Intervention de Rémi Féraud

Réunion du 24 mars 2021 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Rémi FéraudRémi Féraud :

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le rapport public annuel de la Cour des comptes. S’il a toujours été utile à nos travaux de contrôle parlementaire, il s’inscrit, cette année, dans un contexte exceptionnel.

Dans son introduction consacrée à la situation des finances publiques, la Cour dresse le lourd bilan de l’année passée : chute du PIB et explosion du déficit public et de la dette publique. Si les chiffres présentés reflètent évidemment l’impact de la crise sanitaire, force est de constater qu’ils s’inscrivent dans la suite d’une situation déjà défavorable pour notre pays.

La Cour elle-même avait pointé ce risque, l’an dernier, énonçant que « les marges de manœuvre dont dispose la France en cas de retournement conjoncturel restent limitées, et nettement inférieures à celles de certains de nos partenaires ».

Notre collègue Vincent Éblé, encore président de la commission des finances il y a tout juste un an, avait tenu des propos très justes lors du dépôt du précédent rapport de la Cour des comptes en 2020 :

« Nos mauvais résultats sur le déficit et la dette au regard de ceux de nos partenaires européens trouvent une explication. À son arrivée, le nouveau Gouvernement a d’abord fait le choix d’une baisse des prélèvements obligatoires dirigée vers les entreprises et les contribuables les plus aisés. Dans un second temps, il a dû, après le mouvement des “gilets jaunes”, en plus de la suppression progressive, mais non financée, de la taxe d’habitation, revenir sur les hausses de fiscalité énergétique et de contribution sociale généralisée, ou CSG, qui touchaient les classes populaires. Enfin, après le grand débat national, il a décidé une réduction de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes ».

Depuis lors, face à la crise sanitaire et à ses conséquences désastreuses pour l’économie, le Gouvernement a davantage fragilisé les recettes fiscales, notamment en ce qu’il a choisi de baisser massivement les impôts de production, privilégiant les grandes entreprises et poursuivant sa politique de l’offre, mais sans jamais envisager d’augmenter, même exceptionnellement, les contributions des plus aisés et des activités gagnantes de la crise.

En réalité, cette crise révèle que la politique économique et fiscale menée depuis 2017 a été très largement vaine. Ce sont trois années de perdues…

Je veux évoquer ensuite certains des enseignements très utiles que le rapport tire de la crise, que j’illustrerai par trois exemples.

Le premier concerne l’hôpital public. Alors que la ministre de la santé de l’époque affirmait avoir tiré la sonnette d’alarme auprès du Président de la République et du Premier ministre, dès le mois de janvier 2020, rien n’a été véritablement préparé pour faire face à l’épidémie : les hôpitaux ont été logiquement débordés, faute de moyens.

Dans son rapport, la Cour des comptes dresse un constat éclairant sur les conséquences de la tarification à l’activité, qui ont fait de la réanimation une activité structurellement déficitaire, donc souvent reléguée au second plan. Elle estime que la création d’un lit de réanimation entraîne un déficit moyen de 115 000 euros, ce qui a entraîné un recul progressif du nombre de ces lits en dépit des besoins si criants aujourd’hui.

Il nous faut maintenant tirer les leçons de cette crise et faire en sorte que nous nous préparions à celles à venir.

Le Gouvernement n’écoute aucune des oppositions. Peut-être écoutera-t-il la Cour des comptes et traduira-t-il en actes les recommandations de cette dernière ?

En second lieu, je voudrais évoquer l’hébergement des personnes sans abri durant la crise. À cet égard, la Cour des comptes salue l’action des associations et des pouvoirs publics, un constat que je partage, à deux titres : l’effort sans précédent de mise à l’abri des personnes à la rue – près de 300 000 –, et la capacité de contenir les contaminations, alors que l’hébergement collectif aurait pu les faire exploser.

