler que du Sénat, notre assemblée a mis sur pied une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion. Cette commission, présidée par Alain Milon et dont les rapporteurs étaient Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, Bernard Jomier et Sylvie Vermeillet, a remis son rapport le 8 décembre dernier.
Le Sénat a, depuis lors, créé une mission commune d’information pour évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités, mission qui est présidée par Bernard Jomier et dont Jean-Michel Arnaud et Roger Karoutchi sont les rapporteurs.
Néanmoins, vous avez bien souvent évité l’écueil de la redite. Le Parlement trouvera donc d’intéressantes pistes de réflexion à la lecture de votre rapport annuel.
Je centrerai naturellement mon propos sur les chapitres du rapport qui concernent le plus les domaines de compétences de notre commission des affaires sociales : le champ sanitaire, bien entendu, et celui de l’assurance chômage.
S’agissant du volet sanitaire, la commission a pris connaissance avec un très grand intérêt des recommandations formulées par la Cour visant à la réorganisation des services de réanimation.
Votre rapport souligne, tout comme le faisait d’ailleurs la commission d’enquête du Sénat, que le chiffre des unités de réanimation en France, rituellement brandi comme l’une des preuves de notre retard structurel par rapport à l’Allemagne, ne tient pas compte des unités de surveillance continue. Or, lorsque l’on ajoute ces unités, la capacité française s’établit à 27 lits pour 100 000 habitants, ce qui place notre pays à la troisième position de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), derrière l’Allemagne et l’Autriche.
Vous vous êtes également penché sur les causes réelles des transferts sanitaires de la première vague, sur les raisons de la faible implication, tout au moins dans un premier temps, des établissements de santé privés et sur les effets largement inconnus des déprogrammations massives d’activités hospitalières et libérales.
À cet égard, vous soulignez d’ailleurs très bien, à travers les exemples de la Bourgogne-Franche-Comté et de la Nouvelle-Aquitaine, que, indépendamment du niveau de présence réelle du virus dans ces territoires au cours de la première vague, les établissements ont procédé à des reprogrammations de soins, notamment chirurgicaux, dans des proportions comparables.
Dans certains cas, cette réorganisation a même pu permettre d’accueillir des patients covid venant d’autres régions. Les conséquences de ces réorganisations pour les autres territoires pourraient donc être similaires.
Vous concluez en recommandant de « mieux tenir compte des besoins lors de la planification sanitaire ». Le Sénat, chambre des territoires, vous rejoint évidemment sur ce point. Nous avons d’ailleurs récemment tenté de promouvoir les projets territoriaux de santé lors de l’examen de la proposition de loi censée porter la traduction législative des engagements du Ségur de la santé. Nous ne pouvons qu’espérer, monsieur le Premier président, que les recommandations de la Cour donneront à cette intention le poids qui paraît encore lui manquer…
Pour ce qui concerne votre recommandation d’augmenter les effectifs des médecins réanimateurs et d’infirmières qualifiées, je constate qu’elle rejoint l’appréciation de la commission d’enquête du Sénat. Celle-ci avait aussi constaté que la difficulté venait de l’évaluation locale des besoins en temps réel et du manque d’efficacité des circuits d’information censés renseigner les gestionnaires de crise sur l’évolution territoriale de l’épidémie à l’hôpital.
À cet égard, je note que la Cour n’est pas plus parvenue que notre commission d’enquête à évaluer et à localiser les capacités disponibles dans le secteur privé qui n’auraient pas été mobilisées dans la crise. Nous espérons que le temps permettra d’éclaircir ce point et de préciser la gestion de ces lits, en particulier en cas de crise.
À l’invitation de la présidente Catherine Deroche, la Cour des comptes aura d’ailleurs l’occasion de poursuivre ses travaux sur l’organisation des services de réanimation et sur leur modèle de financement au-delà de la première vague épidémique de covid-19. La situation actuelle de ces services, lors d’un confinement intervenant un an après la première crise, pourra sans doute apporter de nouveaux enseignements.
Pour ma part, je suis convaincu que, au-delà même des services de réanimation, l’organisation d’un système de santé trop centralisé et trop éloigné des territoires constitue une difficulté qu’il nous faudra résoudre afin de gagner en efficacité.
Pour ce qui est de l’assurance chômage, dont la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la Mecss, du Sénat a d’ailleurs entendu la direction la semaine dernière, vous rappelez la situation financière dégradée dans laquelle l’Unédic a abordé la crise, ainsi que les changements en matière de gouvernance qui proviennent de l’attribution à l’assurance chômage de ressources fiscales par la loi de 2018.
À cette lumière, vous soulignez que les décisions extraordinaires de l’année 2020 ont été prises par l’État, certes dans un contexte d’urgence, mais sans que les partenaires sociaux, théoriquement gestionnaires de l’Unédic, aient leur mot à dire, malgré l’impact financier considérable de ces mesures sur les comptes du régime.
Par conséquent, vous recommandez de préciser les rôles respectifs de l’État et des partenaires sociaux dans la détermination des dépenses, des recettes et, bien sûr, de l’amortissement de la dette. Vous recommandez également de définir, à la sortie de la crise, la nouvelle trajectoire financière qui s’impose, de statuer sur le niveau et les modalités de reprise d’une partie de la dette et de redéfinir le niveau de participation de l’Unédic au financement de Pôle emploi dans un cadre pluriannuel.
La commission vous suit largement sur ces préconisations. À nos yeux, il est nécessaire, en particulier, de sortir de l’ambiguïté en matière de gouvernance.
C’est pourquoi un rapport d’information de notre commission, qui sera bientôt suivi d’une proposition de loi organique, propose formellement d’intégrer l’assurance chômage dans le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale. Il rejoint en cela l’une des conclusions du rapport de la Cour des comptes de 2020 sur le cadre organique et la gouvernance des finances publiques.
En conclusion, monsieur le Premier président, je remercie la Cour, au nom de notre commission, de son rapport, comme d’habitude solide et rigoureux et qui apporte de nouveaux enseignements utiles sur la gestion publique de la crise que nous avons connue et que nous traversons malheureusement encore.