Intervention de Johanna Rolland

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 4 février 2021 à 9h30
Table ronde relative aux métropoles avec la participation de mmes johanna rolland présidente de france urbaine ; dominique riquier-sauvage membre du conseil économique social et environnemental et m. yann lasnier ancien membre du conseil économique social et environnemental

Johanna Rolland, Présidente de France Urbaine :

Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'avoir conviée à partager avec vous un premier point de vue de nos métropoles pour tenter de nourrir la réflexion du législateur. Je tenais à saluer en préambule le travail de fond, de constance et de qualité mené par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. Vous me permettrez d'avoir un mot pour vos prédécesseurs, MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, les rapporteurs de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM).

Nous ne pouvons pas dresser un premier bilan des métropoles en faisant l'économie du contexte global. Aujourd'hui, le pacte républicain de notre pays est parfois abîmé et il convient d'en prendre toute la mesure si nous voulons trouver les bons leviers. Vous avez évoqué la façon dont la crise des Gilets jaunes a pesé sur les débats qui nous réunissent, allant jusqu'à donner parfois l'impression qu'il existerait des gagnants et des perdants dans le redécoupage entendu au sens institutionnel.

Dans ce mythe qui veut que toutes les métropoles seraient riches et tous les territoires ruraux seraient pauvres, nous oublions que les grandes poches de précarité, les quartiers prioritaires de la politique de la ville se trouvent, dans leur immense majorité, à l'intérieur de la métropole. 50 % des communes membres de France Urbaine sont classées par l'Insee parmi les communes rurales. Quel que soit le niveau de territoire, nous sommes tous confrontés à de nouveaux défis, en particulier la fragmentation de notre société. Plus que territoriale, cette fragmentation est d'abord sociale. La question de la pauvreté, qui deviendra une question majeure de notre pays en 2021 dans le contexte de crise sanitaire et sociale que nous vivons, se pose sur tous les territoires et la société doit lui apporter des réponses. De ce point de vue, si les métropoles ont une responsabilité particulière, nous pouvons convenir que ces enjeux dépassent leur champ strict.

Nos métropoles représentent d'abord des communautés humaines. Je ne crois pas une seconde que le redécoupage territorial ait créé ces métropoles. L'exode rural, le rapport au travail, la nécessité de concentration ont amené les hommes et les femmes à se regrouper autour d'un port, d'un fleuve. Le nombre de métropoles irriguées par un fleuve démontre que la dimension géographique et historique a joué un grand rôle. Les avancées législatives n'ont fait que conforter cet état, d'abord les grandes lois de décentralisation des années 1980 et 1990, puis la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (RCT) et enfin la loi MAPTAM, qui a posé un nouveau jalon dans une histoire de plus de cinquante ans et renforcé le rôle des métropoles.

Ainsi, le développement économique est devenu une compétence partagée entre métropole et région. L'État semble parfois l'oublier, ce qui me semble regrettable pour la réussite du plan de relance. Les figures de gouvernance et les situations juridiques sont différentes selon les métropoles. Considérer qu'il n'existe qu'une situation serait une illusion d'optique, ne serait-ce qu'au regard de la question démographique. Entre les métropoles de Nantes et de Rennes, qui gagnent des habitants tous les ans, et celles qui n'affichent pas une telle dynamique démographique, les réponses en termes de politiques publiques, sur le champ des transports en commun par exemple, n'ont pas vocation à être les mêmes, parce que la réalité sociologique et économique de nos métropoles n'est pas homogène. Nos métropoles ont construit des gouvernances différentes pour tenter de répondre à ces enjeux. La métropole représente d'abord des communes qui se mettent ensemble pour réaliser ce qu'aucune d'elles, y compris la ville-centre, ne serait capable de faire seule.

