Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, sans vouloir abuser des chiffres, il me semble nécessaire, pour nos compatriotes qui les ignorent largement, de rappeler que, en 2020, l’État a dépensé 461 milliards d’euros alors qu’il a constaté 283 milliards d’euros de recettes, portant le déficit à 178 milliards d’euros.
Certes, il était nécessaire de soutenir « quoi qu’il en coûte » l’économie, les entreprises, les ménages et les collectivités.
Toutefois, en 2019, les comptes publics faisaient déjà apparaître, en dehors de toute circonstance exceptionnelle, un déficit de 93 milliards d’euros, alors que les recettes atteignaient péniblement 301 milliards d’euros ; les dépenses de l’État étaient financées à hauteur de 23 % par la dette.
La dégradation est donc bien antérieure à la crise du covid-19. D’ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques, le HCFP, demandait, en septembre dernier, une nouvelle loi de programmation des finances publiques.
Un consensus semble se dessiner aujourd’hui sur la nécessaire stabilisation de l’encours de la dette autour de 120 % du PIB, afin que celle-ci reste soutenable à terme de quelques années, considérant les risques pour l’économie d’un réel effort de désendettement. Cela impliquerait le maintien d’un certain niveau de déficit, sans doute de l’ordre de 3 %, pour les années à venir.
Toutefois, cet objectif même est sujet à caution, compte tenu de la hausse prévisible de 11 milliards d’euros de la dépense publique, dès 2021.
Reste que la question de la qualité de la dépense publique demeure… En effet, les déficits des dernières années ont servi non pas à investir pour l’avenir du pays, mais à arroser les sables d’une bureaucratie galopante qui vient encore de s’illustrer, ces jours derniers, en prétendant faire face à la crise sanitaire avec des attestations et des normes…
Que reste-t-il des 50 000 postes de fonctionnaires à supprimer durant le quinquennat ? Rien ! Et si l’on regarde l’investissement public net de dépréciation, celui-ci était proche de zéro en 2015 et en 2016, et il a été porté à un misérable 0, 4 % du PIB en 2019. Cette réalité serait celle d’une commune très mal gérée !
L’exemple du Grand Paris Express, investissement le plus rentable en termes de recettes publiques, est emblématique : il n’y a aucune participation du budget de l’État à son financement.
Cette situation a, et aura, des conséquences multiples. L’incapacité de l’État à soutenir les conseils départementaux, en première ligne pour faire face aux conséquences sociales de la crise économique accompagnant la crise sanitaire, en est l’une des plus préoccupantes, d’autant que les dépenses sociales représentent aujourd’hui près de 60 % des dépenses de fonctionnement des conseils départementaux.
Ces dernières années, les départements avaient pourtant amélioré leur situation financière, grâce à de puissants efforts de gestion et à la dynamique de leurs recettes, principalement via les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO. Ils ont ainsi pu augmenter leurs dépenses d’investissement, dont on connaît l’effet de levier sur l’emploi local.
Néanmoins, avec la crise sanitaire revient l’effet de ciseaux : dépenses liées à pandémie de l’ordre de 1, 6 à 1, 8 milliard d’euros ; baisse des DMTO de 4 % sur les onze mois de l’année dernière, avec de fortes différences selon les départements ; augmentation des dépenses de l’aide sociale à l’enfance, compte tenu du problème posé par les mineurs non accompagnés ; augmentation structurelle des dépenses en faveur des personnes âgées d’environ 3 % ; enfin, et surtout, explosion des dépenses de RSA et de lutte contre la pauvreté, au-delà de 10 % pour 2020.
Du fait d’un décalage bien connu entre la dégradation de l’emploi et l’inscription au RSA, ce sera pire en 2021 !
Face à ces difficultés prévisibles, l’État, fidèle à sa ligne de conduite avec les départements, s’est montré largement indifférent : 200 millions d’euros pour un maigre fonds de stabilisation ; non-reconduction des avances remboursables sur les DMTO en 2021, alors qu’une quarantaine de départements y avaient eu recours en 2020 ; refus de financer l’augmentation au-delà de 5 % du RSA en 2021 ; absence de réponse sur la perte probable de 10 % de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE ; amendement au projet de loi de finances pour 2021 visant à priver les départements de la dynamique naturelle de TVA compensant la perte du foncier bâti.
Faut-il rappeler que les départements ne disposent plus aujourd’hui d’aucun levier fiscal pour équilibrer en dernier ressort leurs comptes ?
Or ce sont les départements qui joueront un rôle crucial en sortie de crise. Leurs investissements sont nécessaires au tissu économique local ; ils devront prendre en charge nos compatriotes toujours plus nombreux à bénéficier du RSA, lutter contre la pauvreté, continuer à prendre en charge toujours davantage de personnes en perte d’autonomie et soutenir les enfants dont les familles sont défaillantes.
Ils devront aussi, entre autres, maintenir la qualité de l’accueil des collégiens et la sécurité des routes départementales.
Dans ce contexte, il est urgent que le Gouvernement s’engage sur une clause de sauvegarde, pour compenser, au moins au-delà d’un seuil à négocier, ce redoutable effet de ciseaux, faute de quoi il ferait courir le risque à notre pays de voir un élément essentiel de sa cohésion sociale en situation de défaillance. Je laisse à chacun le soin de faire l’inventaire des conséquences que cela entraînerait.