Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 24 mars 2021 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Pierre Moscovici :

Je vous remercie encore une fois, monsieur le président du Sénat, d’en avoir pris l’initiative.

Je souhaite désormais revenir, non pas sur l’objet des questions posées par les différents orateurs, mais sur certains points de méthode et de projection.

Premièrement, le président Requier a évoqué le délai qui sépare la publication du rapport et notre débat. Cette année, il est vrai, il est plus long que d’habitude. Mais si nous avions attendu plus longtemps, on aurait pu nous faire le reproche inverse, à savoir que nous n’aurions aucune considération à l’égard du Parlement. Aussi, il est bon que le débat devant les assemblées suive de très près la remise du rapport public annuel au Président de la République.

Deuxièmement, je veux formuler une remarque de méthode, qui est aussi une remarque de fond. Le rapport présente deux caractéristiques assez nouvelles.

La première, c’est que nous avons voulu nous inscrire dans le temps réel de la vie des Français et des Françaises, dans leurs préoccupations – j’y ai tenu personnellement, dès ma nomination comme Premier président. Il était inévitable que nous commencions à travailler d’emblée sur la crise du covid-19 ; il eût été incompréhensible que je vienne ce soir devant vous présenter ce rapport de façon habituelle.

La seconde caractéristique relève de la tonalité. Certains la jugent trop indulgente, d’autres la considèrent trop sévère ; en réalité, elle est simplement équilibrée.

La Cour des comptes ne prétend pas avoir une boule de cristal ; ce n’est pas là son rôle ! Elle est d’abord, historiquement, une institution qui contrôle, qui évalue et qui, de plus en plus, se projette. Je souhaite que nous allions plus loin dans cette dernière direction.

En définitive, je me réjouis que ce rapport ne soit pas spectaculaire, qu’il ne se contente pas de mettre en lumière des sujets croustillants et qu’il ne vise pas à fustiger.

Le rapport se borne à souligner ce qui a manqué dans cette période, à savoir l’anticipation. Le fait que celle-ci ait fait défaut à tous n’excuse d’ailleurs personne. Nous avons besoin d’anticipation. D’autres crises se produiront : des crises sanitaires, climatiques ou encore géopolitiques. Il nous faut nous outiller pour être plus résilients à l’avenir : ce n’est pas une critique que lance la Cour des comptes, c’est un appel.

Certains sénateurs ont parlé du service public comme d’un « joyau », ou d’un « trésor ». Pour ma part, je ne saurais porter de jugement de valeur de cette nature.

Notre rapport est positif en ce qu’il assume de dire que les acteurs publics, même s’ils ont pu être désarçonnés par la crise, qu’ils n’avaient pas prévue au premier chef, ont été réactifs, inventifs, innovants et mobilisés.

Notre système public a tenu : c’est l’une des forces de notre pays. Cela ne signifie pas que l’on peut tout lui demander, ou qu’il résisterait à tout, mais nous pouvons attester, en grandeur nature, de sa robustesse.

Je veux aussi noter notre très grande convergence de vues. Ce que nous avons entendu, sur toutes les travées, à propos de notre rapport, est extrêmement réconfortant et encourageant. Le fait que vous estimiez nos observations à la fois pertinentes et utiles, tout en mettant l’accent sur certains points, constitue pour nous un aiguillon extraordinairement précieux. Moi qui fus parlementaire, je considère que c’est aussi le gage de la solidité de nos relations.

Que la Cour des comptes se situe à équidistance entre le Gouvernement et le Parlement et qu’elle soit à la disposition du Parlement est fondamental et le restera tout au long de mon mandat. Ce débat en est la marque.

En outre, vous avez noté que certains sujets mériteraient d’être travaillés plus amplement. Nous les approfondirons donc, à la demande de la commission des finances, notamment la question des réanimations et, bien sûr, celle des finances publiques, sur laquelle nous reviendrons souvent.

Autant il me paraissait impossible que le rapport ne traite pas de la question du covid-19 en 2021, autant ce document ne pouvait être exhaustif. Le rapport pour 2022, avec le recul du temps et l’extension des travaux de notre programmation, sera beaucoup plus complet ; je m’y engage devant vous.