Aujourd'hui, certains voient les métropoles comme la source de tous les maux, d'autres les considèrent comme le berceau de toutes les dynamiques positives. Un peu de nuance nous permettrait sans doute de progresser dans le débat. Certains nous disent que les métropoles sont responsables du déclassement d'autres territoires, qu'elles n'ont pas permis des économies d'échelle avec une gestion des ressources irraisonnée. C'est oublier que l'État s'est délesté, en droit ou de fait, d'un certain nombre de compétences, comme la sécurité dans les grandes villes ou l'accueil des demandeurs d'asile, qui sont des attributions régaliennes qui incombent à l'État. Il faut prendre en compte toutes ces dimensions pour avoir une lecture objectivée de la situation. Nous assistons aussi depuis plusieurs années à une forme de remise en question un peu systématique de la dimension intercommunale. Or je crois qu'en matière de transports en commun, de gestion des déchets ou de stratégie énergétique, l'intercommunalité nous permet de faire des choses qu'aucune commune ne peut faire seule.

Notre modèle de société et notre capacité de résilience sont interrogés. De ce point de vue, la logique qui veut que les métropoles aient été constituées pour bénéficier d'un effet taille uniquement sur le champ économique est désormais dépassée. Nos métropoles accueillent les centres hospitaliers universitaires (CHU). Elles constituent des lieux de bouillonnement culturel, de valeur ajoutée, mais pas seulement au sens de la valeur économique. L'accroissement des précarités et des pauvretés nous invite à penser les sujets de cohésion sociale à l'échelle de nos métropoles, tout comme les enjeux de santé et de longévité.

Sur ces sujets, la question du lien entre les communes de la métropole, mais aussi entre la métropole et l'hinterland se pose aujourd'hui avec force. Les mécanismes de solidarité financière passent par des choix de redistribution entre la métropole et les communes, des fonds de concours en investissement, voire en fonctionnement. Sur la métropole nantaise, la dotation de solidarité communautaire (DSC) apporte 14 % du budget de Saint-Léger-les-Vignes, la plus petite commune de la métropole, contre 8 % pour la dotation globale de fonctionnement (DGF) de l'État. Globalement, entre la DSC, les fonds de concours et l'ensemble des mécanismes de redistribution, 25 % du budget de fonctionnement de la métropole nantaise est consacré à la redistribution aux communes, soit un budget de 50 euros par habitant. Certains analystes financiers y voient un mécanisme d'intégration insuffisant. J'y vois un choix stratégique. La métropole se place au service des communes dans leur diversité. En revanche, je pense que l'un des enjeux du projet de loi « 4D » résidera dans des mécanismes de différenciation pour couvrir des réalités différentes.

L'avenir passe par des logiques de contractualisation renforcée, de coopération soutenue, que ce soit à l'échelle internationale ou des territoires urbains, périurbains et ruraux. En dehors de Paris, force est de constater qu'aucune de nos métropoles ne peut peser dans une économie mondialisée. Dans l'Ouest, nous faisons ainsi le pari de l'alliance entre Nantes, Rennes, Brest, Angers et Saint-Nazaire. France Urbaine s'efforce de construire cette alliance des territoires que j'appelle de mes voeux. Sortons de la logique d'opposition qui ne produira pas les solutions attendues entre les territoires urbains et ruraux. J'ai la conviction qu'un jeune, qu'il soit issu d'un quartier populaire ou d'un territoire rural dit délaissé éprouve le même sentiment d'abandon du pacte républicain. Nous devons envoyer des messages d'intégration à cette jeunesse dans toute sa diversité. Pour moi, résilience et coopération vont de pair.

Il existe dans notre pays deux modèles de métropole : les métropoles qui ont asséché les territoires alentour et celles qui ont irrigué les territoires environnants. De ce point de vue, les travaux de Laurent Davezies sont éclairants. Je pense que le moment est venu d'inventer un troisième modèle de métropole en allant chercher toutes les coopérations gagnant-gagnant entre les territoires. Sur la métropole nantaise, nous avons pour objectif d'augmenter fortement les produits bio dans nos cantines, soit 15 000 repas par jour. La métropole ne sera jamais autosuffisante d'un point de vue alimentaire ou énergétique. Cette démarche peut constituer un levier pour réunir l'ensemble des agriculteurs et éleveurs du département et travailler à la structuration de filières alimentaires renouvelées. C'est dans cet esprit que des métropoles ont signé des contrats de réciprocité avec leurs territoires environnants sur des sujets d'alimentation ou de mobilité. Nous ne règlerons pas le sujet de la congestion automobile dans nos grandes villes si nous refusons de considérer que le rapport à la voiture individuelle diffère selon que l'on habite dans l'hyper centre ou à 40 kilomètres de son lieu de travail. Le CESE propose d'inscrire dans la loi l'impératif d'une meilleure coopération entre les métropoles et leur territoire en proximité en organisant un développement coordonné des transports durables à différentes échelles territoriales. Cette piste de travail mérite d'être approfondie et nous sommes prêts à le faire avec vous.