Dès lors, pourquoi arrêter cette politique, qui, malgré un démarrage difficile, fonctionne si bien ? Le surcoût annoncé de 326 millions d’euros pour les places supplémentaires est tout à fait absorbable budgétairement, au vu de l’enjeu. Et je n’aurai pas la mauvaise manière de comparer ce montant à celui qui a été perdu à cause d’autres réductions fiscales : ce serait cruel !

En revanche, je rappelle l’engagement pris par le Président de la République qu’il n’y ait plus de personnes sans domicile fixe à la rue, objectif qu’il s’était imposé pour la fin de l’année 2017. Nous avons là l’occasion de réaliser un grand progrès.

La Cour des comptes le souligne : « L’ensemble de ces mesures exceptionnelles a permis d’éviter une surmortalité des personnes à la rue ou sans domicile. Elles ont conduit à une situation sans précédent, où l’essentiel des personnes sans abri, y compris les plus marginalisées, se sont retrouvées hébergées par l’État. » Pourquoi ne pas poursuivre cet effort ? Ce serait un progrès considérable de notre société. Là encore, puisse le Gouvernement écouter les magistrats de la Cour des comptes !

En tant que rapporteur spécial de la mission budgétaire « Action extérieure de l’État », je ne veux pas manquer l’occasion de souligner la grande efficacité du plan déployé par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour rapatrier, au printemps dernier, les Français bloqués à l’étranger à cause de la pandémie – c’est l’un des principaux satisfecit du rapport.

Au total, près de 370 000 personnes ont ainsi été rapatriées en France. La Cour des comptes souligne tant l’efficacité de l’opération que la maîtrise des coûts entraînés par celle-ci. Cette mobilisation sans précédent montre l’importance, à l’avenir, de préserver notre réseau diplomatique et consulaire, ainsi que les moyens qui lui sont alloués.

Quant à l’inclusion bancaire et aux frais bancaires, ils constituent un enjeu majeur de justice sociale. Je l’ai défendu avec mes collègues socialistes au travers d’une proposition de loi qui n’a pas trouvé grâce aux yeux du Gouvernement, malgré les engagements pris devant les Français depuis 2018.

Comme nous, la Cour des comptes dresse le constat que « l’opacité qui entoure les frais occasionnés par les incidents de paiement et irrégularités de fonctionnement, et l’absence d’information des pouvoirs publics à la fois sur leur montant global et sur leur détail par catégorie de clients et de frais, sont un obstacle à une appréhension correcte de difficultés qui concernent chaque année un quart des clients particuliers et plus de deux millions de clients en situation de fragilité financière. »

En recommandant de poursuivre les travaux d’évaluation et de suivi des frais d’incidents bancaires, la Cour des comptes met bien cette question au cœur de son rapport – c’est une excellente chose !

Il revient au Gouvernement de s’en saisir et d’avancer sur ce sujet, qui a tant d’importance pour nos concitoyens les plus modestes.

Je conclurai en revenant à la question fondamentale que pose ce rapport, et qui sera certainement au cœur des échéances électorales l’année prochaine : qui va payer ?

S’agissant de l’assurance chômage et de l’Unédic, la Cour des comptes recommande de statuer sur le niveau et les modalités de reprise de la dette du régime d’assurance chômage. Les décisions prises en la matière permettront à ce dernier de maintenir les indemnisations futures, ou bien conduiront inéluctablement celles-ci à être revues à la baisse.

Dans ce contexte si particulier, le rapport de la Cour des comptes nous invite en réalité à réfléchir aux solutions, en sortant des recettes qui sont toujours les mêmes et des blocages idéologiques qui ont présidé à la politique budgétaire et fiscale menée jusqu’à cette crise. Ces réflexes risquent de resurgir dès après, au détriment de nos politiques publiques, des finances de l’État et de la juste répartition de l’effort.

C’est avec cette boussole que nous pouvons lire le rapport de la Cour des comptes et en tirer des conclusions positives pour l’avenir.

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