Il traitera de certaines questions urticantes que nous n’avons pu aborder faute de temps, les compteurs ayant été arrêtés à la fin de la première partie de la crise sanitaire.

Je souhaite arrêter ma réflexion quelques instants sur les chambres de commerce et d’industrie, les CCI, qui ont été évoquées aujourd’hui à plusieurs reprises. J’avais d’ailleurs pressenti que vous aborderiez ce sujet, vous qui êtes proches des territoires.

Les CCI n’exercent pas uniquement des activités qui relèvent du secteur ou du service public. Elles ont également des activités de nature concurrentielle, d’expertise et de consultation. La gestion déléguée d’infrastructures publiques, qui faisait partie des activités les plus importantes de certaines CCI, est en perte de vitesse, c’est un fait, et les chambres sont de plus en plus en compétition avec les opérateurs privés.

Leurs perspectives d’évolution plaident pour un renforcement de leur financement par le produit de leurs activités, plutôt que par une fiscalité affectée, qui pèse aujourd’hui sur les actifs physiques des entreprises. C’est ce que veut dire la Cour.

Pour autant, cela ne signifie pas que les activités de service public doivent être niées, bien sûr. Au contraire, elles doivent faire la preuve de leur efficacité et de leur utilité, pour justifier un financement public à l’avenir.

À la suite de ce débat, nous serons amenés à nous revoir très rapidement et souvent, et j’en suis heureux. J’aurai ainsi l’occasion de venir au Sénat, le mois prochain, pour m’exprimer devant la commission des finances en ma qualité de président du HCFP, à l’occasion de la publication des avis de cet organisme sur le règlement et le programme de stabilité.

J’ai noté que vous aviez reçu M. Jean Arthuis, ce matin. De notre côté, nous présenterons l’audit des finances publiques dont le Premier ministre nous a chargés.

Nous sommes d’accord avec Jean Arthuis sur un point : il faut essayer d’améliorer la gouvernance des finances publiques. Sur d’autres sujets en revanche, notamment en ce qui concerne le rôle du Haut Conseil des finances publiques nous aurons peut-être des vues un peu différentes. Selon moi, l’institution indépendante qu’il appelle de ses vœux existe déjà : il s’agit du Haut Conseil des finances publiques ! Je souhaite simplement, je l’ai déjà dit, que l’on augmente ses moyens et étende ses mandats afin qu’elle puisse se situer à cet égard dans la moyenne européenne.

En tant que Premier président de la Cour des comptes, cette fois, je reviendrai dans vos murs dès la semaine prochaine pour l’examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, thème qui me tient personnellement très à cœur et sur lequel la Cour des comptes est tout à fait prête à s’investir davantage, notamment dans le cadre de la mission d’évaluation prévue dans ce texte.

Enfin, je le répète, le mois prochain paraîtra le rapport annuel de la Cour des comptes sur le budget de l’État et la finalisation des conclusions demandées par le Premier ministre sur la stratégie d’évolution des finances publiques. Je mesure – plusieurs d’entre vous l’ont souligné, mesdames, messieurs les sénateurs – les frustrations qu’a pu susciter l’absence de chapitre consacré à ce sujet dans notre rapport public annuel, notamment pour la commission des finances, qui, je le sais, y est très attentive.

Il eût été, me semble-t-il, incohérent de revenir par deux fois en un mois sur ce sujet, avec des données différentes, d’autant que les mesures actuelles auront des effets sur les finances publiques. Il vaut donc mieux disposer de données actualisées.

Je suis convaincu que la mission que nous a confiée le Gouvernement, qui constitue par ailleurs une marque de confiance à l’endroit de la Cour des comptes, est un très beau défi : sommes-nous capables de produire en deux mois une analyse aussi complète de la situation et des perspectives des finances publiques ? J’en suis persuadé.

Nous aurons donc un débat riche et étayé sur ces sujets absolument essentiels pour notre pays, dans la terrible période d’incertitudes que nous traversons.

Pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, je réitère ma totale disponibilité pour venir présenter, dès qu’elles seront publiées, les conclusions de la Cour des comptes à la représentation nationale, dans la forme que vous choisirez.

Encore une fois, la relation qui nous lie à votre assemblée et les échanges avec le Parlement sont tout à fait cruciaux pour la belle institution que j’ai aujourd’hui l’honneur de présider.

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