Tout cela s'inscrit quand même dans une tradition française qui reste assez jacobine, centralisatrice. Je suis pour un État fort sur les dimensions régaliennes, stratégiques. La conjugaison d'un État fort et stratège et de territoires constituant des laboratoires d'imagination et de solutions pourrait nous permettre d'avancer. Or force est de constater que si l'État a parfois transféré les compétences, il n'a pas pour autant transféré la confiance, ce qui pose un certain nombre de sujets en termes d'efficacité de l'action publique. Dans le contexte actuel, j'invite les parlementaires que vous êtes à vous intéresser à l'impact de la situation Covid sur les finances des grandes villes et métropoles. Je citerai deux chiffres issus du travail d'évaluation de France Urbaine que je tiens à votre disposition : l'effondrement de nos dépenses de fonctionnement représente plus de 1,5 milliard d'euros, hors Paris, soit une perte de notre épargne nette d'un tiers. Les remontées de Bercy globalisent les situations des collectivités. Ainsi, les réponses apportées dans le projet de loi de finances touchent 80 % des communes de moins de 2 000 habitants. Quid de la réponse pour les grandes villes et les grandes métropoles ? Elle n'est pas sur la table à ce stade. Cela fait fi des charges de centralité assumées par nos grandes métropoles alors que la réponse sanitaire se situe en partie dans les grands pôles urbains.

Nous avons tous des efforts à faire. Globalement, les collectivités sont aujourd'hui bien gérées. Contrairement à l'État, nous ne pouvons nous endetter que pour l'investissement, ce qui constitue un élément de sécurisation essentiel. Les dernières réformes sont venues affaiblir la lisibilité qui existait historiquement entre la fiscalité locale et le territoire de proximité. Le chantier d'une fiscalité locale juste, garantissant la liberté fiscale des collectivités, aurait toute raison de retrouver un agenda de travail. Certains sont prêts à renoncer à leur dotation et à assumer une péréquation plus forte en échange d'une réelle autonomie fiscale. La décentralisation repose d'abord sur la libre administration des collectivités locales, mais nous ne savons pas assurer cette libre administration sans liberté dans la stratégie fiscale et donc budgétaire.

S'agissant de la gouvernance, vous avez évoqué le fait que la montée des métropoles s'est accompagnée d'un renforcement des gouvernances et notamment du travail entre les maires. À Nantes, je réunis chaque mois la conférence des maires pour partager les éléments de la stratégie. Certes, nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais la dimension collégiale de nos discussions est affirmée et organisée. Je pense cependant que la question de la gouvernance ne peut pas s'arrêter au partage entre élus. La question de la place donnée aux citoyens se pose aujourd'hui. Bon nombre de nos métropoles ont lancé un certain nombre d'initiatives : grand débat citoyen, convention citoyenne, etc. Ces dynamiques doivent s'amplifier. Je considère que nous n'irons pas au bout de l'exercice sans nous poser la question démocratique. Au vu du budget qui incombe à nos métropoles, nous ne pouvons pas faire l'économie de nous interroger sur le suffrage universel. Le législateur pourrait envisager une évolution démocratique absolument majeure sans perdre le lien et en se posant la question du rôle des maires. Nous pouvons convenir que le fléchage constitue une étape intermédiaire qui présente des avantages, mais aussi un certain nombre de limites.

Le travail inscrit à l'agenda parlementaire avec la loi « 4D » et le contexte de crise sanitaire, qui a montré la capacité des territoires à répondre présents (masques, tests, réactivité sur le champ social, puissance logistique d'organisation) doivent nous inviter à essayer de faire preuve d'un peu d'audace et à passer à une nouvelle étape de la décentralisation.

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