Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 24 mars 2021 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la publication du rapport annuel de la Cour des comptes intervient cette année dans un contexte exceptionnel, lié bien sûr à la crise sanitaire, ainsi qu’aux conséquences économiques et sociales et à l’impact inédit de cette dernière sur les finances publiques.

La dégradation vertigineuse de ces dernières traduit l’ampleur du cataclysme économique provoqué par la crise sanitaire. Encouragés par les banques centrales, les États, et la France en particulier, ont pris des mesures exceptionnelles de soutien, auxquelles est venu s’ajouter l’effet de la récession sur l’encaissement des recettes fiscales. Résultat, la France a quasiment doublé en 2020 le niveau de son déficit budgétaire et porté celui de la dette publique à environ 120 % du PIB.

Dans ce contexte, la mission habituelle de contrôle de la Cour des comptes quant à l’emploi et à la gestion des fonds publics, matérialisée par la publication de son rapport annuel, revêt cette année une importance peut-être plus grande encore.

Il est d’ailleurs significatif que sa publication ait coïncidé, jeudi dernier, avec la remise au Premier ministre du rapport de la commission sur l’avenir des finances publiques, présidée par notre ancien collègue Jean Arthuis, dont nous partageons, dans les grandes lignes, les préconisations.

« L’argent magique » n’existant pas, il nous faudra rembourser la dette contractée pendant la pandémie. Nos marges de manœuvre fiscales étant particulièrement étroites, il nous faudra en priorité actionner le levier de la dépense publique, c’est-à-dire celui des économies budgétaires.

À cet égard, l’un des aspects de la crise épidémique qui a été souligné par la Cour des comptes dans le tome Ier de son rapport annuel nous interpelle tout particulièrement : la situation de la réanimation et des soins critiques en général.

Les magistrats de la Cour des comptes déplorent « l’impréparation du secteur à affronter une crise sanitaire d’une telle ampleur ». La crise de la covid-19 a mis en lumière les carences de l’hôpital public, spécifiquement l’insuffisance et les grandes inégalités territoriales des capacités d’accueil en lits d’hôpital, qui se sont ajoutées à un manque d’effectifs de médecins réanimateurs, alors que les besoins d’hospitalisation croissent avec le vieillissement de la population.

Des besoins concrets d’intervention de l’État dans le secteur de la santé sont apparus, alors que nos dépenses de santé représentent 11, 3 % du PIB, soit le plus haut niveau de l’Union européenne, dont la moyenne s’établit à 9, 8 %. Alors que nous avons manqué de médecins réanimateurs formés, les comparaisons internationales mises en exergue par l’OCDE indiquent que nous avons le plus fort taux – 34 % – de personnels à l’hôpital n’exerçant pas de fonction médicale.

La Cour souligne également le faible recours aux capacités du secteur privé au plus fort de la pandémie et appelle à une coordination nationale des soins critiques, incluant structures publiques et privées.

Nous pouvons nous demander si la rhétorique du manque de moyens ne nous aveugle pas en partie, au détriment du problème de leur meilleure allocation. Ce problème de la bonne allocation des moyens est d’ailleurs celui que rencontre globalement l’État dans la définition et la hiérarchisation de ses priorités.

Toujours en ce qui concerne le volet social, la Cour des comptes s’émeut de la dérive des comptes de l’assurance chômage, tout en reconnaissant que celle-ci a pleinement joué son rôle d’amortisseur économique et social, en finançant, aux côtés de l’État, le dispositif exceptionnel d’activité partielle déployé massivement au bénéfice des entreprises et des salariés.

La forte dégradation de la situation financière du régime qui s’est ensuivie, avec un déficit annuel de plus de 17 milliards d’euros en 2020, ne peut qu’interroger sur la trajectoire financière de ce régime, déjà largement déficitaire avant la crise. Le niveau de l’endettement, passé de près de 37 milliards d’euros à plus de 54 milliards fin 2020, pose la question de son amortissement et de la reprise d’une partie de la dette de l’Unédic par l’État.

En outre, la question de la gouvernance du régime, marquée, comme le souligne la Cour, par une confusion des rôles entre l’État et les partenaires sociaux, appelle sans doute à une réforme plus profonde que celle qui a été engagée par le Gouvernement à la fin de 2019, si nous voulons redéfinir une trajectoire financière de retour à l’équilibre.

Cette problématique, comme celle des retraites d’ailleurs, peut difficilement être éludée à brève échéance. Encore faut-il surmonter la pandémie et définir clairement les bases d’un pacte social renouvelé.

La France se singularise moins par le niveau des dépenses de l’État que par celui des dépenses sociales. Sans remettre en cause leur légitimité, on peut tout de même s’interroger, et cela d’autant plus que leur efficacité est régulièrement mise en doute, en particulier dans les enquêtes de la Cour des comptes.

Un autre volet du rapport a particulièrement retenu notre attention : celui qui concerne l’indemnisation des entreprises au titre du fonds de solidarité. Ce puissant instrument a été, et continue d’être, indispensable à la survie d’un grand nombre d’entreprises durement touchées par la crise dans les secteurs de la restauration, de l’hôtellerie, du tourisme, de l’événementiel, du sport ou encore de la culture.

Des aides d’un montant de plus de 15 milliards d’euros ont ainsi été distribuées, via un dispositif simple et efficace, à quelque 2 millions d’entreprises et d’entrepreneurs individuels et indépendants, et, comme l’indique la Cour des comptes, avec un taux de fraude très faible.

Là où la Cour semble regretter l’évolution du fonds au gré de la progression de l’épidémie, passant d’une logique généraliste à une logique plus sectorielle, nous pouvons au contraire y déceler une opportune malléabilité, ainsi qu’une précieuse capacité d’adaptation de l’État à l’évolution de la crise sanitaire et économique.

Toutefois, nous ne contestons pas que la puissance de l’intervention publique, en aval, appelle en amont un ciblage des dispositifs, ainsi que des contrôles rigoureux. Il ne faudrait pas que, par la multiplication des mécanismes d’aides de la part d’une multiplicité d’acteurs, le cumul des aides versées à certaines entreprises soit supérieur au préjudice subi.

Les membres du groupe Union Centriste, vous le savez, sont particulièrement vigilants à la lutte contre la fraude, qui, en matière d’aides économiques, comme en matière de fiscalité et d’aides sociales, doit être implacable. En ce sens, nous souscrivons aux recommandations de la Cour des comptes visant à ce que l’élargissement du fonds s’accompagne d’une instruction plus exigeante des aides et d’un dispositif renforcé de prévention de la fraude et des sanctions.

Bien d’autres thèmes abordés par la Cour des comptes dans ce rapport montrent combien le coût élevé de la crise a remis en cause certains de nos modèles de financement, nous obligeant à les repenser.

Ces observations et ces recommandations seront utiles aux réflexions et aux contributions que notre commission des finances compte mener, dans les prochaines semaines, pour la reconstruction de la trajectoire de nos finances publiques sur le long terme.

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